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Hbsc Xris Blog - A la poursuite du réel, historique et scientifique, parce que 1984, nous y sommes presque.

Archéologie, Histoire de l'agriculture, de l'élevage, de l'alimentation, des paysages, de la nature. Sols, faunes et flores. Les sciences de la nature contre les pseudos-sciences, contre l'ignorance, contre les croyances, contre les prêcheurs de l’apocalypse.

NON ! Les abeilles ne nourrissent pas la planète : pour en finir avec une légende urbaine...

Pollinisateur mécanique par soufflerie dans un verger de kiwi (bien loin des contes sur la pollinisation au pinceau en l'absence d'insectes lorsqu'ils sont nécessaires)

Pollinisateur mécanique par soufflerie dans un verger de kiwi (bien loin des contes sur la pollinisation au pinceau en l'absence d'insectes lorsqu'ils sont nécessaires)

De là où je vis, au milieu de nulle part, en pleine nature, vous remarquerez le petit n si vous avez lu un de mes articles précédents, j’aime bien le terme « légende urbaine ». 

Chez les urbains-rurbains, malheureusement 90% des populations vivant dans les pays occidentaux, fleurissent, c’est le cas de le dire toutes sortes de légendes sur la nature. C’est un peu normal, car les urbains ne connaissent pas la nature, ils n’y vivent pas. 

Et quand ils cherchent à s’informer, ils ouvrent rarement des livres et encore plus rarement de « bons » livres et vont désormais sur le net, où il y a de très bonnes choses, parfois, et de très mauvaises choses, aussi. Je pense notamment à cet encyclopédie « libre » du net devenu un outil de propagande et de désinformation. 

Ensuite il y a les journalistes de quotidiens grand public qui relaient allègrement n’importe quelle absurdité pseudo-scientifique surtout si elle est catastrophiste. 

Ce n’est pas vraiment de leur faute, 90% des journalistes ont un cursus strictement littéraire et ne panent « que dalle » aux sciences.

Et pour ceux qui y comprennent quelque chose, il va de soi que s’ils proposent à leur rédacteur en chef un article qui n’est pas dans l’air du temps, ils ne seront pas publiés et il ne faudra pas qu’ils y reviennent, pour la suite de leur carrière.

Je vais essayer de faire simple pour un vaste sujet qui ne l’est guère : les plantes nous nourrissent directement, ou indirectement (par l'élevage)... 

Comment cela se passe t-il ?

Quel est la contribution des abeilles ?

Ou la contribution d'autres insectes pollinisateurs dans notre alimentation ?

 

Je vais globalement ignorer les modes de reproduction végétatif des plantes, vaste et passionnant sujet pourtant, pour rester sur la reproduction sexuelle puisqu’on est sur le sujet de la pollinisation.

 

Je vais également m’en tenir aux plantes à fleurs, en d’autres termes les angiospermes parce qu’elles sont la plus importante classe de plantes dans le monde, à la fois la dernière arrivée d’ailleurs, et la première dans l'histoire des plantes à nouer des liens avec les insectes.

On oubliera comme l’ensemble de la presse et des urbains-rurbains qu’il existe d’autres classes de plantes, algues, bryophytes ptéridophytes, qui remontent à plusieurs centaines de millions d’années, moins nombreuses, car écrasées par la concurrence des plantes à graines et qui se fichent des insectes.

Et pour les plantes à graines, on oubliera également les gymnospermes (conifères pour faire très court) qui se fichent également des insectes et sont eux aussi sérieusement écrasés par la concurrence des angiospermes depuis 130 millions au moins.

 

Les angiospermes, il en existe de deux sortes :

les autogames,

et

les allogames.

 

Pas de souci pour les autogames, la fleur, qui est hermaphrodite, s’auto-pollinise, donc pas besoin d’insectes (enfin en général). 

C’est le cas de la plupart des céréales de grande importance alimentaire de part le monde comme le blé, le riz, le sorgho, le soja, l’avoine et l’orge.

A noter que certaines plantes autogames dont beaucoup de graminées sont cléistogames, c’est une forme d’autogamie où la fécondation se fait dans la fleur, avant qu’elle ne s’ouvre.

L’autogamie concerne aussi des plantes qui servent à se vêtir comme le coton ou le lin, des solanacées très consommées comme le poivron, la tomate (voir note 1°/).

Pour être complet, certaines plantes autogames comme le colza peuvent néanmoins profiter  d’une fécondation par les insectes qui peut augmenter la production de 10 à 20%. En fait, cela dépend des conditions climatiques, vent par exemple et de plus en plus des variétés mises au point.

 

Pour les allogames, je vais essayer d’abréger, car c’est un peu compliqué… 

-Soit la fleur est hermaphrodite mais les organes mâles et femelles sont décalés dans le temps sur le plan de leur maturité ou présentent une incompatibilité. 

-Soit la plante supporte des fleurs mâles et des fleurs femelles différenciées mais portées par la même plante. 

-Soit encore il existe des plantes entièrement mâles et d’autres entièrement femelles.

 

Maintenant, contrairement encore aux légendes urbaines, ce n’est pas parce qu’une fleur est allogame qu’il faudra impérativement un insecte et spécialement une abeille pour la féconder. 

 

Certaines plantes allogames s’autofécondent grâce au vent.

On appelle cela l’anémophilie

Pour en rester aux plantes strictement nourricières, l’exemple le plus connu est celui du maïs. La fleur mâle est au sommet de la tige, les fleurs femelles sont portées par la tige, latéralement à des niveaux inférieurs. La moindre brise fait tomber le pollen de la fleur mâle sur les fleurs femelles en contrebas, les fécondant, au moins en très grande partie. 

 

D’autres allogames ont une fécondation anémophile extrêmement médiocre, et une fécondation entomophile (par les insectes) quasi nulle.

C’est le cas du dattier si nourricier pour certaines parties du monde. 

C’est la raison pour laquelle depuis il y au moins 2500 ans avt Jésus Christ, sur toute une zone de l’Afrique du Nord à la Mésopotamie, les peuples qui le cultivaient, développèrent des techniques de fécondation artificielle toujours utilisée aujourd’hui même si elles sont mécanisés. Cette technique a également permis d’abaisser le ratio de palmiers mâles jusqu’à 2 à 3% d’une plantation augmentant considérablement le nombre de palmiers femelles et de là, les rendements en fruits.

C’est aussi par fécondation manuelle que l’on obtient des gousses de vanille sur la presque totalité de la planète, l’insecte dévolu à sa fécondation n’existant qu’en Amérique Latine sa terre d’origine.

 

Dans d’autres cas l’allogamie n’a aucune importance et il n’y a toujours pas besoin d’insectes car les fruits des plantes se développent sur un mode parthénocarpique, c’est à dire sans fécondation, par exemple la banane, l’ananas, le figuier (il existe des figuiers non parthénocarpiques). 

De même pour ces plantes, elles se reproduisent par rejet du pied pour le bananier et l’ananas, par marcottage pour le figuier, du moins pour toutes leurs formes cultivées commercialement.

Effectivement, on objectera qu'il existe des formes sauvages de ces fruits qui "fonctionnent" avec fécondation. Mais globalement, cela concerne surtout les scientifiques qui font de la reproduction croisée pour des nouvelles variétés, et eux aussi n'ont pas besoin d'abeilles !

Ensuite, effectivement, un grand nombre de plantes allogames sont entomophiles, peut-être 80%, c’est à dire que leur fécondation est effectuée par un insecte. 

 

Néanmoins, cet insecte n’est pas forcément une abeille domestique. 

Cela peut-être un lépidoptère (papillons) un diptère (mouches dont les syrphides très importantes et peu connues, souvent confondues avec des guêpes ou abeilles en raison de leurs coloris), un hyménoptère sauvage, c’est à dire un bourdon, une abeille sauvage, etc…

Il faut d’ailleurs remarquer que l’introduction puis la diffusion massive sur l’ensemble de la planète au cours des derniers siècles de l’abeille domestique européenne a fait reculer partout les population d’hyménoptères sauvages endémiques qui assuraient des rôles de fécondation.

 

A contrario, le recul temporaire de l’abeille domestique, tel que j’ai pu l’observer en différentes régions de France dans les années 1990-2010 avait amené un retour en force des bourdons de terre d’une part, des syrphides de l’autre, ce qui est sans doute une des raisons, pour lesquelles en dépit de mes inquiétudes, à l’époque, je n’ai pas observé de baisse de récolte sur mes fruitiers presque strictement allogames comme pommiers, poiriers, cerisiers (voir 2°/)

Les coléoptères comptent également des pollinisateurs dont l’efficacité reste à évaluer d’autant que souvent, ils ravagent en pollinisant.

 

Pour finir sur la fécondation des plantes allogames, certaines sont inféodées à des animaux (zoophilie), chauves souris nectarifères, papillons de nuit, oiseaux tropicaux au long bec comme les colibris. 

Un certain nombre de pitayas, fruits du dragon sont allogames, mais le plus commercialisé, hylocerus undatus, est parfaitement autogame. Cependant, la forme et la taille de la fleur, qui ne dure qu'une nuit, font qu'il ne peut y avoir fécondation sans intervention. Dans ce cas, la fécondation se fait nocturnement par des chauves souris ou éventuellement des papillons de nuit, les abeilles étant trop petites pour être efficaces. Elles sont même nuisibles si la fleur s'ouvre exceptionnellement trop tôt le soir en raison du "pillage" du pollen par les abeilles.

 

Pour un certain nombre de plantes allogames, sur le plan alimentaire pur, la fécondation (ou non) n’a aucune importante, car on mange la plante avant sa floraison. 

Ainsi la carotte ou la betterave dont on mange la réserve nutritive souterraine, le poireau dont on cuit la jeune tige avant qu’elle ne monte en fleur, les choux dont on mange les « pommes » avant qu’elles ne fleurissent ou encore l’asperge dont on consomme une partie des turions, c’est à dire des jeunes pousses provenant d’une racine vivace qui restera en place une dizaine d’années en culture commerciale.

Pour ces plantes, la montée en fleurs et la fécondation des fleurs n’aura d’importance que pour le semencier qu’il soit professionnel ou amateur, comme moi, et vu le nombre de semences produites avec un seul plant, il n’y a aucune raison d’être inquiet.

Je n’ai pas évoqué les plantes à bulbes à forte valeur alimentaire.

Sans entrer dans la complication de création de nouvelles variétés, disons, que là encore, les questions de fécondations ne rentrent pas en ligne de compte puisqu’on les reproduit sur ce qui s’appelle le mode végétatif, c’est à dire en mettant de côté soit des bulbes sélectionnés, pour la pomme de terre ou l’igname, par exemple, soit par des boutures pour la patate douce, le manioc, le taro d’eau.

 

Au final, s’agissant de la France, si on s’en tient aux plantes à valeur alimentaire, céréales, légumineuses, oléagineux, cultures sucrières, légumes, fruits, l’importance de la pollinisation par les insectes, je dis bien, les insectes, et pas seulement les abeilles, est évaluée à environ 10% de la production alimentaire totale, voir moins (3°/).

On est très loin du délirant chiffre de 80% de l'alimentation planétaire dépendant des abeilles annoncés par certains écolo-catastrophistes abondamment relayés par les ignorants journalistes.

 

                                                                      

1°/Des légendes urbaines courent sur le net avec des listes de plantes autogames qui seraient dépendantes des abeilles pour la fécondation et donc la production de fruits.

Je vois ainsi régulièrement citée la tomate, qui est une parfaite autogame, dont la fleur est d’ailleurs peu appétente pour les insectes. 

La légende des tomates, qui seraient dépendantes de l’intervention des abeilles pour la fécondation, vient du fait que la fleur de tomate s’autoféconde d’autant mieux qu’une petite brise secoue gentiment la plante. Elle n’est d’ailleurs pas la seule autogame dans ce cas loin de là. 

Mais pour des questions de ravageurs, comme de maladies, elle est souvent cultivée en serre, dans des univers totalement ou partiellement clos. Traditionnellement, en serre, on secouait gentiment les plants de tomates en fleurs pour pallier l’absence de vent.

Aujourd’hui dans des grandes productions de tomates sous serre sont utilisés des bourdons vibreurs (et non des abeilles comme on le lit parfois). Affamés volontairement, ils vont sur les fleurs de tomates et font vibrer les fleurs, remplaçant le personnel humain ou divers systèmes de ventilateurs.

 

2°/ Une nuance dans l’absence de baisse de récolte : le fait que je n’en ai pas observé, ne veut pas dire qu’il n’y en a pas eu. 

Lorsque vous êtes amateur, vous ne pesez pas des récoltes de fruits, surtout lorsqu’elles sont abondantes et que vous en donnez une cagette par ci, une cagette par là. Maintenant une baisse de 10 ou 15% % ne vous sera pas perceptible, contrairement à une très mauvaise année, elle bien visible.

A lire cependant, cet article intéressant de 2008, avant les hululements des écolos catastrophistes.

https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/moins-d-abeilles-toujours-autant-de-recoltes_4711

-La première cause d'absence de fruits par non fécondation d’un fruitier allogame n’est pas l’absence d’insectes pollinisateurs, c’est l’absence dans un rayon de quelques dizaines ou centaines de mètres, d’un fruitier pollinisateur compatible. 

Qui, en jardinerie, va dire à l'urbain-rurbain moyen des zones périurbaines qui achète un Bigarreau de Hedelfingen, qu’il faut acheter en même temps un Bigarreau Napoléon ? Ou qu’en achetant un pommier Chanteclerc, il faut acheter en même temps un Reine des Reinettes ou un Granny Smith.

D'ailleurs, à mon sens (à vérifier scientifiquement), quand 2 fruitiers allogames compatibles sont à une dizaine de mètres maxi, le vent se charge d’une partie au moins de la pollinisation.

-La seconde cause d’une mauvaise année est la pluie au moment de la floraison, terreur des propriétaires de fruitiers.  La pluie « colle » les grains de pollen en paquets, les faisant tomber au sol. On dit que la fleur coule.

 

3°/Très bon document complet sur les contributions des insectes pollinisateurs aux rendements agricoles   https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-27924-cgdd-pollinisation.pdf

 

Sources :

Aline Raynal-Roques « La botanique redécouverte » INRA éditions 1994

Murray Nabors « Biologie végétale, structures, fonctionnement, écologie et biotechnologies » Pearson Education 2008

Paul Pesson "Pollinisation et productions végétales" Editions Quae 1984

Mon père, pomologue amateur, décédé en 2016

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