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Hbsc Xris Blog - A la poursuite du réel, historique et scientifique, parce que 1984, nous y sommes presque.

Archéologie, Histoire de l'agriculture, de l'élevage, de l'alimentation, des paysages, de la nature. Sols, faunes et flores. Les sciences de la nature contre les pseudos-sciences, contre l'ignorance, contre les croyances, contre les prêcheurs de l’apocalypse.

5. Le manuel pratique de la culture maraîchère de Paris 1845 JG Moreau JJ Daverne. A la recherche du réel : comprendre ce manuel

Une famille de maraichers à Bobigny, début XXème (source : Bobigny.fr)

Une famille de maraichers à Bobigny, début XXème (source : Bobigny.fr)

Le manuel de la culture maraichère à Paris est le fruit d’un concours dont l’origine est à rechercher sous le règne de Napoléon 1er. L’empereur des français est surtout connu pour ses guerres incessantes et ses qualités de stratège militaire, mais peu de gens savent qu’il était passionné de sciences et de techniques et encouragea toutes les innovations.

Le concours ouvert en 1810 et resté sans candidat, fut relancé par la SNHF en 1839 avec un cahier des charges précis.

Deux maraichers, l’un réellement parisien JG Moreau, l’autre résidant en proche banlieue à La Chapelle Saint Denis, JJ Daverne s’associent pour proposer en 1844 un manuel de la culture maraichère à Paris qui sera effectivement primé et publié en 1845 aux frais de la SNHF. Le manuel publié est une édition rectifiée du manuscrit qui avait été proposé et dont certains passages ont été supprimés à la demande de la SNHF souhaitant éradiquer des « croyances ». Il est vrai que lorsqu’on voit dans l’édition publiée et donc pourtant rectifiée… que nos maraichers indiquent qu’ils ont arrêté une trombe de vent en lançant un arrosoir dans sa direction, on est perplexe…

Un autre manuel a été proposé par un grainetier, Claude Joseph Courtois-Gérard, qui s’est déjà fait connaitre par un manuel de jardinage. Il est recalé mais publie son manuel de maraichage à ses frais. Ce manuel est peu connu.

Plus intéressant et plus précis sur le plan statistique, donnant beaucoup d’éléments permettant une bonne approche du bilan financier des exploitations maraichères, moins politiquement correct également, le manuel de Courtois-Gérard est cependant moins plaisant à lire que celui de JJ Daverne et JG Moreau. 

Et il faut bien reconnaitre que le manuel primé de nos deux maraichers est un réel chef d’oeuvre qui donne une idée assez claire de la façon de faire au XIXème siècle, de la culture maraichère ultra-intensive, hautement productive et « chauffée » une partie de l’année, pour satisfaire les desiderata d’une riche clientèle, prête à payer le prix fort.

 

Pour avoir passé beaucoup de temps dans ce manuel, je ne finis cependant pas de m’étonner de sa notoriété auprès des promoteurs du maraichage bio d’aujourd’hui, comme de l’enthousiasme de leurs disciples.

 

Que disent les promoteurs du maréchage bio d’aujourd’hui ?

 

-Que les maraichers parisiens du XIXème nourrissaient Paris en légumes frais ? 

Non bien sûr, je n’y reviendrais pas, je reporte à mes articles précédents. 

 

-Qu’on peut se lancer dans un maraichage rentable sans grand investissement ? 

Pas vraiment, les mises de fond sont très importantes surtout pour les primeuristes parisiens…

 

-Qu’il faut soigner le sol ? 

Ah bon, il est malade ? 

 

-Qu’on peut avoir une haute production sans engrais et avec des pratiques respectueuses de l’environnement ? 

Pas exactement ce que racontent JJ Daverne et JG Moreau, avec leurs prodigieux tonnages de fumier, il importe « chimiquement » de comprendre ce que sont les couches chaudes. 

 

-Qu’ils font 8 récoltes par an voir 9 sur certains sites ? 

Plutôt de 4 à 6, mais essentiellement grâce au jeu des repiquages continuels et à la quantité d’engrais hallucinante utilisée par les maraichers via les couches chaudes 

 

-Qu’il faut des coquelicots et plein de mauvaises herbes pour la biodiversité ? 

Absolument pas dans les maraichages parisiens du XIXème, c’est même tout haro sur la plus petite pousse indésirable.

 

-Que les insectes sont indispensables pour l’avenir de l’humanité ? 

Pas vraiment non plus dans les maraichages parisiens du XIXème siècle en tout cas, où non content d’éliminer la moindre larve, on élimine même les vers de terre.

 

-Qu’ils faisaient leurs semences et ne nourrissaient pas des multinationales ? 

Oui ils faisaient leurs semences, sans doute autant par économie que par habitude, mais ce n’est pas à eux que nous devons la préservation des variétés anciennes ni l’extraordinaire diversité variétale actuelle. Merci les semenciers…

 

-Que c’est facile et que cela pousse tout seul ? 

Inimaginable de le laisser croire ! Les maîtres et maîtresses et les garçons et les filles maraichers, tant dans ce qui est écrit dans les 2 manuels, que ceux qu’on peut lire dans d’autres sources de l’époque, ont des multitudes de tâches, hautement physiques et des temps de travail épouvantables du moins selon les normes actuelles des sociétés de riches repus occidentaux. 

Il est bien curieux que des écologistes et fervents promoteurs du bio, qui appartiennent en grande majorité à des mouvances de gauche ou d’extrême gauche, fassent l’apologie de systèmes qui impliquent que l’on fasse 35h en 2 jours et que disparaissent vacances et week-ends.

 

J’ai choisi de ne pas revenir sur les méthodes de culture qu’ils énumèrent mois par mois et légume par légume.

Cela ne peut intéresser que celui qui cultive réellement le sol que ce soit en maraichage ou en potager. 

Les maraichers actuels qui ont suivi une véritable formation professionnelle dans de véritables établissements d’enseignement n’ont pas besoin de ce manuel. Quand à ceux qui font du potager aujourd’hui, il n’y en a quasiment plus en France.

Entendons nous bien sur les mots… Je viens d’un temps où une famille modeste, à force de travail et de peine, une grande partie de ses week-ends et de ses vacances, vivait à l’année en légumes et fruits sur un énorme potager avec quelques fruitiers, et où les mots « potager » ou « fruitiers » avait vraiment un sens qui impliquait une réelle autonomie alimentaire dans ces domaines. 

Et je ne tiens pas pour « jardiniers » ces gens de plus en plus nombreux qui disent fièrement faire du « potager bio » parce qu’ils ont 2 pieds de tomates cerises qui se battent en duel, 2-3 aromates, et au maximum 10m2 où poussent quelques salades faméliques, une poignée de carottes qui ne dépasseront jamais l’épaisseur d’une mine de critérium et curieusement toujours plusieurs pieds de courgettes à vomir la courgette jusqu’à la fin de ses jours. 

S’ils se font plaisir, c’est bien et bravo à eux et je les encourage à aller plus beaucoup plus loin vers une « semi » autonomie en fruits et légumes, parce que la confrontation au réel dans le travail de la terre est plus éducative que n’importe quelle démonstration scientifique ou historique.

Mais ceux d’entre eux qui ont l’illusion de croire que c’est ainsi qu’on pourra nourrir le monde et qui se donnent le droit de s’ériger en donneurs de leçons ont, soit perdu la raison, soit n’en ont jamais été doté.

 

Pour résumer très rapidement ce qui est oublié par le plus grand nombre au vu de nos plantureux étals de magasins depuis 1/2 à 1 siècle, rappelons que produit « naturellement », selon les lieux et les climats ouest européens, tout légume ou tout fruit arrive à maturité à un moment précis de l’année, qui peut être aussi court que moins d’un mois, et parfois peut durer plusieurs mois grâce à l’étalement des variétés. 

Pour faire simple, la croissance d’un végétal, selon sa variété, est lié à un ensemble de facteurs, qui outre le PH du sol, les éléments nutritifs, tous chimiques, qu’il trouvera à sa disposition et la satisfaction de ses besoins en eau (H2O), sont des exigences de chaleur, ou parfois de fraîcheur ainsi que de luminosité. 

A l’époque de nos maraichers, la luminosité reste un facteur limitant car il y a un grand nombre de plantes de jours courts et des plantes de jours longs, c’est à dire qu’elles ne se développent correctement qu’en fonction de la durée du jour. Mais c’est une autre question.

Dès le XVIème siècle en Europe, les habitants des Pays Bas développent sur de petites surfaces, un maraichage hautement productif, grâce à des apports considérables en fumier, à un ensemble d’innovations techniques et à un travail systématique sur la sélection des semences. 

Ils n’ont pas inventé la « couche chaude » au coeur du système des maraichers parisiens. En 1600, l’agronome français Olivier de Serre la décrit dans son « Théâtre d’agriculture et mesnage des champs » et décrit le « chauffage » des légumes contre les frimas de l’hiver par l’usage de fumier frais de cheval épandu autour. Il semble s’agir de techniques déjà bien connues. Mais rappelons qu’au temps d’Olivier de Serre, dans la France d’ancien régime, le fumier est une denrée rare et précieuse, et plus dans les campagnes que dans les villes.

Ce sont néanmoins les Hollandais qui ont développé à grande échelle, l’usage des couches chaudes couvertes de châssis vitrés, grâce à un développement important de l’élevage intensif en stabulation à la même époque. L’élevage intensif en stabulation leur a donné le fumier nécessaire. De la sorte, ils parviennent à produire des légumes avec des mois d’avance sur leur saison normale.

Les cours royales d’Europe, y compris françaises, se font livrer des légumes néerlandais grands primeurs grâce à des systèmes de transports rapides par changements de chevaux dans des relais placés sur les itinéraires.

Au XVIIème siècle, Louis XIV est friand d’asperges. Son directeur des jardins potagers royaux, Jean Baptiste de la Quintinie, lui en offre des blanches 6 mois par an. Il met en place à Versailles une grande aspergeraie et dès novembre coiffe une première parcelle de châssis et met en place autour des « réchauds » pour offrir au roi, les premières asperges forcées dès les fêtes de fin d’année. De mois en mois, d’autres parcelles reçoivent des châssis et sont entourées de « réchauds » de sorte à ce que les récoltes d’asperges se succèdent, jusqu’à ce que les asperges de saison arrivent à leur tour au cours du mois d’avril et on les récoltera jusque juin.

Il en est ainsi de bien d’autres fruits et légumes, y compris exotiques pour lesquels Jean Baptiste de la Quintinie multiple les prouesses et innovations pour satisfaire toutes les fantaisies de la table du roi-soleil.

A la révolution françaises, les techniques de couches chaudes et de cultures sous châssis se diffusent auprès des maraichers des grandes villes, à Paris bien sûr, mais pas seulement. Et la noblesse d’ancien régime, comme celle d’empire passe désormais une partie importante de son année dans les villes, où les distractions sont plus abondantes et la vie sociale plus intense. Et elle partage avec la bourgeoisie commerçante et industrielle en plein essor le souhait d’une alimentation raffinée et diversifiée toute l’année, peu en importe le prix.

 

Qu’est ce qu’une couche chaude, qu’est qu’un réchaud ? C’est assez simple. 

On empile très méthodiquement du fumier frais, en principe de cheval, sur une hauteur de 60 cm environ et sur 1,60m de large à peu près. Les longueurs peuvent varier, 24 mètres, 36 mètres, en général des multiples de 4. 

L’ensemble est bien tassé et arrosé et on le recouvre d’une épaisseur d’une dizaine de centimètres de terreau puis on le coiffe d’autant de coffres à 3 châssis que nécessaire, ces derniers reposant aisément sur l’ensemble grâce aux débords de la couche en largeur. Les châssis font à peu près 1,33m X 1,33m, les mesures peuvent légèrement varier, et il en faut 3 pour couvrir un coffre en bois de 1,33m de large sur 4m de long d’une hauteur d’environ 30 cm sur la longueur arrière et d’une hauteur de 20cm sur la longueur avant.. 

Pourquoi ces mesures curieuses ? Tout simplement parce que le système métrique n’a guère plus d’un demi siècle et l’usage a été gardé d’anciennes mesures. Le pied de Paris valait 0,325, donc un panneau de châssis fait à peu près 4 pieds. 6 pieds faisaient à peu près 2m, soit une toise. La longueur d’un coffre est donc de 2 toises.

 

En raison de bactéries qu’il contient, le fumier frais fermente et dégage rapidement de la chaleur et après un pic de quelques jours qui peut monter jusqu’à 70° au coeur de la couche, la chaleur se stabilise aux alentours de 30° pour décliner lentement dans les semaines qui suivent. Grâce à cette chaleur, on peut, partiellement, tricher avec les saisons.

Ensuite les épaisseurs de fumier peuvent varier selon le moment de la saison et le dégagement de chaleur nécessaire. Chez les maraichers on mêle généralement du fumier neuf et du fumier ancien car le fumier est stocké tout au long de l’année, tandis que les couches ne se montent que quelques mois par an. Cela ne semble pas avoir posé problème, le dégagement de chaleur est décrit comme moins fort mais plus durable.

Quand la saison était trop fraiche, ou en fonction du besoin des cultures, les maraichers pouvaient également prolonger le chauffage d’une couche en montant ce qu’ils appelaient des « réchauds » c’est à dire des épaisseurs de fumier montées le long des couches précédemment établies.

S’agissant du cas particulier des asperges, c’est une culture vivace qui peut rester en place une dizaine d’année. Pour « chauffer » les asperges blanches, on creuse dès novembre, les sentiers entre les planches d’asperges jusqu’à une profondeur d’une soixantaine de cm. On met le 1/3 de la terre sur les asperges pour les butter et on les couvre de châssis ainsi que de paillassons quand il fait froid. Le restant du « sol » des sentiers est porté en bout de rang d’où il sera ramené dans le sentier en fin de saison. Les sentiers creusés sont remplis de fumier frais et la chaleur dégagée par la fermentation « chauffe » les planches d’asperges, permettant aux asperges de sortir en 3 ou 4 semaines maximum

 

 

LES INVESTISSEMENTS

 

Courtois-Gérard a tenté une approche détaillée des frais d’installation : 12500 fr d’investissement pour 0,5 ha en primeur, contre à peu près 5000 fr pour 1 ha en pleine terre. On est loin de l’investissement en matériel du petit métier parisien indépendant de porteur d’eau : 4 seaux à couvercle, 1 bâton de portage, total 25 fr. 

Les frais de fonctionnement annuel sont estimés à 6500 fr pour 0,5 ha en primeur contre 5500 fr pour 1 ha en pleine terre mais Courtois-Gérard qui compte bien dans les frais de fonctionnement les 820 fr annuel de nourriture du cheval, passe sous silence le coût de la nourriture pour les employés qui sont en principe nourris et même logés pour ceux qui sont à demeure. Et attendu les prix alimentaires au XIXème siècle, être nourri constitue un élément du salaire.

Pour les frais d’installation, ils ne sont pas forcément exhaustif. Par exemple, on a bien dans les frais d’installation le coût d’une pompe à manège 1500 fr, les tonneaux à 12 fr l’un, il en faut une vingtaine pour répartir l’eau, et le système de tuyaux de répartition entre les tonneaux soit environ 800 fr mais on n’a pas le coût du creusement d’un puits. Certes des puits, il y en avait un peu partout à l’époque, mais on sait que pour recevoir une pompe à manège il faut non seulement un puits maçonné d’un diamètre suffisant,  mais également d’un débit approprié aux énormes besoins en eau du maraichage.

Les frais d’installation détaillés s’appliquent de toute évidence à des « marais » de bonne terre prêts à être cultivés, sans qu’il soit nécessaire de retourner le sol et/ou de ramener des gros tonnages d’amendements ou des fumiers, hors le fumier de l’année à venir.

Quelques coûts pour l’anecdote : 

Un cheval 400 fr, son harnais 140 fr, une charrette 500 à 650 fr, un arrosoir en cuivre 15 fr et les maraichers en ont entre 6 et 10, une bêche 5 fr.

Un coffre coûte 7 fr et les 3 châssis coûtent 10-12 fr l’un, ce qui fait des ensembles coffres-châssis à 40 fr qui doivent être renouvelés au bout de 15 ans. Les cloches existent en différents diamètres mais celle la plus en usage semblent avoir fait 0,40m de diamètre à la base, 0,20m à leur sommet, des formes bien adaptées à la croissance d’une romaine ou d’un chou fleur. Une cloche coûte 0,80 fr mais il en faut presque 30 pour occuper la surface d’un coffre.

 

Ramenons cela à ce dont dispose un ouvrier parisien au salaire d’un niveau médian en 1846-47, sur 365 jours : 2,60 fr à 4,34 fr pour se loger, se nourrir, s’habiller et se soigner, cela fait une moyenne de 1200 fr par an mais attendu le coût de la vie, notamment sur le plan de l’alimentation, les marges permettant une épargne sont très faibles.

Epargner est cependant plus aisé pour les gens modestes depuis qu’a été fondé en 1818, la première caisse d’épargne populaire française, celle de Paris, dont les fonds sont garantis par l’Etat. On sait par les manuels des maraichers que leurs enfants se voient céder une petite portion de jardin à partir de 10 ou 12 ans et qu’ils peuvent la cultiver librement et en tirer bénéfice pour épargner.

 

D’où vient l’argent ? Un maraicher primeuriste qui avait bien réussi pouvait sans doute aider à l’installation d’un ou plusieurs de ses enfants. Il y avait la petite mise de fond gagnée et épargnée par les enfants de maraichers sur leur petite parcelle à partir de 10 ou 12 ans.

Mais pour le reste et surtout pour les autres, ceux qui ne sont pas nés dans le maraichage et n’ont pas d’économies ? 

Difficile à dire, les annales de la SNHF sont techniques et scientifiques, elles ne disent rien des situations personnelles. 

Comment faisaient ceux qui devaient emprunter ? Le système bancaire que nous connaissons aujourd’hui ne se met en place que fin du XIXème et début du XXème siècle. 

Première moitié du XIXème, on est encore largement dans des formes de crédits qui datent des modèles hérités de l’ancien régime. On emprunte à un apparenté qui a réussi, à un grand bourgeois, à un noble, à un notaire, à un usurier professionnel. 

Le système de prêt n’est pas impersonnel comme aujourd’hui mais au contraire principalement interpersonnel. 

Cela implique qu’il fallait sans aucun doute posséder de très sérieuses références pour pouvoir emprunter la forte somme que nécessitait la mise en place d’une exploitation. 

Etre issu d’une grande famille de maraichers devait aider mais il fallait, sans aucun doute avoir fait ses preuves comme garçon maraicher tant par sa maîtrise de tous les aspects de la culture légumière, que par son courage au travail, et pouvoir en apporter la preuve, en étant présenté par son maître. 

Il fallait sans aucun doute être en parfaite santé. La remarque peut prêter à sourire, mais au XIXème siècle où les ravages d’innombrables maladies le disputent à l’impuissance d’une médecine encore bien pauvre en remèdes, on sait que c’est une question omniprésente dans les préoccupations quotidiennes. 

Et puis bien sûr, nos maraichers le répètent assez, il faut être marié, car il n’y a pas de maître maraicher sans une femme et de préférence une femme issue d’une famille de maraichers qui en connaisse le métier et puisse en supporter le travail.

On ne sait rien des taux pratiqués, ils sont à l’époque légalement plafonnés à 5% mais la loi est ignorée et les taux pratiqués sont souvent de 10 à 15% voir beaucoup plus. Je n’irais pas plus loin sur ce sujet, j’ai beaucoup de questions, pas de réponses.

 

 

LES SOLS

 

C’est une très vaste question passionnante que j’aborderais sans doute dans un article ultérieur. 

Il est consternant de constater que des collapsologues, qui n’ont jamais fait pousser une salade, annoncent régulièrement qu’en raison d’un siècle d’exploitation intensive des sols, ainsi que de l’usage de produits phytosanitaires ou d’herbicides, nos sols sont morts ou malades et que nous allons tous mourir de faim. 

Certes quand on bétonne ou qu’on bitume ou qu’on construit sur des sols qui étaient particulièrement épais et fertiles grâce à la triple conjonction d’une géologie favorable, d’un climat adapté et de millénaires de travail humain, c’est effectivement préoccupant. 

Mais globalement là où ils ne sont pas bétonnés, bitumés ou construits, ces sols épais et fertiles se portent bien partout. 

La hausse vertigineuse des rendements agricoles en témoigne. Ces hauts rendements sont aujourd’hui gravement menacés par les interdictions (glyphosates, traitements phytosanitaires, semences OGM, engrais) qui frappent déjà ou sont en train de frapper une agriculture qui nous nourrit particulièrement bien et à pas cher, comme jamais nos ancêtres n’auraient pu en rêver.

J’ajouterais que botaniste amateur, si j’ai eu à aller de plus en plus loin durant mes années en Ile de France ou ailleurs en France pour me régaler d’une grande diversité de plantes sauvages, ce ne fut jamais en raison des zones agricoles mais bel et bien en raison des bétonnages, bitumages et constructions de zones commerciales, d’immeubles et de zones pavillonnaires. 

Ensuite, bien sûr des plantes disparaissent, d’autres apparaissent, je ne comprends pas l’effroi de certains botanistes, c’est ainsi depuis la nuit des temps. Le plus passionné et le plus chevronné des botanistes serait sans doute sérieusement perdu par un voyage dans le temps de 50 000 ou 10 000 ans en arrière dans une région qu’il connait parfaitement aujourd’hui et serait sans doute même très perplexe 2000 ou 1000 ans en arrière.

 

On m’objectera qu’il existe des sols aux substrats trop rocheux, trop argileux, trop sableux, trop secs, trop humides, sous des climats trop froids ou trop chauds et tous hautement défavorables à l’agriculture et que ces sols sont en danger. 

Encore une fois, au cours des millénaires écoulés, par un travail harassant et une grande intelligence adaptative, nos ancêtres cultivateurs sont parvenus à tirer de ces sols ingrats des productions agricoles qui leur ont permis de survivre. Et l’agriculture moderne, mécanisée, scientifique et productiviste, partout dans le monde, repousse encore les limites pour peu qu’on ne lui interdise pas de travailler ou qu’on ne lui supprime pas les herbicides qui permettent d’épargner les labours à des sols fragiles.

Mieux parfois, elle se passe même désormais de sol, elle produit « hors sol », un substrat stérile, de l’eau, une solution de nutriments chimiques. Contrairement à ce que beaucoup de gens imaginent aujourd’hui, le « hors sol » est une invention du XIXème et c’est ce qui permit de déterminer les besoins nutritifs moyens des plantes grâce à de multiples essais de dosages de solutions. Nous devons cela à un brillant chimiste qui s’appelait Justus von Liebig et qui mérite d’être connu pour autre chose que l’invention des bouillons cubes.

 

Courtois-Gérard comme JJ Daverne et JG Moreau décrivent le « marais » idéal à acheter ou à prendre en bail en s’attardant sur la qualité du sol, sa pente, son exposition.

On préconise l’absence d’arbres et les haies sont considérées comme nuisibles aux cultures, mais on conseille un lieu clos de murs assez hauts, qui offrent selon leur positionnement des zones protégées des frimas de l’hiver ou de la brûlure du soleil en été. La présence de bâtiments adjacents, selon l’exposition, peut être envisagée comme un avantage.

Précisons quand même qu’à Paris, en banlieue parisienne et dans la plus grande partie de l’Ile de France, les sols comme le climat et la pluviométrie sont plutôt très favorables à l’agriculture et ce fut une des raisons pour lesquelles cette région fut si tôt si riche en humains.

Mais ici et là, en raison d’un substrat trop argileux, trop sableux, trop pierreux, trop calcaire… il faut selon la situation défoncer en profondeur ou remblayer ou les deux et souvent amener quelques centaines de tonnes de fumier pour démarrer. 

On croise un maraicher qui a entassé du fumier dans une ancienne carrière, le maraicher Josseaume a transformé un sol sableux et caillouteux, Gauthier travaille sur d’anciens remblais sur lequel il entasse des balayures de rues, Legros lutte contre son coteau crayeux et pierreux. En banlieue, on converti des marécages en cressonnières productives pour satisfaire la hausse de la demande parisienne.

Il est en tout cas évident qu’il n’y a de la part des maraichers parisiens du passé aucune prosternation devant la « nature ». 

S’il faut la transformer par de gros travaux, ils sont entrepris et à l’époque, il n’y a pas de tracteurs 100 cv, ni de charrue pour labour de défoncement profond et pas de chargeur et de cribleur pour épierrer, pas de camion benne 30 tonnes pour amener le fumier, pas de chargeuse-pelleteuse pour le charger, décharger et l’étendre.

Tout ce qui est fait l’est par le travail animal ou humain.

Pour débuter un maraichage sur un mauvais terrain, Courtois-Gérard suggère d’en modifier le sol en 3 ans, en faisant des couches chaque année sur 1/3 du jardin, les autres 2/3 étant cultivés en « gros légumes ». Il conseille ensuite de laisser la couche en place comme engrais et nouveau sol, et de faire ainsi successivement les 2 années suivantes sur les 2 autres tiers du jardin. Ainsi au bout de 3 ans, une nouvelle épaisseur de terre a été créé. 

 

Et surtout surtout, la présence indispensable d’un ou 2 puits ne tarissant jamais présente un caractère impératif. 

On peut bouleverser et transformer un mauvais sol ou en créer un nouveau par ajout de matière, mais sans un accès à une eau particulièrement abondante en toutes saisons, point de maraichage. 

La question de l’eau est en maraichage aussi importante que la question des engrais. La plupart des légumes demandent pour croître des quantités d’eau conséquentes. Un pied de melon réclame au moins 250 litres au cours de son développement, des salades prêtes à pommer au moins 10 litres/jour/m2, le double s’il fait chaud, le plus léger stress hydrique provoquant une montée en graines. Courtois-Gérard indique une consommation de 96m3/jour pour 5000 m2 quand il fait chaud et sec. Certes il pleut beaucoup en Ile de France, mais en maraichage intensif, il en faut beaucoup plus qu’en plein champs et surtout dispensée à des périodes bien précises selon la croissance des plantes, et la présence de châssis ou de cloches ajoute à la problématique. 

On sait par Courtois-Gérard qu’établir un puits maçonné propre à recevoir une pompe à manège coûte entre 800 à 1800 fr selon la profondeur, en sachant qu’à Paris, sous les vastes dépôts alluviaux de l’ancien lit majeur de la Seine, dans les alternances de sables et calcaires, on trouve facilement des couches argileuses. On trouve chez les maraichers des profondeurs de puits entre 10 et 40 mètres et en moyenne aux alentours de 20m.

 

 

LES ENGRAIS

 

« L’engrais est l’âme de la culture, il multiplie la production à l’infini. Depuis quelques années, la chimie a conduit à ce résultat remarquable… » Annales de la SNHF 1845, Bailly de Merlieux

 

Si je commence à m’intéresser au manuel des maraichers, il y a quelques mois, c’est en raison d’un tissu de fadaises sur les sites le présentant. Bien sûr en priorité, il y a avait cette histoire de 1800 maraichers parisiens auto-alimentant Paris en légumes, à une époque où il n’y avait pas de transports. Diable quelle absence de culture historique !

Mais ce qui m’avait fait bondir était un site qui racontait ce livre en évoquant un fumier disponible à l’infini et une consommation de fumier annuel de 1m3 par m2 de maraichage parisien. Sur une base basse de 170 kg de fumier de cheval au m2, on aurait eu 1 tonne pour 6 m2 de maraichage… Sur une base d’un hectare, en déduisant le quart d’un hectare pour installations et chemins, cela laissait à penser qu’on pouvait atteindre les 1250 tonnes de fumier par an. 

Pour quelqu’un comme moi, qui sans en vivre, a une petite exploitation agricole et se tient au courant des pratiques agricoles comme des normes, tant par des revues, des stages professionnels et des rencontres avec des collègues, la première pensée qui m’est venue à l’esprit a été l’interdiction immédiate de tous ces maraichages, s’ils existaient encore, au nom d’une norme stricte qui s’appelle la directive « nitrates » et vise à préserver les nappes phréatiques et les cours d’eau d’une pollution aux nitrates.

 

Il faut bien comprendre ce qu’est un fumier et actuellement la grande majorité des gens l’ignorent complètement. 

C’est une masse d’éléments végétaux (ou parfois animaux, volailles et porcs sont omnivores) ayant subi une dégradation dans le système digestif d’un animal. Cette dégradation digestive qui est un pur phénomène chimique a également « fabriqué » des éléments chimiques spécifiques intéressants pour la nutrition des plantes. 

Et oui une plante, comme n’importe quel organisme vivant, n’est rien d’autre qu’une usine chimique qui mange, boit et excrète des déchets…… 

Pour faire court et simple, une plante possède dans ses feuilles des cellules spécifiques qui captent le CO2 (le vilain dioxyde de carbone) contenu dans l’air, reçoivent de l’eau (H2O) qui remonte depuis les racines, et grâce à l’énergie lumineuse du soleil produisent des glucides qui nourrissent la plante. Lors du processus, la plante rejette de l’oxygène O2. Mais outre les glucides, une plante a besoin impérativement d’éléments minéraux qui servent à sa structure ou qui aident aux diverses réactions chimiques qui se produisent dans ses cellules. Ces éléments minéraux sont, comme l’eau, « aspirés » par les racines

On connait 17 éléments minéraux indispensables à la vie des plantes, des macro éléments et des micro éléments. Parmi les macro-éléments les plus importants, il y a de l’Azote, du Phosphore et du Potassium. 

Et même si cela surprend souvent les gens des villes,  un fumier comme n’importe quel engrais chimique de synthèse s’analyse en NPK, N pour Azote (du grec Nitron : salpêtre), P pour Phosphore, K pour Potassium, auxquels s’ajoutent des quantités variables de minéraux qui font partie des autres macro éléments et micro éléments indispensables. 

Les analyses de fumier sont d’ailleurs assez courantes dans le monde agricole. Dans un fumier, les dosages et disponibilités pour les plantes du Phosphore et du Potassium varient à peu près fixement selon les fumiers, le stockage ou le temps écoulé. Par exemple, les fumiers de porcs ou de volailles on une plus faible disponibilité en Phosphore que les fumiers équins ou bovins. 

Ce n’est pas aussi simple pour l’Azote ou pour les différentes formes de nitrates dans lequel il se dégrade. 

Les dosages en nitrates varient considérablement selon les fumiers, les modes et conditions de stockage, la durée de stockage et même l’enfouissage. Même pour un agriculteur expérimenté, l’usage du fumier est bien plus compliqué que l’usage d’engrais chimique en raison des variations en NPK pas toujours maîtrisée. Actuellement, à mon sens, le fumier n’est réellement très valorisable que dans les zones agricoles où du fait de la géologie et/ou du climat, les sols arables sont extrêmement minces et où il faut, en conséquence, « créer du sol ».

 

Donc revenons aux directives nitrates, c’est à dire l’Azote qu’on met dans les sols mais qui va évoluer sous différentes formes chimiques, d’où le pluriel. 

Que disent ces directives ? Elles varient quelque peu selon les régions et selon les analyses des nappes phréatiques et des cours d’eau mais en moyenne, il est exceptionnel de pouvoir dépasser 160 à 320 kg de nitrates à l’hectare. Un fumier équin contient plus ou moins 8 kg d’azote à la tonne. Si on épand du fumier équin, on ne peut donc dépasser 20 à 40 tonnes de fumier à l’hectare. A 1250 tonnes de fumier équin/ha, on est face à un pollution aux nitrates absolument impensable.

 

Dans le manuel de la culture maraichère, JJ Daverne et JG Moreau se vantent de ne pas utiliser d’engrais, c’est sans doute une des raisons pour lesquelles la majorité des promoteurs du maraichage bio mettent en avant le fait que les maraichers parisiens du XIXème pratiquaient une agriculture respectueuse de l’environnement. Visiblement ces promoteurs du maraichage bio ne savent pas comment se décompose chimiquement un fumier…

En fait, par engrais chez JJ Daverne et JG Moreau, on comprend qu’ils entendent gadoues et poudrette, Courtois-Gérard n’est pas aussi catégorique. 

Ils indiquent aussi ne pas acheter de fumier pour fertiliser leurs terres et se contenter du « paillis » issu de leurs couches.

Voilà également ce qui a peut-être conduit certains lecteurs actuels à s’imaginer que les terres ne recevaient aucune fumure et que tout croissait grâce à une merveilleuse vie microbienne du sol, un grand sujet à fadaises actuelles.

En fait, peu de gens savent que le fumier s’utilise rarement frais. Il subit une maturation ou compostage, soit en « fumière», anciennement, soit plutôt en andins actuellement, en respectant des prescriptions environnementales rigoureuses. Mais il y a d’autres techniques.

Au XVIème siècle, Olivier de Serre, un extraordinaire agronome français conseille ainsi la construction des « fumières » :

« Faire deux ou trois grandes fosses légèrement creusées et si possible pavées pour y entasser le fumier des étables et tous les déchets divers. Il est mieux de faire ces fosses à la fois en devers d’un chemin ou d’une cour pour que les eaux de ruissellement de ce chemin et de cette cour puisse s’écouler dans la fosse et mouiller le fumier, mais également si cela est possible, en partie haute d’un champs pour que les eaux de ruissellement évacuées de la fosse aillent enrichir le champs. »

Dernier détail, si les fosses sont à l’abri de la bise, c’est mieux car les volailles y viendront remuer le fumier et se nourrir des vermines…

 

En essayant de faire simple car la question du fumier est extrêmement complexe, il y a 3 raisons à la maturation du fumier, les maraichers ne connaissaient que la première : 

-Le fumier frais subit une sorte de fermentation qui le fait monter en chaleur, c’est d’ailleurs cette caractéristique qu’utilisent les maraichers du XIXème pour en faire le système de chauffage de leurs châssis.

-L’Azote du fumier n’est pas immédiatement disponible mais doit subir une transformation grâce à des bactéries pour pouvoir être accessible aux plantes. Pire, si le fumier est enfouit frais, sa transformation consomme de l’Azote du sol et est susceptible d’entraver la croissance d’une culture. C’est d’ailleurs en remuant plusieurs fois des andins de fumier qu’on obtient au cours des mois une bonne concentration en nitrates, assez stables et assimilables par les plantes. C’est finalement ce que faisait les maraichers parisiens qui remuent leurs système de chauffage pour les relancer mais ces derniers ignoraient le mécanisme relatif à la disponibilité de l’Azote.

-Le fumier contient un ensemble de micro-organismes pathogènes en quantité plus ou moins importantes, la montée en température de ce dernier lors de la maturation détruit une grande partie de ces micro-organismes. Dans le cas spécifique du maraichage, un fumier frais qui contient quelque chose de nuisible à la santé humaine, par exemple des salmonelles, peut les transmettre à des légumes par souillure.

 

Donc quand les maraichers parisiens parlent de paillis pour amender leurs terres, ce n’est pas de la brisure de paille ou de végétaux comme je l’ai lu sur un site, mais bel et bien du fumier composté « naturellement » par l’utilisation qu’ils en ont fait comme système de chauffage de leurs châssis. C’est tout simplement du fumier « maturé » et justement à un stade optimum pour être un excellent engrais. Précisions également que ce qu’ils nomment terreau n’est pas le produit de la dégradation de végétaux divers comme aujourd’hui mais bel et bien du paillis, c’est à dire du fumier qui a fini d’être « consommé » et qui est bien plus riche qu’un terreau de végétaux.

 

Le manuel des maraichers indique également que ceux qui font des primeurs n’enfouissent pas de fumier car la fertilité de leurs sols est suffisante. Bien évidemment, quand sur 1/3 ou la 1/2 de la surface d’une exploitation, on entasse plusieurs mois par an des hauteurs de 40 à 60 cm de fumier, abondamment arrosé, on se doute que les infiltrations de matières fertilisantes dans les sols sont énormes. Quand les couches étaient retirées, il n’était nul besoin de fumer quoi que ce soit. Et je ne parle pas des infiltrations dans les nappes d’eau, les eaux des puits de nos maraichers devaient être aussi immensément riches en éléments nutritifs pour les plantes que toxiques pour la consommation humaine.

 

Pour les maraichers parisiens du XIXème siècle, l’approvisionnement en fumier de cheval se faisait en principe par abonnement au mois ou à l’année auprès de quelqu’un qui hébergeait des chevaux dans une écurie, que ces chevaux lui appartiennent ou non. 

La pratique est citée ici et là au XIXème siècle et semble banale. On sait ainsi que JJ Daverne est abonné chez des aubergistes de La Chapelle.

Courtois-Gérard donne un prix mensuel de 4,5 fr au mois et se plaint d’une considérable hausse des prix, sans doute en raison de la demande. Un cheval en stabulation fourni actuellement environ 12 tonnes de fumier par an, excréments, urine et paille mêlés. Mais un cheval du XIXème siècle ne passait pas sa vie à l’écurie, et même si son propriétaire avait soin de le ménager vu l’investissement qu’il représentait, tout cheval du passé faisait des journées plus ou moins longues de travail. Une partie du fumier était donc perdue sur la voie publique. 

Il me parait donc raisonnable d’estimer le fumier d’écurie qui pouvait être réellement récolté à environ la moitié de 12 tonnes/an, soit à peu près 1/2 tonne par mois, ce qui mettrait la tonne à 9 fr. C’est une évaluation qui n’engage que moi.

Une édition de 1845 de la Maison rustique du XIXème siècle donne un prix moyen de la tonne de fumier pris sur lieu, entre 4 fr et 8,40 fr. Et on en prévoit 58 tonnes pour fumer un champs d’un hectare…

Notons que la même estimation double presque le prix pour un transport à 2 lieues, ce qui est énorme. Le fumier est un engrais pondéreux et encombrant, qui n’est pas forcément produit dans les endroits où on en a le plus besoin, un des gros problèmes du XIXème. Cela jouera beaucoup dans la concurrence avec les engrais chimiques émergents. 

 

Dans le premier compte-rendu connu de son exploitation, annales de la SNHF en mars 1842, JJ Daverne cultive un terrain de 0,80 ha seulement, il s’agrandit donc ensuite. A cette époque, JJ Daverne explique avoir acheté ce terrain en 1829 et y avoir amené d’énormes quantités de fumier pour l’amender et il indique rentrer 400 voitures de fumier de 1,5 tonnes chacune annuellement. Lorsque sa propriété passe à 1,02 ha + 0,50 ha en location, il donne les chiffres de 400 à 600 voitures de 1,5 t de fumier pour 3000 à 4000 fr annuel. J’ai supposé, sans certitudes que le chiffre de 600 à 900 tonnes de fumier rentré annuellement pour 1,5 ha était exagéré tant il est tout simplement inouï au regard de la pollution des sols et des nappes que cela implique.

Se peut-il que Daverne n’ait pas eu une idée claire du poids réel d’une voiture de fumier. Des différents comptes rendus de son exploitation, JJ Daverne semble ne posséder qu’un seul cheval, ce qui est en général la règle dans le maraichage parisien. Un cheval de trait pèse en 400 et 600 kg actuellement, et on est plutôt sur des valeurs basses à l’époque, et on considère actuellement qu’il peut tracter environ 1 fois et demi son poids, mais en 2020 nous sommes également bien plus soucieux de respecter les forces d’un animal. Et j’avoue que des cartes postales du début du XXème montrent des charrettes attelées à 1 cheval dont la taille et le contenu laisse à soupçonner qu’on dépassait allègrement la tonne.

La charrette attelée des maraichers du XIXème est relativement standard et assez bien connue.

Pour la partie « caisse » à proprement parler, elles font environ 1m80 de large pour 2m de long minimum et 0,60 de profondeur minimum à 1,20m. Sur la base 1,80X2X1, cela fait 3,6m3. Sur une base, que je reconnais basse de 170 kg de fumier au m3, ces charrettes pourraient contenir un poids d’environ 600 kg de fumier. 

Au poids du fumier, il faut rajouter celui de la charrette que j’avoue ne pas connaitre précisément ; à partir de recoupements, il me parait difficile d’estimer une charrette de maraicher pesant moins de 150 kg, et sans doute plutôt 200 ou 250 kg.

Cela fait un minimum de 800 kg pour une charrette de maraicher chargée de fumier de cheval ce qui, sur des courtes distances, sans pente forte sur un chemin entretenu et sec ne présente pas de difficultés. 

En traction attelée, sur sol plat et lisse, la force de traction requise est étonnamment faible. Ce sont les pentes, les irrégularités du sol, les frottements, les adhérences éventuelles comme un sol boueux qui augmentent considérablement l’énergie requise. 

Si l’on retient le chiffre de 600 kg de fumier par voiture, soit le 1/3 seulement du poids annoncé par JJ Daverne, en 1841, pour 400 voitures, JJ Daverne aurait rentré 240 tonnes de fumier pour 0,80 ha, soit à 9 fr la tonne, pour 2160 fr de fumier. Et 600 voitures correspondraient à 360 tonnes pour la somme de 3240 fr.

Moreau exploite 0,58 ha et dit rentrer 1200 à 1500 fr de fumier annuel. A 9 fr la tonne cela ferait 133 à 166 tonnes. 

Noblet dans le village de Vaugirard en rentre 1200 fr pour 0,60 ha ce qui est assez proche de Moreau. 

Dulac dans le village de Vincennes rentre 3600 fr pour 0,85 ha, Stainville, rue de Reuilly à Paris rentre 420 voitures pour 3500 à 4000 fr pour 0,80 ha, Josseaume, également rue de Reuilly rentre 400 voitures pour 3500 fr pour 0,85 ha, tous ces chiffres ne sont pas trop éloignés les uns des autres, ni très éloignés du nombre de voitures de Daverne et du coût qu’il annonce.

Par contre Piver de la rue St Antoine à Paris rentre 400 à 450 voitures pour seulement 2500 à 3000 fr et pour 0,75 ha, c’est moins cher, tandis qu’un autre Le Piver de la rue du Fbg du Temple rentre 300 voitures qu’il précise bien à 1 cheval pour 4000 à 5000 fr pour 0,95 ha, c’est plus cher. Je n’ai pas d’explications.

Et puis peut-être que je commets une erreur et que JJ Daverne et ses petits camarades rentrent réellement des voitures de 1,5 tonne ?

Je n’ose l’imaginer… Il s’agirait du manuel des maraichers les plus pollueurs de tous les temps…

 

On remarquera que Courtois-Gérard, moins politiquement correct que JJ Daverne et JG Moreau évoque également l’usage des fumiers de vaches, de moutons, des gadoues et de l’engrais humain désinfecté au poussier de charbon ou au vitriol vert, c’est à dire au sulfate de fer, qui a beaucoup d’usage à l’époque. 

Il mentionne également l’engrais liquide dont on a une recette précise dans les annales de la SNHF. Il s’agit de faire une fosse de 4 à 16 m2 et de 1 mètre de profondeur dans un lieu surélevé, bien la tapisser de glaise pour l’étanchéifier avec en contrebas un dispositif de bonde conduisant dans une cuve. On remplit cette fosse de fumier frais et on arrose puis on laisse macérer au moins 15 jours ou un mois et on récupère le liquide, qui en fonction des besoins et de sa concentration pourra être repassé dans la fosse une seconde fois avant d’être utilisé en arrosages. 


 

 

 

 

 

 

LE NOMBRE DE RECOLTES ANNUELLES

Combien les maraichers font-ils de récoltes sur une même parcelle ?

Dans sa proposition de bilan moyen de 2 exploitations, l’une sur 1 ha, dite en pleine terre, l’autre sur 0,5 ha faisant des primeurs et de la pleine terre, Courtois-Gérard donne l’un ou l’autre cas ce qui se fait habituellement, au cours d’une année planche par planche. 

Récoltes annuelles :

Planches de pleine terre : 3 à 4 récoltes

Couches non couvertes : 4 récoltes

Couches sous châssis : 6 récoltes

Cloches : 4 récoltes, mais elles abritent des semis et des jeunes plants sur une partie de l’année.

Entendons nous bien sur ces récoltes successives sur des mêmes planches, si les semis étaient fait en place, les durées végétatives de la plupart des plantes interdiraient de telles successions. Il y a bien sûr des exceptions, comme un certain nombre de salades de printemps ou d’été, qui viennent en 2 mois voir 1 mois et demi, des radis roses qui, à l’époque, viennent en un peu moins d’un mois, mais à contrario un chou fleur a une durée végétative moyenne de 6 mois.

Les graines sont semées sur une toute petite surface, en fonction du nombre de plants souhaités et les jeunes plants sont repiqués à plusieurs reprises au fur et à mesure de leur croissance. Cela permet d’optimiser l’espace mais nécessite un bon coup de main pour prélever les jeunes plants avec leur motte de racines complètement intactes. A défaut, on a des stress de repiquages qui seront dommageables à la croissance et à la santé de la plante. 

Et cela nécessite de la main d’oeuvre pour un long travail à la chaine. 

Sur les semis et repiquages, je rappelle dans mon article précédent l’anecdote d’une visite chez un maraicher le 12 janvier 1846. Il présente 700 salades romaines sur couches chaudes et sous cloches, prêtes à partir à la vente. Semées début septembre, elles ont subi 3 repiquages successifs pour optimiser l’espace.

Une telle succession de cultures impose bien sûr des amendements à la hauteur des besoins nutritifs des plantes, d’autant que certains assolements font se succéder des plantes dont les besoins sont proches et il en est de même des complantais, c’est à dire des légumes parfois associés sur la même planche. 

Mais on l’a vu, grâce au fumier de leurs couches chaudes, les maraichers primeuristes ont à leur disposition une quantité d’engrais astronomique.

 

Contrepartie de la pluralité des récoltes annuelles, on est cependant frappé par la pauvre diversité de leurs productions entièrement axée sur des produits à forte valeur ajoutée à destination d’un clientèle aisée.

Ils cultivent une gamme assez limitée de salades (5 laitues, 3 romaines qui sont aussi des laitues, quelques chicorées ), de choux fleurs (3 variétés), de melons (4 variétés tous du type cantaloup contre une vingtaine assez connus en France), de carottes (2 variétés sur les 12 communes des potagers), de tomates (1 variété rouge côtelée pour une dizaine commune) etc… et les seules distinctions variétales au sein d’une culture sont dictées par l’adaptation aux exigences de saison.

 

Quelques extraits révélateurs…

« La culture maraichère ne comporte pas la culture de tous les légumes connus dans les jardins. Il en est même d’estimés que nous ne cultivons pas… et que nous ne pourrions jamais les vendre avec bénéfice. … Nous ne négligerons pourtant pas de parler de certains légumes que nous ne cultivons pas… »

« Les maraichers de Paris ne cultivent pas l’oignon rouge parce qu’il est d’un faible prix… » 

« Les maraichers de Paris ne cultivent pas le chou blanc parce qu’il occupe la terre trop longtemps, parce qu’on en cultive quantité dans les environs, … parce que son prix ne paierait pas les frais de la culture à Paris, … et quoiqu’il s’en consomme beaucoup, il ne parait rarement sur les tables opulentes… » 

«  Depuis que la culture maraichère fournit des laitues pommées pendant tout l’hiver, elle ne fait plus de laitues à couper… » 

«  La culture des pois de primeur n’est pas très lucrative… et cela explique pourquoi si peu de maraichers font des pois de primeur » 

« Les maraichers de Paris ne cultivent que l’espèce suivante de haricot pour la manger en vert… »

« En résumé, la culture maraichère ne peut et ne doit exploiter que les légumes qui ont un cours établi à la halle de Paris et on doit attendre que les autres productions horticoles ou agricoles, dont les qualités sont préconisées par ceux qui les connaissent, par quelques amateurs de nouveautés, soient recherchées ou cotées à Paris pour en entreprendre la culture » Manuel… JJ Daverne, JG Moreau.

TEMPS DE TRAVAIL

Commençons pas être clair, dans les mondes agricoles du passé, les temps de travail étaient extrêmement lourds. 

J’écris « les mondes agricoles » car il pouvait avoir des différences de vie et de statuts considérables, à la fois selon les régions, les types de culture ou d’élevage et les statuts sociaux. 

Ce n’est pas par hasard que certaines régions ont été plus rapidement fuies et désertifiées que d’autres. Il est certain que l’on vivait mieux sur les riches terres de l’Ile de France, de la Beauce ou de la Normandie que sur les rocailles des Causses ou les landes de Gascogne avant qu’on remplace un misérable système agro-pastoral par une vaste forêt artificielle et exploitée lucrativement pour le bois et la résine. Il est certain également que le grand propriétaire terrien qui employait plusieurs ouvriers à demeure ainsi que des journaliers en nombre variable avait probablement une vie moins harassante que celle de ceux qu’il employait, les ouvriers à demeure étant en principe mieux traités que les précaires journaliers.

 

Le maraichage ne fait pas exception. Dans les annales de la SNHF, on ne rencontre pas les maraichers de gros légumes de la plaine des Vertus ou de grandes banlieues, mais on côtoie les primeuristes parisiens, producteurs de « caviar végétal » pour les riches aristocrates et grands bourgeois de la capitale. 

Il est notable de constater qu’en dépit d’un temps de travail hallucinant des maraichers, « 14 à 20h par jour » écrivent JJ Daverne et JG Moreau dans leur manuel, tous deux parviennent à dégager du temps, à la fois pour écrire un manuel, mais aussi pour assister aux nombreuses séances de la SNHF, être jury de concours, et même pour faire partie de nombreux « comités » qui vont visiter d’autres exploitations. 

Ils dégagent vraisemblablement suffisamment de bénéfices pour avoir la main d’oeuvre permettant de pallier à leurs absences. 

« Avant l’introduction des cultures forcées dans les marais de Paris, la classe maraichère…… ne jouissait que d’une faible considération : un maraicher n’était alors guère recherché en dehors de sa classe ; aujourd’hui, il n’en est plus ainsi ; le maraîcher qui a la réputation d’être habile dans la culture des primeurs voit souvent un équipage à sa porte et des personnes, considérables par leur rang et leur fortune en descendre…… » 

Manuel de la culture maraichère, JJ Daverne, JG Moreau.

 

Encore une fois, il est intéressant de croiser les manuels de JJ Daverne et JG Moreau avec celui de Courtois-Gérard.

Dans les 2 manuels, il n’y a pas de maraichers sans femme, et tout maraicher qui veut s’établir doit commencer par se marier, le choix d’une épouse étant en principe toujours fait dans le même milieu car écris Courtois-Gérard « Il faut y être né pour en supporter les fatigues ». 

La femme du maraicher, appelé « maîtresse », a pour mission principale les récoltes, les ventes à la halle et la gestion de la maison. A cet égard, après avoir préparé  toute la soirée les hottes, mannes, manettes de légumes et monté le chargement de la charrette de la récolte quotidienne, elle part à la halle vers 2h du matin en été, et 4h du matin en hiver. Elle en revient après la fin de la vente vers 8h du matin en été, 9h en hiver. Elle ramène les provisions du jour car elle est chargée de préparer les repas ou tout au moins d’en superviser la préparation et, en principe, a également fait escale dans une écurie où l’exploitation a un contrat, pour un « plein » de fumier. Il y en a 100 à 400 par an environ selon la taille du jardin et l’importance des primeurs. 

A son retour, la maîtresse et les filles sous ses ordres, sarclent, c’est à dire désherbent, soit avec un outil, sarcloir ou binette, soit délicatement par arrachage à la main entre de jeunes plants. L’après-midi, elles cueillent, arrachent, trient et préparent les légumes qui seront portés à la halle dans la nuit. 

A vrai dire, dans les différentes narrations, je n’ai pas vraiment identifié quand la « maîtresse » dormait ? Entre 22h et 2h ?

 

Les hommes commencent le travail avant l’aube, après le départ des femmes. Sans doute faut-il comprendre aux premières lueurs de l’aube, car dans les nuits sans lune, il est peu probable qu’il aient pu travailler comme il est peu probable également que beaucoup de maraichers aient eu un éclairage au gaz mi XIXème. 

Les hommes retournent la terre, plantent, arrosent, toujours à 2 arrosoirs d’une dizaine de litres à la fois, c’est spécifié, montent ou retournent les couches, placent les châssis et le cloches.

Ils mangent un morceau de pain, tout en travaillant, à 7h du matin, « déjeunent » à 9h, ce qui implique sans doute un pause d’au moins une demie heure. Ils « dinent » à 14h et « soupent » à 20h en hiver et 22h en été. 

Gérard-Courtois mentionne une ou deux heures de pause le midi en été, et il est vraisemblable que les maraichers ne pouvaient guère travailler longtemps sous une des régulières pluies d’Ile de France, même si de tels créneaux pouvaient diversement être employés à l’abri, par exemple dans le triage des graines, l’entretien des châssis, le tressage des paillasses. 

Les affirmations de JJ Daverne et de JG Moreau selon lesquels sur 7 mois de l’année, on travaille entre 18 et 20h par jour et sur 5 mois entre 14h et 16h paraissent exagérées et incompatibles avec la résistance humaine, même en tenant compte de la dureté passée de tous les métiers de la terre. Ce serait une vie pire que celle d’un misérable journalier au fin fond d’une campagne particulièrement ingrate.

En comptant les pauses des repas, on peut tout de même raisonnablement penser qu’on excède habituellement les 12h quotidiennes en hiver et les 14-15h en été, c’est à dire à un rythme qui fait écho à celui du travail paysan dans les campagnes.

Par contre, les dimanches sont rares et aucun repos n’est mentionné, à l’exception des jours où l’on assiste à un mariage, où on suit un cortège funéraire et à la fête annuelle de Saint Fiacre, patron des jardiniers le 30 août. 

 

Une petite phrase glanée dans le manuel de Courtois-Gérard donne une idée de leur vie, pas vraiment glamour 

« L’isolement complet dans lequel ils vivent n’a pas ou peu contribué au manque total de documents sur leurs travaux ; car on peut les dire totalement étrangers à la ville qu’ils habitent, à leur quartier même, tant leur activité est concentrée dans l’espace étroit de leurs marais. »

 

Selon Courtois-Gérard, une fille (femme) à l’année se paie 250 fr, un garçon (homme) 156 fr les 6 mois d’hiver, 220 fr les 6 mois d’été. JJ Daverne et JG Moreau indiquent 240 fr à l’année pour une femme, entre 108 et 120 fr pour les 6 mois d’hiver et 180 fr à 192 fr pour les 6 mois d’été pour un homme plus des gratifications de dimanches entre 2 fr et 2,5 fr selon la saison. Comme Courtois-Gérard n’évoque pas la question des dimanches, on peut supposer qu’il les inclut dans les chiffres un peu supérieur qu’il donne. Un calcul approximatif laisse à supposer environ 3 dimanches travaillés par mois en moyenne.

Or sauf inquiétude météo ou récoltes imposant des travaux urgents, le paysan des campagnes françaises, en principe, se repose le dimanche, même si en certaines régions restées catholiques pratiquantes, c’est pour une partie de la journée sur les bancs de l’église à la grande messe du matin et aux vêpres de l’après midi.

 

Pour des gens à demeure, ces salaires incluent en principe tous les repas et le logis et l’on sait que chez les maraichers, tout le monde mange à la table du maître et de la maîtresse. 

Ramené à l’année sur 365 jours, une femme employée à demeure reçoit environ 0,69 fr/jour et un homme employé à demeure environ 1,03 fr par jour. 

Rappelons qu’à la même époque, un ouvrier parisien de niveau médian dispose chaque jour de 2,60 fr à 4,34 fr et moitié moins pour une femme. Même si les personnes à demeure sont logées et nourries, contrairement aux ouvriers, on est tout de même sur des salaires relativement faibles, surtout reportés aux longueurs des journées et à la rareté des dimanches. 

On ne peut s’empêcher de penser que l’on reste garçon ou fille maraicher uniquement faute de toute autre qualification. N’oublions pas que la plupart des métiers artisanaux et industriels de l’époque imposent un long apprentissage spécialisé commencé tôt dans l’enfance et achevé à la fin de l’adolescence. Et il n’existe bien sûr aucune structure de « reconversion professionnelle ». Le destin plus souvent imposé, parfois choisi, dans l’enfance, offre rarement une 2ème chance.

 

Outre la main d’oeuvre à demeure, on sait qu’il y a des femmes employées à la journée qui reçoivent 1 fr par jour et la nourriture, des hommes, souvent des soldats qui cherchent à gagner quelques sous, le double. Courtois-Gérard mentionne l’existence d’ouvrières qui chaque année viennent de Bourgogne pour se louer de mars à octobre à raison de 20 fr par mois + 1 f le dimanche. Vu les salaires dans les campagnes, bien inférieurs à ceux de Paris, c’est pour elle une somme qui vaut le déplacement et leur offre sans doute un fragment d’indépendance.

Les enfants participent au travail des adultes dès leur plus jeune âge selon leur capacité ce qui est classique avant l’école obligatoire et gratuite. Néanmoins, les maraichers parisiens semblent avoir le souci de donner un minimum d’éducation à leurs enfants, qui néanmoins travaillent sur l’exploitation en dehors des heures scolaires. 

JJ Daverne et JG Moreau parlent d’une scolarité jusqu’à 12 ans, Courtois-Gérard évoque plutôt 10 ans, et déplore que certains maraichers pressés par le besoin de leurs enfants pour les aider, les retirent de l’école dès 8 ans. Les lois sur l’instruction gratuite et obligatoire des enfants de 6 à 13 ans ne sont votées qu’en 1881-1882.

Il existe une pratique chez les maraichers de céder à leurs enfants à partir de 10 ans ou 12 ans, un petit fragment de terrain sur lequel ils sont encouragés à cultiver pour leur propre bénéfice et à placer ce bénéfice en épargne de sorte à se constituer un petit capital.

 

 

LES MAUVAISES HERBES

 

Dans le manuel de la culture maraichère, la traque aux mauvaises herbes est un harassant travail dédié aux femmes ou aux enfants. C’est assez logique à une époque où dans le monde agricole français, faute d’herbicides bon marché et facilement accessibles, l’indispensable désherbage des cultures est dévolu aux femmes et aux enfants qui travaillent de l’aube au coucher du soleil, binette en main. 

Il existe des photos du début du XXème siècle montrant des rangs de femmes sarcleuses ou d’adolescents.  Les prix de l’acide sulfurique, qui était la base de désherbants courants avant la 2ème guerre mondiale, ont fait que le sarclage-désherbage manuel a perduré jusque dans les années 1940 dans certaines campagnes françaises. Ce n’est pas une légende, dans ma famille et belle famille, des enfants des années 1930 n’avaient jamais oublié…

 

Encore une fois, des substances herbicides étaient connues depuis l’Antiquité, le sel notamment qui stérilisait durablement les sols, mais il faut du temps pour faire repousser quelque chose derrière. Au XVIIème siècle, on connait l’usage de l’arrosage à la chaux vive, qui non seulement désherbe efficacement mais détruit les larves d’insectes et agit sur un certain nombre de pathogènes des plantes, mais en raison du coût, cela ne s’appliquait que sur des petites surfaces chez des gens aisés. A la fin du XIXème et début du XXème, on utilisera successivement les sulfate de cuivre ou de fer à haute dose, puis les sels d’arsenic. 

 

Le caractère indispensable du désherbage d’une culture n’est plus forcément bien compris aujourd’hui.

Il y a plusieurs motifs à un désherbage parfait.

Le premier est bien sûr la concurrence faite par les mauvaises herbes aux plantes des cultures, concurrence pour les nutriments du sol, pour l’eau et pour la lumière. On remarque d’ailleurs à les lire que les maraichers de ce temps ont une idée extrêmement précise des densités possibles sur leurs planches de culture, en fonction des âges des plantes qu’ils cultivent et des repiquages successifs qu’ils effectuent. 

Le second est que les mauvaises herbes peuvent constituer des relais pour des pathogènes des cultures : maladies ou insectes. 

Les maladies des plantes sont largement diffusées par les insectes qui se déplacent de plantes en plantes. Dans d’autres cas, un insecte qui au stade adulte ne pose pas de dommages aux cultures, peut en poser au stade larvaire.

Exemple très connu, la piéride du chou, un papillon qui à l’état adulte se nourrit du nectar des fleurs sur lesquels il butine, à ce stade il ne gène personne. Mais il ponds ses oeufs sur les feuilles des plantes de la grande famille du choux. Les oeufs éclos font des chenilles particulièrement ravageuses. 

La troisième raison est le risque, reconnaissons le, extrêmement faible en maraichage manuel, de ramasser une plante toxique avec une plante consommable. Citons tout de même la petite cigüe qui peut être aisément confondue avec du persil par quelqu’un qui n’y connait rien. Elle pousse bien en Ile de France, j’en ai souvent arraché autrefois. 

Dans les grandes cultures, certaines mauvaises herbes, plus ou moins toxiques, posaient de gros soucis autrefois. A titre d’exemple, la jolie nielle des blés fut en son temps redoutée pour les intoxications graves tant humaines qu’animales.

Nous redécouvrirons sans aucun doute ces intoxications si les interdictions d’herbicides des cultures continuent à se multiplier

 

En matière de mauvaises herbes, les maraichers primeuristes parisiens bénéficiaient sans doute de plusieurs avantages par rapport aux maraichers ou aux agriculteurs travaillant en pleine campagne.

En effet, le maraichage parisien à l’intérieur de l’enceinte des fermiers généraux, est un maraichage qui se situe dans un univers urbain où, dans les rues, même si elles n’étaient pas toutes pavées, la prolifération des mauvaises herbes étaient empêchée par le piétinement et accessoirement par le nettoyage des rues. 

Les terrains qui pouvaient environner ceux des maraichers étaient des entrepôts, des ateliers ou d’autres jardins eux mêmes entretenus. En outre, la quasi totalité des jardins maraichers de Paris semble avoir été entouré de murs d’au moins 2,20m ou/et souvent de bâtiments. 

Par voie de conséquence, le risque de dissémination par le vent de graines de plantes diverses était considérablement amoindri. 

Les maraichers parisiens plantaient et repiquaient toujours au maximum de densité de plantes possibles. En occupant le sol ainsi, ils réduisaient les espaces vitaux des mauvaises herbes. Bien entendu, je le rappelle encore, cette haute densité de leurs cultures n’était rendue possible que par leurs apports gigantesques en fumier.

Pour finir, la pratique des couches chaudes réduisait considérablement les risques de germination des adventices grâce à la montée en chaleur jusqu’à 60-70° qui se déroule lors de la fermentation de la couche lors des premiers jours et qui détruit un certain nombre de graines.

Notons une publication de 1843 « Catalogue des plantes inutiles et nuisibles aux terres cultivées… et des moyens de les détruire » par le botaniste Jaume Saint Hilaire, cité dans la annales de la SNHF.

INSECTES (+ autres ravageurs et maladies)

 

Les insectes les plus nuisibles sont énumérés, ver blanc (hanneton) courtilière, criocère de l’asperge, araignée rouge (acarien), vers gris ou noctuelles (larves de divers papillons), altises. Limaces et loches qui sont des mollusques sont  en bonne place.

Rien de bien nouveau, le jardinier, simplement amateur confirmé, les connait tous parfaitement. 

Malheureusement, en ce qui nous concerne, jardiniers amateurs ou agriculteurs du début XXIème siècle, presque 2 siècles après le manuel de JJ Daverne et JG Moreau, la liste des insectes nuisibles a considérablement explosé du fait d’introductions accidentelles venues d’autres continents.

 

Soyons également clairs sur les insectes, régulièrement présentés aujourd’hui comme l’alpha et l’oméga de l’avenir du monde, ils sont au 9/10ème une calamité pour l’agriculteur comme pour l’éleveur, soit qu’ils détériorent des récoltes les rendant invendables, soit qu’il les détruisent purement et simplement, soit qu’ils transportent des pathologies diverses infectant plantes et animaux. Et même sans transporter de pathologie dangereuse, des poux de poulailler peuvent affaiblir une poule à la tuer d’épuisement, et des chapelets de tiques « sains » peuvent littéralement « saigner » un bovin dans des zones infestées et on aimerait voir les défenseurs de « maman moustique » venir travailler en plein air la journée entière, dans une zone moustiquée en pleine saison d’infestation. 

 

Tous les humains qui nous ont précédé, selon leurs moyens et leurs sociétés ont toujours mené une lutte acharnée contre les insectes et il était évident jusque dans les années 1970-1980 qu’à quelques exceptions près, abeilles, vers à soie, ils constituaient une nuisance insupportable. 

Depuis la plus haute Antiquité les recettes pour en venir à bout se sont retransmises et améliorées de génération en génération. Et ces recettes n’étaient pas exemptes de produits chimiques à la différence que Monsanto et Bayer n’existaient pas et que les produits chimiques se vendaient bruts et sans aucune précaution chez des sortes d’épiciers-droguistes ou chez des pharmaciens, et ceux qui avaient les moyens d’en acheter concoctaient ensuite leurs recettes.

On brûlait usuellement du souffre toutes portes et fenêtres fermées dans un maison ou toutes écoutilles et trappes fermées dans un bateau pour les assainir de leurs insectes. Une incroyable recette Londonienne de la fin du XIXème siècle prescrit de brosser un matelas avec du mercure contre les punaises de lit et le sulfure d’arsenic diluée dans de l’eau est ici et là dans des coupelles dans les maisons aisées pour lutter contre les innombrables mouches du bon temps ».

L’usage du souffre contre les oïdiums des plantes était déjà connu mais tâtonnant.

 

On remarquera, dans le manuel de la culture maraichère, et c’est assez amusant, vu la passion actuelle du monde bio et non bio pour les vers de terre, que nos lombrics aujourd’hui si précieux, sont considérés comme des nuisibles légers et ramassés pour être jetés aux poules. La chasse aux lombrics ne semblent pas avoir nuit aux rendements.


Selon JJ Daverne et JG Moreau l’arrosage ou l’aspersion d’eau peut venir à bout des araignées rouges ou des altises. Pour des questions d’efficacité et pour éviter de « brûler » les plantes, ces aspersions étaient probablement faites après le coucher ou avant le lever du soleil.

Maintenir des sols rigoureusement et constamment désherbés limite les vers blancs et gris. 

De nombreux insectes sont ramassés à la main, encore une fois classique à l’époque et souvent un travail d’enfants, et il faut visiter les plantes atteintes tous les 4 ou 5 jours, une par une.

Plus en phase avec d’autres ouvrages agricoles, maraichers de son époque ou avec des articles des annales de la SNHF, Courtois-Gérard, bien moins politiquement correct signale l’usage de chaux vive ou hydratée, de suie, d’huiles dont on ignore la nature, de décoction de tabac ou d’autres plantes dites âpres, mais dont on ignore également la nature ainsi que l’utilisation qui semble assez ordinaire du savon noir.

Qu’est ce que du savon noir ? Et bien un produit chimique… 

Certes c’est de la chimie primitive, mais de la chimie quand même. 

La différence entre la chimie primitive et la chimie moderne, est que la première est aléatoire, incertaine, coûteuse en travail, coûteuse en produits initiaux et donne des produits impurs qui n’ont pas forcément exactement les résultats escomptés. 

La seconde, la chimie moderne est précise, nécessite moins de travail et de produits initiaux, moins d ‘énergie aussi car elle fait appel à des technologies performantes et au final les produits obtenus sont correspondent exactement à ce qui était attendu.

Le savon se fait avec un corps gras, en principe une huile et soit de la potasse, soit de la soude. 

Avant l’extraction minière de la potasse, celle ci s’obtenait par combustion de bois. On obtenait des cendres qu’on « lavait », artisanalement, il y a encore un siècle, dans des tonneaux percés,. 

Avant l’extraction chimique de la soude dans l’eau de mer, ce dès le XIXème, celle-ci s’obtenait également par combustion mais cette fois ci d’algues marines. On allumait les fours à goémons que lorsque des vents soufflaient direction de la mer, en raison des fumées réputés très toxiques. Après refroidissement, on récupérait des blocs de soude d’une qualité variable en raison des impuretés. 

Potasse + corps gras donne un savon mou, le savon noir en est un. Soude + corps gras donne un savon dur, enfin en principe.

Pourquoi savon « noir » ? Certains sites affirment qu’à l’origine le corps gras provenait d’olives noires broyées. 

En tous cas de vieux manuels de chimie « primitive » indiquent que la couleur noire est donnée au savon noir par l’huile de chènevis, très sombre qui est habituellement utilisée. Et autrefois, si le savon « noir » était fait avec une huile claire, il semble avoir été courant de le colorer avec un acide « sulfo-indigotique » dont je ne connais pas la nature.

Il est assez curieux que le savon noir soit présenté comme parfaitement inoffensif pour l’environnement alors même qu’il s’agit d’un insecticide ancestral indéniablement efficace, notamment à forte concentration, non sélectif, et qui présente une toxicité établie pour les organismes aquatiques ainsi que pour les mammifères en ingestion. Présenté comme biodégradable, il ne l’est que partiellement.

 

Aucune évocation d’oiseau ravageur de récolte, tout au moins pour des fruits rouges comme les fraises ou les tomates, ou encore pour les feuilles de salades, il est vrai sous abri une grande partie de l’année. 

Encore une fois, les zones urbaines sont plus pauvres en biodiversité animale et n’oublions pas que le moineau, oiseau omniprésent, pluri adaptable et omnivore et sans aucun doute très présent, bénéficiait comme d’autres oiseaux d’une source d’alimentation gigantesque dont nous n’avons actuellement absolument plus aucune idée : les mouches et insectes du fumier. Les mondes urbains, jusque dans les années 1920-30 et les mondes ruraux, jusque dans les années 1970-80 avec des variations locales furent des mondes envahis de mouches et la guerre contre ces dernières était une obsession dont les jeunes générations ne peuvent avoir idée. Moineaux et tout espèces de passereaux omnivores avaient donc à sa disposition une source de nourriture gigantesque et aujourd’hui disparue.

 

Pas d’évocation des rats ou autres rongeurs non plus, il est vrai qu’il existe alors un métier de pauvre hère qui s’appelle « attrapeur de rats ». Les attrapeurs de rats sont embauchés par les municipalités et les particuliers et sont payés au rat tué. Vu la nécessité vitale de tuer des rats pour gagner quelques sous, les attrapeurs semblent avoir été assez productifs.

Les chiens rattiers sont également redoutablement efficaces, et les chats, encore rares dans les campagnes du XIXème où ils sont l’objet d’une haine séculaire, se répandent cependant dans les villes du XIXème dans le sillage de l’aristocratie qui a anobli l’ancien animal du diable. J’ignore si les chats ont été utilisés, je n’en ai pas trouvé trace dans les annales de la SNHF sur la période considérée.

 

S’agissant des maladies des plantes, bienheureux agriculteurs de 1845, un certain nombre de maladies qui actuellement ravagent les cultures leur sont encore inconnues car elles n’ont pas encore été importées et arriveront dans les décennies suivantes. 

Le mildiou de la pomme de terre vient cependant de faire son apparition en région parisienne et la SNHF y consacre de nombreuses pages dans les annales de 1846, les attaques sont encore faibles, mais les ravages déjà fait à l’étranger, notamment dans les Iles Britanniques sont connus.

On a quand même des énumérations de maladies, le « meunier » de diverses plantes, ce sont des oïdiums, il y a des rouilles assez classiques, des fontes des semis, assez faciles à maîtriser avec un peu d’expérience. Le tableau est court et n’est pas vraiment impressionnant. 

Outre le fait que des maladies venues d’autres continents n’étaient pas encore présentes, on peu supposer qu’il y avait moins de maladies des plantes dans les maraichages parisiens que dans les campagnes pour plusieurs raisons.

Je l’ai déjà évoqué plus haut, tolérance zéro pour les mauvaises herbes, sans doute rendue plus aisée par le milieu urbain. Or elles sont souvent des relais pour des maladies. Idem la chasse aux insectes était impitoyable et minutieuse et eux aussi sont de gros vecteurs de maladies.

Les maraichages parisiens du temps des fermiers généraux constituent ici et là des « ilots » dans la ville, le phénomène d’isolement qui fut sans doute très protecteur. Il n’est pas étonnant actuellement que les dernières générations de serres « high tech » tentent de créer des milieux aussi hermétiques que possible, entièrement soustraits tant aux caprices du temps qu’à la biodiversité dont on nous rabâche les oreilles. De tels univers clos et artificiellement contrôlés n’ont guère besoin de pesticides ou d’herbicides.

Ensuite, des plantes particulièrement bien nourries, et c’est le cas en raison des quantités prodigieuses de fumier des maraichers parisiens, sont des plantes particulièrement résistantes. Arrosées autant que nécessaire, elles ne connaissaient aucun stress hydrique qui est affaiblissant également. Et pour finir, les soins quotidiens absolument extraordinaires apportés aux cultures, ont probablement limité les risques de maladies. Mais à quel prix en terme de travail ? Lorsqu’on les voit ouvrir d’un pouce ou plus leur châssis ou leurs cloches puis les refermer le jour même au moindre changement de temps, poser ou retirer les paillassons, allumer des feux de feuilles en pleine nuit, se lever pour bassiner contre des acariens, c’était une attention de tous les instants, de jour et souvent de nuit.

 

LES SEMENCES

 

Pour se limiter à la France, et ce serait valable pour n’importe quel lieu du monde, les végétaux que nous consommons actuellement, céréales, légumes ou fruits n’ont rien de « naturel » au sens où l’imaginent naïvement la plupart des gens. 

Pour commencer, beaucoup de végétaux que nous considérons comme complètement autochtones, ont été importés par les migrations humaines au cours du temps.

Le pommier est venu du Caucase et de Chine du nord, il y a très longtemps et il fait partie de catégories d’arbres fruitiers dont la perpétuation variétale à l’identique ne peut se faire que par greffage d’un fragment choisi de la variété désirée sur un plant issu de semis. Pas vraiment naturelle comme technique, elle a vraisemblablement été inventée par les Chinois il y a plusieurs milliers d’années. 

Le blé « hexaploïde » (6 jeux de chromosomes) que nous mangeons descend de 3 espèces qui ont fusionné en deux temps en une sorte d’OGM naturel déjà cultivé en Turquie il y a environ 9000 ans.

 

Ensuite, les végétaux que nous consommons, outre pour certains, leur long voyage depuis leur zone d’origine, ont tous, sans exception, fait l’objet de sélections au cours des millénaires. Ces sélections opérées par longs tâtonnements par des agriculteurs, botanistes et jardiniers novateurs se sont accélérées au cours des derniers siècles. Grâce à la compréhension des lois de la génétique et au progrès scientifique, sont survenues depuis un peu plus d’un siècle des multitudes d’améliorations portant sur les rendements, la qualité, les résistances et les variétés.

 

Prenons le choux fleur cher à nos maraichers parisiens… Le chou est une plante sauvage dont il existe des variants sur les pourtours maritimes de l’Europe. En règle générale, il s’agissait d’une plante présentant une espèce de tige-tronc assez épaisse sur laquelle croissait des feuilles tendres et consommables et dont on mangeait également des petites sommités florales. 

Il y a eu de nombreuses domestications du chou qui ont abouti soit à des choux pommés blancs comme on en connait à partir du Xème siècle dans les cultures de gros légumes autour de Paris, soit à des choux pommés verts frisés ou non ou rouges, soit à des raves où la partie consommée est la base de la tige renflée en boule, soit encore à des choux dont on consomme la sommité fleurie, considérablement amplifiée par sélection sur le critère de sa taille, ce sont les brocolis et les choux fleurs. 

Même si les Grecs anciens mangeaient des sortes de choux fleurs, les choux fleurs que nous connaissons ont vraisemblablement été sélectionnés aux alentours du XIIème siècle au Proche Orient. Ils arrivent en Italie au XVIème siècle, et sont introduits en France par Olivier de Serre au XVIIème. Aujourd’hui en un peu en désuétude, c’est un légume coqueluche des riches tables au XVIIIème et XIXème siècle.

Autre exemple, la carotte médiévale est bien difficile à distinguer du panais, une autre ombellifère alors également consommée. Les ancêtres lointains de nos carottes actuelles arrivent d’Italie au XIVème siècle, mais elles sont jaunes ou violettes, peu sucrées et avec des coeurs plutôt fibreux ou durs. La carotte orange commune sucrée, longue ou courte est une création variétale néerlandaise du XVIIème siècle et il faut les sélections des semenciers du XIXème pour aboutir à des variétés à coeur tendre. 

Que dire de la laitue ? Une plante sauvage aux feuilles éparses, dont les Grecs et les Romains mangeaient déjà une forme pommée domestiquée, sans doute depuis plusieurs siècles. Restée essentiellement méditerranéenne, à la fin du XVIème, seules 3 ou 4 variétés de laitues semblent connues et cultivées en France. Suite à l’engouement des classes aisées, la culture de la laitue se développe et les variétés s’étoffent, 25 identifiées au milieu du XVIIIème siècle. Grâce aux introductions et sélections des semenciers, le nombre de variétés croit considérablement et en 1904, Vilmorin en énumère 87.

 

Nos maraichers parisiens du XIXème font-ils leurs propres graines ? Sans aucun doute oui. Les pages à ce sujet sont très intéressantes. Quelques rappels 

 

Il existe deux sortes de plantes, les autogames et les allogames.

Les autogames sont des plantes qui s’autofécondent, même s’il peut exister un infime pourcentage d’allogamie accidentelle. 

Ces plantes n’ont pas besoin d’insectes, éventuellement d’un peu de vent, car une vibration de la fleur peut aider à la chute du pollen provenant des étamines, organes mâles, sur le style, organe femelle. L’utilisation économique de « bourdons vibreurs » en serres fermées, par exemple pour les cultures de tomates, pour remplacer des ventilateurs ou un léger secouage manuel a donné naissance à la légende des abeilles indispensables à la fécondation de nombreuses plantes qui n’en ont pas besoin.

Sont autogames : les laitues, les tomates, les aubergines, les haricots, les petits pois… 

Les graines de ces plantes sont, sauf accident lié à du butinage d’insecte, ou manipulation (artisanale à l’époque) identiques à celle de la plante mère.

 

Pour les allogamies, c’est plus compliqué, je reporte à mon article sur les abeilles où j’ai essayé d’expliquer « simplement » ce qu’était l’allogamie  http://hbscxris.over-blog.com/2019/06/pour-en-finir-avec-une-legende-urbaine-non-les-abeilles-ne-nourrissent-pas-la-planete.html

Sont allogames les différentes variétés de choux, les melons, les carottes, les poireaux…

Maintenant l’isolement des jardins des maraichers parisiens dans un milieu urbain, le fait que leurs productions sont limitées à des petits nombres de variétés et que ces variétés ne sont pas cultivées en même temps mais choisies en fonction de leur adaptation à la saison, limite considérablement les risques de croisement pour les plantes allogames.

Donc les isolements dans le temps des rares différentes variétés permettait également la production de graines identiques à celle des 2 plantes parents de la même variété.

 

Dans les 2 cas, le nombre de graines recueillies sur un seul légume est considérable. Sans jardiner et avoir laisser « monter » une plante en graines, quiconque a déjà vidé un melon ou épépiner une tomate peut en avoir une petite idée.

 

Maintenant si les maraichers parisiens du XIXème sont effectivement les producteurs de leurs propres graines, on ne peut pas dire qu’ils aient été des éléments moteurs de la diversité potagère. 

Aucun ne s’est soucié de sauvegarder des variétés dépourvues, à leurs sens, d’intérêt commercial. Et ils ne sont pas les auteurs de sélections novatrices. 

C’est assez logique, ce n’est pas leur métier. 

Dès la fin du moyen âge, on voit apparaitre des métiers de grainetiers et au XVIIIème et XIXème siècle, la profession prend un essor considérable.

 

Les évolutions technologiques, les exigences nouvelles de semences toujours clairement identifiées et à la germination garantie ont transformé les plus entreprenants du monde artisanal des grainetiers du XIXème siècle en des dirigeants d’entreprises performantes qui vont révolutionner les rendements français grâce à leurs créations. 

Louis de Vilmorin, un habitué de la SNHF, contemporain de JJ Daverne et JG Moreau, est un de ceux là. Il s’associe à des chimistes pour travailler. Quelques années avant qu’un moine bien plus célèbre, Mendel, étudie les couleurs et les formes des pois selon les croisements variétaux, Louis de Vilmorin se livre à des études assez similaires sur les couleurs des lupins. Mais ce sont ses travaux sur le blé dont il rassemble une collection de variétés unique en Europe et sur la betterave sucrière qui sont les plus révolutionnaires. Ces travaux jettent, dès le milieu de XIXème, les fondements de créations variétales à propriétés et rendements exceptionnels. 

Louis de Vilmorin est le fils de Philippe André de Vilmorin qui avait rassemblé une exceptionnelle collection de pommes de terre et expérimentait de nombreuses cultures dans sa propriété de Verrières le Buisson. Un de leurs descendants y fondera en 1910 le laboratoire de génétique de l’entreprise familiale. 

Philippe André était le fils de Philippe Victoire de Vilmorin, un botaniste qui avait épousé Adelaïde d’Andrieux, la fille d’un couple de grainetiers parisiens fondateur de la maison « Au coq de la bonne Foy ». La maison Andieux-Vilmorin publie le premier catalogue de graines par correspondance français en 1766, et oui, c’est aussi vieux que cela. 

Le grand groupe semencier français Vilmorin est l’héritier de cette formidable saga commencée au XVIIIème siècle quai de la Mégisserie à Paris.

 

Pourquoi évoquer cette question des sélections et des améliorations variétales. 

Une grande partie de la planète « bio » et « écolo » s’est lancé dans une guerre sans nom contre les grands groupes semenciers accusés de vouloir breveter le vivant. 

Et bien oui, quand à force d’études complexes et de sélections ayant demandé des investissements souvent extrêmement coûteux et du temps, une société de semenciers finit par produire une variété de plante soit à très haut rendement, soit résistante à une ou plusieurs maladies, soit résistante à la sécheresse, soit encore ayant une croissance plus rapide, etc…

Et bien il est parait légitime qu’un brevet protège la semence de cette plante d’une reproduction artisanale pendant un temps donné avant qu’elle ne tombe dans le domaine public. Ce brevet de protection s’appelle un certificat d’obtention végétale et a une durée d’environ 30 ans et encore il ne s’applique pas aux jardiniers amateurs. 

La protection des inventions ne choque pas dans les domaines industriels ou scientifiques et il est étonnant qu’elle choque dans le domaine des semences. 

Et quel romancier, quel chanteur, quel artiste peintre accepterait que son oeuvre soit reproduite gratuitement à l’infini, sans qu’il n’en tire aucun bénéfice ? Et qui se déclare choqué de ce que la propriété intellectuelle protège les intérêts financiers des descendants d’un auteur ou d’un artiste jusqu’à 70 ans après sa mort ?

 

De manière assez sidérante, les grands groupes semenciers sont également accusés de menacer la diversité variétale alors même qu’ils ont, dans le passé et encore aujourd’hui, contribué à la préservation de variétés anciennes, et que leur travail a permis de multiplier les variétés. Les agriculteurs ont aujourd’hui, dans tous les domaines du monde végétal, à leur disposition des variétés multiples adaptées spécialement à des sols, à des climats, résistantes à des maladies, répondant aux besoins de l’industrie agro-alimentaire, comme au goût des consommateurs, si changeant avec le temps. 

Et bien loin d’un artisanat semencier passéiste et hostile à tout progrès, le futur alimentaire du monde dépend des progrès du génie génétique et des OGM seuls susceptibles d’offrir rapidement des cultures à très haut rendement, résistantes aux attaques des insectes et des maladies et capables de soutenir tous les changements climatiques comme l’augmentation des populations humaines qui dans certaines parties du monde, ne montre pas de signes de ralentissement.

 

 

CONCLUSION (enfin)

 

Voilà, j’en ai fini avec la manuel de la culture maraichère à Paris en 1845. Je souhaitais le remettre en contexte et en finir avec la légende des 1800 maraichers qui nourrissaient Paris en légumes avec une agriculture aussi facile que vertueuse.

 

Je sais très bien que ce que j’ai écris ne sera pas compris par un certain nombre de personnes qui le liront. 

Des gens ignorants du passé et aux cerveaux lessivés de désinformations s’imaginent que nos ancêtres avaient une vie merveilleuse qu’il est devenu commun d’appeler le « bon vieux temps ». 

Expliquer les maladies innombrables et les mortalités effroyables du passé suscite l’incrédulité. 

Affirmer qu’il y a un siècle et demi, se nourrir pouvait constituer plus des 2/3 du budget d’un ménage, et encore, au XIXème, en France, on ne mourrait plus de faim, est en contradiction totale avec les affirmations selon lesquelles on pourrait aisément nourrir la planète en interdisant tous les produits phytosanitaires et en revenant aux semences du passé et aux techniques du passé, voir même à la traction animale.

Combien vont comprendre que le fumier est un engrais « chimique ». Aussi ahurissant que cela puisse paraitre, il est des gens qui s’imaginent que les atomes constituant des molécules diverses n’ont pas la même gueule quand ils sont produits par la « nature » et par l’industrie chimique.

Que faire ? Je ne sais pas. 

Vous rencontrez parfois des gens dont le niveau d’inculture et d’ignorance n’a d’égal que leur propension à croire fanatiquement que ce soit à une religion, soit à une idéologie politique ayant cumulé les dizaines de millions de morts au XXème siècle, soit à la possibilité de prédire l’avenir par un tirage de cartes parfaitement aléatoire ou à l’apposition des mains pour soigner le cancer. 

Pire ces gens prolifèrent désormais sur le net quand ce ne sont pas des journaux subventionnés qui leur offrent une tribune.

Face à ces personnes, vous êtes comme face à un mur. Et quoi que vous racontiez au mur, il ne bougera jamais d’un iota.

 

Dernière chose, pour ceux que la culture maraichère ou le « vrai » jardinage amateur intéresse réellement, il faut absolument lire ce livre qui est passionnant.

Mais nul besoin de l’acheter aux petits malins qui ont rajouté quelques commentaires pour le publier en en tirant de l’argent à peu d’efforts. Il suffit de le télécharger sur Gallica (BNF) gratuitement https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6423206t/f7.item. 

Comme tous les livres dont les auteurs sont morts il y a plus de 70 ans, ce livre appartient au domaine public et est donc librement disponible.

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