Archéologie, Histoire de l'agriculture, de l'élevage, de l'alimentation, des paysages, de la nature. Sols, faunes et flores. Les sciences de la nature contre les pseudos-sciences, contre l'ignorance, contre les croyances, contre les prêcheurs de l’apocalypse.
19 Décembre 2021
Cette luxuriante assiette vient de notre potager. Les légumes, tous de variétés choisies et cultivées pour leurs qualités gustatives et tous cueillis à point, sont un plaisir tant pour les yeux que pour les papilles. Mais rien dans cette assiette n’est Bio !
Je suis tombée il y a quelques temps sur un de ces amas de sondages ou d’études à 3 balles qui inondent nos journaux d’information. Parait-il que 9 français sur 10 ont déjà consommé Bio !
Fichtre, j’en fais partie, mais complètement à mon corps défendant, voilà qui en dit long sur les conclusions que l’on peut tirer d’une question posée puisque la question sous entend un choix volontaire de la part du consommateur.
J’ai effectivement déjà mangé Bio chez des gens consommant Bio et je n’ai pas eu l’indécence de repousser leur assiette, d’ailleurs très bien cuisinée. A vrai dire je me moque complètement qu’un produit soit Bio ou non, je souhaite simplement que ce que contient mon assiette flatte mes papilles.
Je n’achète personnellement jamais Bio car Bio ne fait pas le goût d’un produit, ce qui fait le goût, c’est la variété, la maturité, la fraicheur pour des fruits et légumes. Pour les produits animaux, la race, l’alimentation et les conditions d’élevage font la différence, mais ne nous y trompons pas, l’élevage bio, ce ne sont pas des bêtes au pré à l’année, la marguerite au coin des lèvres. Il faut lire les cahiers des charges… Là où je vis, on peut emmener tous les jours des bêtes dans une pâture pour les attacher au « piquet » (faute de clôture) sous le soleil ou sous la pluie, et c’est bio, du moment soit qu’elles ont suffisamment d’herbe à manger dans le périmètre de leur chaîne, ou que les aliments qu’on leur apporte sont cultivés en Bio. Si ce n’est pas scandaleux, cela y ressemble…
Je suis également très loin d’être convaincue que manger Bio soit plus sain pour des tas de bonnes raisons scientifiques que je ne développerais pas ici. Je tends même à penser qu’il vaut bien mieux manger conventionnel si on est soucieux de sa santé et si je pouvais accéder à des produits OGM, je les achèterais en priorité pour cette raison.
Pour finir, je refuse de cautionner de quelque manière que ce soit, une mode dont la diffusion croissante représente une menace pour la disponibilité alimentaire de l’ensemble de l’humanité.
Continuant mes lectures, j’ai égrené quelques unes de ces douteuses études cherchant à démontrer que si l’on mange Bio, on est en meilleure santé que si l’on mange une alimentation conventionnelle.
Pourquoi douteuses études ? Parce que lorsque les gens mangent Bio, cela implique une démarche et un processus de pensée. Cette démarche et ce processus de pensée impliquent que l’on a à faire à des gens soucieux de leur santé.
Le reste en découle, rien qu’au pifomètre, on se doute bien que les acheteurs de Bio sont rarement frappés de surpoids ou d’obésité, qu’ils sont rarement fumeurs et qu’ils sont sans doute plus que la moyenne inscrit dans un club de sport.
Mais c’est en détaillant certaines de ces études que j’ai été interloquée. On interroge un panel d’individus sur leurs consommations alimentaires et on croise avec leur état de santé ! Mais ce qui interpelle est que tout est déclaratif et rien ne semble vérifié sauf parfois l’état de santé des individus du panel.
Mais les gens qui répondent qu’ils mangent « Bio » dans les enquêtes savent-ils vraiment si ce qu’ils mangent est Bio ?
Tout le monde en parait convaincu, mais je pense que ce n’est pas si clair qu’il n’y paraît.
Tout le monde n’est pas familier avec Ferdinand de Saussure, le père de la linguistique. C’est un auteur auquel j’ai eu l’occasion de m’intéresser il y a bien longtemps, en travaillant sur les décalages constatés entre le contenu d’un événement donné relaté par différents témoins et l’événement tel qu’il était établi qu’il s’était réellement passé, notamment par l’étude d’enregistrements visuels ou audio-visuels ou par des mesures ou bilans techniques, médicaux ou scientifiques.
Les témoins sont rarement objectifs et impartiaux, même s’il y en a, mais même lorsqu’ils le sont, leur témoignage peut-être biaisé par l’usage qu’ils font des mots lequel n’est pas forcément approprié.
C’est ici qu’intervient Saussure…
En essayant de faire simple, pour que les mots employés par un témoin soient exactement conformes à ce qu’il a vu, fait ou entendu, il importe que le témoin connaisse parfaitement le sens des mots qu’il emploie. Et également que celui qui reçoit le témoignage connaisse tout aussi parfaitement le sens des mots que le « témoin » emploie.
Prenons un exemple : Je suis allergique aux crustacées (c’est vrai et c’est familial et donc génétique…).
Il fut un temps où allant manger chez quelqu’un pour la première fois, je ne précisais rien. Comme je connais bien tant le monde vivant que ses classifications phylogénétiques (étude des parentés entre les êtres vivants), il me semblait que l’énoncé « Je suis allergique aux crustacées » était amplement suffisant.
Et bien que nenni… J’ai appris, avec le temps, que pour les 3/4 des gens, « allergique aux crustacées » veut dire allergique à quelque chose provenant de la mer, ensuite, ce « quelque chose » est dans leur tête extrêmement flou…
Le plus souvent, les gens pensent qu’une allergie aux crustacées empêche la consommation de moules ou d’huitres dont ils ne savent pas qu’il s’agit de mollusques que je peux consommer, et non de crustacées.
D’autres comprennent bien que je ne peux manger ni crevettes, ni langoustes, ni crabes, mais rajoutent tout de même les mollusques à la liste. Il m’est même arrivé que des gens me demandent une liste des poissons de mer que je ne pouvais pas consommer. D’autres, dans le doute, s’abstiennent de me présenter toute nourriture venue de la mer, qu’elle soit animale ou végétale.
Voilà, donc une part non négligeable de la population de France (et d’ailleurs) ne sait pas ce que sont des crustacées.
Est-on vraiment certain qu’ils savent vraiment ce qu’ils mangent quelque soit la gamme de nourriture qu’ils choisissent ?
Franchement quand on lit « sans gluten » sur les emballages d’un grand nombre de produits qui n’ont aucune micro-chance d’en contenir, il y a de quoi glousser de rire. Et pourtant cela fait vendre. Il y a un gros malaise quelque part...
4 anecdotes me reviennent en mémoire, je vais vous les narrer :
1ère anecdote :
On était à peu près fin des années 1990, les grands délires alimentaires du début XXIème siècle étaient encore au stade du biberonnage à la nurserie. Nous étions en train de déjeuner à une table, Jean François, un bon collègue de travail et moi-même. Nous partagions tous les deux des racines paysannes, non brisées grâce à des fréquentations familiales et amicales constantes, et nous cultivions l’un et l’autre tant un vaste potager, de ces potagers d’autrefois sur lesquels on se nourrissait vraiment en légumes et entretenions un de ces vergers de fruitiers qui limitent les achats familiaux à des fruits exotiques.
Une collègue, dont j’ai gardé visuellement le souvenir, surtout en raison de l’esclandre de ce jour, est venu s’asseoir à notre table. Pour le reste, j’ai oublié son nom comme l’endroit de banlieue où elle résidait. Cela était sans importance.
Je ne sais plus comment elle en est venue à nous parler de son maraicher, non loin de chez elle, qui cultivait en plein champs et sous serres et faisait de la vente directe. Elle y achetait tous ses légumes. Peut-être en a t’elle parlé parce que nous parlions jardin, Jean François et moi ?
Là où cela a commencé à déraper, c’est quand elle nous a expliqué que les salades, les choux, les carottes, les poireaux, non contents d’être bien meilleurs, avaient une taille monstrueuse et une beauté introuvable dans le commerce. Chez le maraicher du coin, c’était indéniablement beaucoup mieux qu’en supermarché…
Comme les légumes « enflaient » de volume au fur et à mesure de ses descriptions, Jean François a gloussé de rire et lui a dit à peu près ceci : « Ben ton maraicher, il doit « charger » terriblement en engrais et en pesticides, si tous est si gros et si parfait »… Et là tout a dégénéré…
La collègue s’est indignée et a expliqué que son maraicher lui avait garanti que tous les légumes qu’il vendait étaient cultivés sans engrais, juste de la terre et de l’eau. Fin des années 1990, nous étions encore à une heureuse époque, où il n’était pas mal venu d’utiliser de l’eau et même beaucoup d’eau pour faire pousser quelques chose, cela a bien changé…
Et outre le fait que son maraicher n’utilisait aucun engrais ce dont la collègue était absolument certaine, pardi, il lui avait dit… le maraicher ne faisait usage d’aucun pesticide. « Juré craché par terre, si je mens, je vais en enfer... »
Nous avons commencé à essayer de lui expliquer Jean François et moi que pour avoir des énormes légumes qui présentent un rendu absolument irréprochable, il y a forcément plus que de la terre et de l’eau. Bon je reconnais qu’on a « charrié » un peu la parfaite citadine qui n’y connaissait absolument rien au point que cela la rendait forcément comique…
Toujours est-il que cela a tourné à l’esclandre publique et qu’elle a fini par quitter la table avec son plateau, assez théâtralement, en nous traitant de quelque chose comme « des abrutis de bouseux n’y connaissant rien ».
Bien entendu, au cours de cette dispute, jamais le terme Bio ne fut utilisé, il n’était pas à la mode à l’époque et si des certifications Bio existaient peut-être déjà, ni Jean François, ni moi ne les connaissions, et assurément, encore moins cette collègue pleine de grandes illusions.
Et rappelons au demeurant pour ceux qui l’ignorent, c’est à dire la grande majorité des français, que l’agriculture Bio utilise des pesticides également. Ces pesticides sont dits Bio car ils sont uniquement extraits de produits naturels comme des plantes ou des minéraux. Ce faisant, le monde du Bio ne semble pas connaitre beaucoup les plantes ou les minéraux, car un grand nombre de ces derniers présente des toxicités plus ou moins graves. Lors d’études ou plutôt de pseudo-études sur les pesticides dans l’air, près des habitations ou dans notre alimentation, ces pesticides Bio ne sont jamais recherchés ni quantifiés ! Puisqu’on vous dit qu’ils sont Bio, ce n’est pas la peine de les rechercher…
2ème anecdote :
J’étais un jour à mon bureau en train de travailler, à la fin de la décennie 2000, lorsque j’ai entendu dans mon dos, parler une de mes jeunes collaboratrices, Célestine, une gamine brillante, sportive, dynamique, qui depuis mène une belle carrière. Célestine, profitant d’un petit temps mort, expliquait à des collègues de l’équipe qu’elle ne mangeait que des fruits et légumes « Bio », bien meilleurs que les autres tant pour le goût que pour sa santé.
Tous ces fruits et légumes, à longueur d’année, selon les disponibilités, elle allait les cueillir ou les récolter dans une cueillette (*) de l’IDF (Île de France) où elle était une cliente assidue. Elle était en train de distribuer l’adresse à ses petits camarades…
Connaissant cette cueillette par des panneaux publicitaires que je croisais au retour de certaines vacances, je me suis dit machinalement : Tiens, ils sont passés en « Bio » ???
Internet est un outil terrible pour les curieux…
Entre midi, profitant d’un répit, j’ai été sur le site de la cueillette en question que j’ai épluché en tout sens. Aucun signe de certification « Bio » de quelque nature que ce soit… Comme je le pensais, c’était juste une « cueillette » comme il y en a pas mal en IDF.
J’ai été voir Célestine et je lui ai dit que sa cueillette n’était pas « Bio ». Celestine a secoué la tête comme si j’étais la reine des cruches et m’a répondu « Mais enfin, je cueille tous mes légumes moi même ! Bien évidemment que c’est Bio ! »
J’ai alors pris le temps de lui montrer le site de la cueillette et je lui ai expliqué que si cette « cueillette » avait une certification Bio, elle l’afficherait évidemment comme argument de vente.
Et il s’est avéré que Célestine, gamine brillante, sportive et dynamique… qui avait tout mon respect et même mon affection, ne connaissait pas les différents logos Bio même si elles les avaient déjà vu vaguement ici et là.
Cette jeune femme, pourtant intelligente et cultivée, ignorait totalement que pour être Bio, une exploitation devait arboré à l’entrée ou sur son site Internet un logo justifiant de sa conformité à un cahier des charges complexes, qui varie selon la certification choisie et que l’exploitation devait avoir subi une inspection d’agrément, régulièrement renouvelable.
Je lui ai aussi expliqué avec des termes aussi simples que possible, que fruits et légumes ne résultaient pas d’une graine jetée en l’air qui a poussé toute seule, mais d’un long processus de travail de la terre, d’amendements, de fumures organiques ou artificielles, de soins divers aux plantes, ce qui inclus des traitements pour éviter ou soigner les maladies ou pour protéger des ravageurs, ce qui inclus aussi des désherbages peu importe la forme qu’ils prennent.
Bref, l’acte de cueillir soi même des fruits et légumes ne disait absolument rien des processus les ayant fait croitre en amont, avant le stade de la récolte…
Et en tout état de cause, quand bien même les fruits et les légumes de la cueillette de Célestine étaient excellents et en principe, les fruits et légumes cueillis à juste maturité et mangés frais ont souvent un petit plus au niveau gustatif (les variétés font également varier considérablement le goût), et bien son excellente « cueillette » n’était absolument pas Bio…
Célestine, profondément traumatisée, m’a alors demandé si les vergers de pommiers où elle allait cueillir des pommes qu’elle pensait Bio, étaient Bio.
Pour ces vergers, je n’ai pas eu besoin de chercher. Les vergers en question proposaient à la cueillette près de 40 variétés différentes, un éblouissement pour des gens, comme moi ou mes proches, pour qui la dégustation de la grande variété des produits de la nature quelle que soit l’espèce, est un enchantement permanent. J’y allais 2 ou 3 fois en automne, selon les maturités, pour cueillir des variétés que, dans la famille, on aimait mais que nous n’avions pas dans nos vergers.
« Non Célestine, ce ne sont pas des vergers Bio même si tu cueilles tes pommes toi même… »
J’espère avoir trouvé les mots pour expliquer à Célestine que Bio ou pas, elle pouvait continuer à fréquenter sa « cueillette » et son verger en toute serénité. Je n’en suis pas sûre…
Très soucieuse de sa forme et de sa ligne, à la fois comme tous les sportifs et comme toutes les jeunes femmes dynamiques et n’ayant pas le plus petit fragment de culture scientifique, elle était facilement impressionnable par les argumentaires « santé », que l’on trouve sur le net, aussi viciés que ces argumentaires puissent-ils être.
Elle ignorait également, moi aussi d’ailleurs à l’époque, que derrière la quasi totalité des sites « Santé » ou « Femmes » se cachent des sociétés qui ont quelque chose à vendre, souvent des produits naturels aux prix exorbitants vantés par des publicitaires prêts à tous les arguments pour faire croire que si vous n’achetez pas leur camelote, vous ruinez votre santé et raccourcissez votre vie.
3ème anecdote :
On était plus ou moins à la même époque, temporellement parlant, juste 3 ou 4 ans plus tard, quand une autre collaboratrice de grande qualité, encore une femme, Alicia, est venue me vanter les qualités d’une ferme laitière de la très grande IDF, c’est à dire à presque une centaine de km de Paris où elle faisait désormais des expéditions 2 fois par mois pour faire le plein de yaourts et fromages divers et également se promener autour des « prés » en regardant les vaches… On pourrait se poser la question du coût en CO2 mais ce n’est pas le sujet…
Alicia ne venait pas me voir par hasard. Je n’ai jamais caché mon goût pour les fromages les plus divers et je suis une grande amatrice de lait, en principe cru, mais comme cela peut être dangereux, je limite ma consommation de lait cru à celui qui provient d’exploitation me paraissant particulièrement rigoureuses sur le plan de l’hygiène. Au moindre doute, je fais bouillir.
Les gens qui boivent du lait aseptisé, en brique, ne peuvent imaginer à quel point le goût du « vrai lait » peut être fabuleux avec cette « vraie » crème qui remplit onctueusement la bouche.
Mieux, il y a de multiples crus. Le goût du lait change selon la race des vaches, la période de l’année, ce qu’elles ont mangé. Ce qu’elles ont mangé est incroyablement important.
Autrefois, l’éleveur laitier qui parmi ses pâtures, en avait une ou deux présentant des herbages de mauvaise qualité qui donnent des goût douteux, isolait 2 vaches. Un éleveur évite en principe d’isoler une bête habituée au troupeau car les animaux sont grégaires et une bête seule stresse, ce qui peut avoir des conséquences sur la production ou la santé.
L’éleveur mettait dans une bonne pâture les deux bêtes isolées, tandis que le restant du troupeau allait brouter la vilaine pâture. Le soir, à la traite, on isolait les 2 vaches et on gardait pour la famille, les proches, les clients directs qui venaient avec leur pot au lait, le lait des vaches qui avaient brouté le « bon pré ». Le lait des autres vaches partait au tank réfrigéré pour le ramassage par le camion citerne.
Bref, Alicia m’a vanté les produits laitiers de son élevage, bien évidemment Bio. Tout en l’écoutant, j’ai pianoté pour aller sur le site de la ferme en question… Il s’agissait effectivement d’une ferme laitière supportant le label « Produit à la ferme ».
J’ai repris patiemment ma casquette d’enseignante et j’ai expliqué à Alicia, que « Produit à la ferme » ne voulait pas dire Bio mais uniquement « produit et transformé sur le site de la ferme ». Cela ne disait rien sur le type d’élevage pratiqué et de toute évidence, en l’absence sur le site de la ferme d’un des différentes logos Bio, la ferme n’était pas Bio.
Cela a un peu déçu Alicia, mais elle m’a dit « Quand même ce sont des vaches qui broutent de l’herbe, on voit les prés de la ferme et les bêtes dedans, c’est forcément mieux que des bêtes qu’on nourrit avec des aliments composés… »
Je n’ai rien dit bien que je pense que des aliments composés de bonne qualité valent indéniablement mieux qu’un mauvais herbage.
Plusieurs mois plus tard, rentrant de quelques jours de vacances, nous sommes passés non loin de la ferme et avons décidé d’aller y faire un tour puisque dans notre famille, si on aime les bonnes choses, on se fiche bien de ce qui est Bio ou pas…
Après une dizaine de km sur des petites routes, au milieu des champs cultivés, colza, betteraves, maïs, choux, on a aperçu à l’horizon la ferme en question. Je me souviens qu’on s’est arrêté sur le bord de la route pour contempler tous ces champs cultivés et on a souri amusés.
Bien sûr, pour des gens qui ne connaissent pas l’élevage, ces champs cultivés ne parlent pas, mais quand on va voir un élevage annonçant 200 vaches laitières, parait-il élevées au pré, on s’attend à voir de belles pâtures des 4 côtés de l’horizon, à peu près 100 ha, au moins. On en était très loin…
Lorsque nous sommes arrivés sur le site de la ferme, nous avons vu les paddocks de détente des vaches, sans doute 10 ha bien fractionnés pour être suffisamment nombreux, tenus très soignés et rayonnant depuis la ferme. Tout était propre et beau à voir, incontestablement…
Un seul paddock étaient arpenté par un nombre de vaches très très en dessous de 200, les autres sans doute dans les hangars de stabulation. Bref, les paddocks, c’étaient les pâtures d’Alicia qui ne savait pas ce qu’était une vraie pâture où des bêtes se nourrissent réellement avec de l’herbe.
Pour nourrir actuellement une bête à l’année majoritairement en herbe, il faut près d’un 1/2 ha, éventuellement 1/3 d’ha bien amendé. Et cela varie bien sûr selon le volume des apports complémentaires.
Quand j’étais jeune et que les vaches étaient nourries presque exclusivement à l’herbe et au foin (et à vrai dire, on était déjà éloigné de « exclusivement »), on comptait un hectare pour une vache à l’année, en lait comme en viande.
La ferme avait l’air vraiment très bien, mais nous n’avons rien acheté car les silos d’ensilage m’ont rebuté.
L’ensilage est une excellente manière de conserver des fourrages, du maïs, du colza, des débris végétaux broyés, parfois de la pulpe de betterave, en en faisant une sorte de « choucroute ».
La technique date du XIXème siècle mais son utilisation n’est devenue courante en France qu’à partir des années 1970-1980, selon les régions.
Cette « choucroute » est en principe très saine pour les animaux et constitue une alimentation riche et bien adaptée à leurs besoins. En principe, les bêtes semblent également l’apprécier même s’il y a ensilage et ensilage.
L’ensilage me pose personnellement un problème car c’est une alimentation qui répercute sur le lait, un goût que je juge désagréable et ce goût peut se répercuter sur les fromages à moins d’utiliser des méthodes de conditionnement et de fabrication qui « lissent » et « normalisent » les saveurs des produits laitiers. Les fromages AOC n’admettent en principe pas l’ensilage, justement pour des questions subtiles de saveurs.
Je n’ai jamais rien dit à Alicia, j’aime quand les agriculteurs et les éleveurs, et tout particulièrement les éleveurs laitiers, s’affranchissent des grands groupes de l’agro-alimentaire ou de la grande distribution pour mieux gagner leur vie en faisant de la vente directe.
La 4ème anecdote ne concerne pas le Bio, mais le gluten.
J’étais au rayon frais d’un supermarché Bio où je venais chaque semaine chercher ma dizaine de bouteilles de lait de vaches jersiaises. Le lait des vaches jersiaises est très bon et très crémeux et, sans autre accès à du lait frais en région parisienne, je devais en passer par ce supermarché Bio pour l’obtenir.
J’ai remarqué accidentellement une dame, c’est à dire une femme plus très jeune mais très bien habillée et avec une certaine classe qui a pris d’un air assuré un paquet de seitan et l’a déposé dans son chariot.
Le seitan, c’est la viande végétale traditionnelle des végétariens asiatiques. Je pense que le produit venait du Japon en raison des écrits sur le paquet. Et oui, je suis fascinée par l’Asie depuis toujours et je connais quelques rudiments de japonais… Donc pas de doute.
Machinalement, je me suis dit que cette dame ne participait pas au délire alimentaire ambiant de l’époque, le « sans gluten »…
En effet, le seitan, c’est du gluten presque pur qu’on extrait de la farine. On peut en fabriquer soi même en faisant une « boule » de pâte à pain qu’on « lave et relave » en la malaxant jusqu’à ce l’essentiel de la partie amidonnée ait été lessivée. Reste le gluten, une excellente source de protéines si on est végétarien, bien qu’il faille mieux coupler cette source de protéines avec quelques légumes secs en raison de certaines déficiences en acides aminés.
Le produit fut très à la mode chez les végétariens du dernier quart du XXème siècle mais semble un peu moins en vogue aujourd’hui.
C’est très distraitement que j’ai remarqué que cette dame avait également dans son charriot plusieurs produits garantis « sans gluten », dont une sorte de farine de substitution.
Cette dame savait-elle que le seitan est du gluten ?
Y avait-il dans sa famille des végétariens mangeant du gluten et des fanas du sans gluten ?
C’est une possibilité. J’ai failli lui parler, puis j’ai renoncé. Gluten ou sans gluten, cela ne me regardait pas…
Ces quelques anecdotes tout à fait personnelles n’ont pas la prétention d’être le reflet d’une généralité. Il s’agit juste de soulever des questions de sémantique.
Ceux qui au titre d’études sur l’alimentation, compilent frénétiquement des données sans s’interroger sur la réalité des déclarations qu’ils reçoivent et qu’ils traitent comme argent comptant, seraient bien avisés de se poser quelques questions élémentaires.
PS : une de mes chèvres a souhaité faire passer un petit message...
Bonjour, on m’appelle Brigida (Lollobrigida) parce que j’ai une belle « boîte à lait »
J’ai beaucoup de chance, vivant sous les tropiques dans une région du monde sans grands, ni moyens prédateurs carnivores, je vais, sans aucune angoisse, tous les jours, près de 9h/jour (7h-16h) manger de l’herbe fraiche et m’ébattre dans un pré avec mes petits.
Dans les différents prés que je fréquente alternativement, il y a toujours de grands bosquets d’arbres pour ruminer à l’ombre et se protéger des pluies occasionnelles. Le soir, quand mes propriétaires ouvrent le portail du pré où j’ai passé ma journée, je me précipite dans le « couloir de desserte » pour rentrer au triple galop dans ma chèvrerie où je sais que je vais trouver en complément de mon herbe quotidienne, des « régals », c’est à dire divers fourrages frais toujours récoltés quelques heures avant le « service du soir ».
Mais je ne suis pas « Bio », mes éleveurs cultivent en « conventionnel » quelques uns de mes fourrages frais et il parait que c’est très mal… Pire si je tombe malade ou me blesse, mes éleveurs font appel immédiatement à un vétérinaire pour me soigner avec des produits vétérinaires chimiques de synthèse car ils ne font pas confiance aux produits naturels à base de plantes ou à de préparations homéopathiques pour tenter de me soigner, en premier lieu, comme le requiert le cahier des charges Bio local.