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Hbsc Xris Blog - A la poursuite du réel, historique et scientifique, parce que 1984, nous y sommes presque.

Archéologie, Histoire de l'agriculture, de l'élevage, de l'alimentation, des paysages, de la nature. Sols, faunes et flores. Les sciences de la nature contre les pseudos-sciences, contre l'ignorance, contre les croyances, contre les prêcheurs de l’apocalypse.

1. Porteur d'eau à Paris, 1858, la vie d'un ancien berger du Cantal. A la recherche du réel...

Carte IGN actuelle avec le village de Saint Martial, permettant de se rendre compte des reliefs et de l’altitude, ce qui est plus compliqué sur les cartes anciennes (source : IGN.fr)

Carte IGN actuelle avec le village de Saint Martial, permettant de se rendre compte des reliefs et de l’altitude, ce qui est plus compliqué sur les cartes anciennes (source : IGN.fr)

PREAMBULE

Sous le titre « Les ouvriers des deux mondes », la Société Internationale des Etudes Pratiques d’Economie Sociale (SIEPES) fondée par l’ingénieur des mines puis conseiller d’Etat Frédéric Le Play (1°) en 1857, publie à partir de 1857 et jusqu’en 1928, une longue série de monographies ouvrières et paysannes résultant d’enquêtes effectuées dans différentes régions de France, d’Europe ou du monde et dans différents milieux professionnels. Les monographies s’attachent à dépeindre à la fois l’histoire familiale, les activités professionnelles, les budgets familiaux, l’alimentation. 

Pour l’historien, c’est une mine d’informations sur la vie quotidienne à une date précise et en un lieu précis. Il faut cependant décortiquer et analyser les pages se présentant sous forme de budgets comptables parfois austères et bien sûr vérifier la cohérence de l’ensemble en croisant des données de l’époque. Et j’ai découvert que des monographies contiennent des incohérences laissant à penser qu’elles ont été au moins partiellement biaisées pour servir le propos idéologique qui les accompagne.

Généalogiste amateur, j’ai également eu à coeur de rechercher et retrouver les familles à partir des indices ténus fournis par les enquêteurs qui ont toujours eu soin de dissimuler partiellement les identités. Et ensuite de compléter si possible ce qu’on pouvait savoir de leur histoire.

Bien entendu, j’ai respecté l’anonymat voulu à l’époque.

 

Pour ceux qui n’ont jamais fait de généalogie, ou en tous cas, jamais à Paris, les recherches généalogiques à Paris avant 1860 sont bien compliquées. En effet, en 1871, les communards, insurgés de la commune de Paris, incendient de nombreux bâtiments publics dont l’Hôtel de Ville et le Palais de Justice. Ils font ainsi disparaitre la quasi totalité des registres paroissiaux antérieurs à 1792 et toutes les archives de l’Etat-Civil Parisien entre 1793 et 1859 ainsi que leurs doubles. 

Ultérieurement à cette destruction, les autorités civiles ont fabriqué un Etat-Civil dit « reconstitué » à partir de pièces diverses que présentaient les familles. Malheureusement, 90% des pièces de cet Etat-Civil reconstitué sont quasi inexploitables, faute de filiation, d’adresse, d’âge, etc. Pire, bien des enfants morts jeunes avant 1860 n’ont jamais fait l’objet d’une fiche d’Etat-Civil reconstituée puisque cet Etat Civil reconstitué était destiné à redonner une identité officielle aux vivants pour les actes de la vie civile (mariages, successions…) et l’ensemble des familles décédées sans postérité antérieurement à 1860 sont, bien sûr, parties aux oubliettes.

Pour les familles catholiques pratiquantes passées par l’église lors des moments importants de la vie (baptêmes, mariages, décès), il existe cependant des registres retranscrivant ces actes tenus dans les paroisses de Paris après 1793 et qui ont échappé aux destructions.

Un nombre infime de ces registres seulement a été dépouillé et publié en ligne, le reste n’est accessible qu’en consultation sur place, aux Archives de Paris, et à condition de savoir exactement quand chercher et surtout où, le découpage des paroisses ayant varié dans le Paris bouleversé du XIXème siècle. Pour qui n’a pas l’habitude d’un fonds d’archives, cela signifie qu’il faut arriver le matin avec une liste de « côtes » (lettres et chiffres) bien précise à demander à la consultation, et si on ne trouve rien, il faut réétudier les listes d’archivages, et recommencer avec de nouvelles « côtes ».

Le porteur d’eau de Paris est un monographie résultant d’une enquête d’avril 1858.

 

PORTEUR D’EAU A PARIS 1858, HISTOIRE D’UN ANCIEN BERGER DU CANTAL, sur la base d’une enquête d’Ernest Avalle (1830-1904) du SIEPES

Cette histoire commence à Saint Martial, obscure commune d’Auvergne au début du XIXème siècle, se poursuit et se termine à Paris au temps des grands bouleversements d’Hausmann.

Saint Martial est situé dans le sud est du département du Cantal, subdivision d’une région plus vaste connue sous l’appellation traditionnelle de Haute Auvergne. Bordée au nord par la puissante rivière de la Truyère, au sud par les monts de l’Aubrac, à l’est par le Gévaudan, St Martial est un village distant de 4 km de la ville thermale de Chaudes Aigues à laquelle elle était autrefois piètrement reliée. C’est une commune très vallonnée dont l’altitude est élevée, 800 à 900 mètres, en moyenne.

C’est là que nait en 1812, Gérard, fils de Pierre, qui deviendra porteur d’eau à Paris.

 

Voilà ce qu’en dit le « dictionnaire historique et statistiques du Cantal de 1824 », l’année où Gérard est embauché comme berger par quelques familles de son hameau :

Saint Martial de Chaudesaigues (orthographe d’époque), dépendant du canton de Chaudesaigues, arrondissement de St Flour, à 4 km de Chaudesaigues et à 25 km de St Flour : commune de 6 hameaux, 28 maisons, 245 habitants, située entre deux rivières, couverte de bois et de rochers. Le sol produit peu de grains mais a de bon pacages pour les moutons. Pour 14 km2 de superficie, cela ne fait que 3,21 habitants/km2. Dans la France de 1830, la densité moyenne est de 59 hab/km2.

Le recensement de 1851 ne donne plus que 192 habitants à Saint Martial.

 

L’ouvrage « Voyage fait en 1787 et 1788 par la ci-devant Haute et Basse Auvergne’’ » par Pierre Jean Baptiste Legrand d’Aussy (1737-1800) est assez instructif sur le mode de vie des paysans des plateaux et monts de la Haute Auvergne dont fait partie le Cantal. 

Selon sa description, l’habitation du paysan est simple, un logis au milieu, une étable d’un côté, une grange de l’autre, étable et grange communiquant avec le logis par des portes intérieures. Les étables sont éclairées de 2 lucarnes qui ferment par une planche à coulisse et ont 2 portes, une vers le logis, une vers l’extérieure. Elles sont basses de plafond mais comprennent un grenier où l’on entasse fourrage et grains pour le long hiver. Le bois manquant, l’Auvergne ayant été considérablement déboisé à partir du Moyen Age, les paysans ont coutume dès l’entrée dans l’hiver de se réfugier dans l’étable avec leurs bêtes qui leur fournissent la chaleur. Ils y vivent ainsi à peu près d’octobre à mai. Ils installent leurs lits les uns au bout des autres contre le mur du fond de l’étable, derrière les bêtes. Les lits sont des coffres de sapins remplis de paille, les plus aisés ayant des matelas de guéret, c’est à dire de balle d’avoine. 

La description est presque optimiste car des études sur les maisons des communes montagnardes Cantaliennes au XVIIIème siècle et au plus tard jusque vers 1850 font état d’une grande étable dans les angles desquels sont logés des espèces de lits clos ou plutôt de « coffres à dormir » dans lesquels ont dort à l’année et pas seulement durant l’hiver (1°).

« Chambres d’étable », fin XIXème dans« Maisons paysannes et vie traditionnelle en Auvergne » de Breuillé, Dumas, Ondet et Trapon

« Chambres d’étable », fin XIXème dans« Maisons paysannes et vie traditionnelle en Auvergne » de Breuillé, Dumas, Ondet et Trapon

« Coffre à dormir » dans un angle d'étable, fin XIXème dans« Maisons paysannes et vie traditionnelle en Auvergne » de Breuillé, Dumas, Ondet et Trapon

« Coffre à dormir » dans un angle d'étable, fin XIXème dans« Maisons paysannes et vie traditionnelle en Auvergne » de Breuillé, Dumas, Ondet et Trapon

Comme il est à peu près impossible de travailler dehors en raison du climat, on se lève tard tout l’hiver. Les hommes pansent les bêtes, vont battre des céréales en grange si nécessaire et assurent les quelques déplacements impératifs. Les femmes préparent la soupe du déjeuner avec le feu d’un fagot de bruyère. Ce sont-elles qui traient les vaches, et font le beurre et le fromage du moins si les vaches à l’étable sont suffisamment nourries pour que la lactation ne tarisse pas. Elles vont également chercher l’eau à la fontaine et l’une d’elle, chaussée de gros sabots et de guêtres, est chargée de « tasser » la neige dans le chemin, le cas échéant. 

En fin de journée, pour économiser, les voisines se retrouvent après le souper vers 5h du soir dans un coin de l’étable pour filer autour d’une lampe à huile dont l’huile est payée en commun. Rappelons aux rêveurs, que même si grâce à l’industrialisation et à la mondialisation, des magasins commencent à vendre des toiles diverses à un prix qui baisse progressivement dans les grandes villes, cela n’affecte pas encore les campagnes. En conséquence, la majorité des paysannes de ce temps ne filent pas inlassablement pour le plaisir, mais pour habiller leur famille. Le fil qu’elles produisent est confié ensuite à un tisserand local, artisanat de spécialiste disposant d’un métier à tisser. Moyennant paiement pour son travail, le tisserand remet des mesures de toiles qui seront découpées et cousues en vêtements, draps, linges de maison par la ou les femmes de la famille maitrisant la couture.

 

Legrand d’Aussy se dit effaré par l’air étouffant de ces étables où on vit, corrompu par la respiration des hommes et des animaux, rendu infect par les exhalations putrides d’un fumier qui n’est jamais enlevé. Il y voit une des raisons de toutes ces fièvres et maladies de poitrine qui ravagent les populations.

C’est l’élevage bovin et ovin qui règne dans tout le haut pays, dont les sols et le climat sont peu propices à la culture. On parvient cependant à y faire pousser du seigle, des choux, des raves, du sarrasin parfois. Fin XVIIIème, début XIXème, la pomme de terre n’est pas encore arrivée partout mais il y a ici et là des châtaigniers. Legrand d’Aussy s’étonne de n’y rencontrer aucun arbre fruitier. On sait que les émigrants auvergnats en Bretagne en ramèneront diverses variétés de pommiers…

Bien entendu dans un tel contexte, on comprend que toute l’activité agricole soit concentrée sur quelques mois et que ces quelques mois soient d’une intensité exceptionnelle, en particulier à partir de fin juin, juillet selon les endroits quand se succèdent fenaisons pour rentrer le fourrage hivernal et moissons et autres récoltes. Ensuite, si la terre et le climat le permet il reste les semailles d’automne puis le désoeuvrement et l’isolement des mois d’hiver. 

 

Les terres sont déjà morcelées, beaucoup de familles peinent à survivre même si Legrand d’Aussy signale que les paysans de Haute Auvergne, qui bénéficient d’une alimentation plus lacto-carnée du fait de l’élevage, sont tout de même mieux nourris que ceux de Basse Auvergne qui doivent davantage se contenter de céréales et de légumes. On comprend que dans ce contexte, les hommes jeunes aient cherché à partir gagner de quoi, soit compléter les finances familiales à la morte saison, soit tout simplement faire survivre les leurs. 

Les petites migrations vers les plaines ou les vallées où il y a du travail en hiver, ont sans doute précédé les grandes migrations à des centaines de km. Il est vrai qu’on voyage plus facilement s’il y a des routes et en raison de grands travaux de voirie, le XVIIIème siècle voit une amélioration considérable du réseau routier auvergnat, bien des villes et des campagnes gagnent alors leur connexion au reste du pays, voir au monde…

Dès la fin du XVIIème et encore plus au XVIIIème et XIXème, l’Auvergne devient une région de « migrations de travail » avec un ensemble de spécialisations locales. Je renvoie à cet article historique « Aspects de l’émigration temporaire et saisonnière en Auvergne au XVIIIème et au début du XIXème ». L’article date de 1962, mais je n’ai rien trouvé de récent qui soit aussi complet https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1962_num_9_1_2788

Pour ceux qui n’auront pas le courage des 50 pages de l’article, voici au moins ci dessous, tiré de l’article, la carte des métiers des émigrants auvergnats à cette époque. Les spécialisations par région sont remarquables. 

Pour précision, les pionniers sont des terrassiers, un scieur de long (en fait 2 scieurs) scie des planches dans des troncs d’arbres, un frotteur entretient les parquets, un décrotteur nettoyait les chaussures des passants, facilement souillées dans la boue, les déjections animales et parfois humaines et les ordures des rues du passé, un portefaix porte des charges diverses…

1. Porteur d'eau à Paris, 1858, la vie d'un ancien berger du Cantal. A la recherche du réel...

SE DEPLACER AU XIXème

 

« L’Etat Général des Postes du Royaume de France » est une publication régulière du début du XIXème destinée aux voyageurs plutôt aisés et aux commerçants qui empruntent un mode de transport à traction hippomobile ainsi qu’à tous ceux qui souhaitent expédier quelque chose. Les itinéraires desservis par les relais de « Postes aux chevaux » y sont décrits ainsi que les tarifications. 

 

Les relais de Postes aux chevaux étaient des lieux où on trouvait pour les véhicules transportant des voyageurs, du courrier ou des marchandises, des chevaux frais et des postillons pour les attelages. De plus ou moins 7 lieues, soit 28 km, à l’origine, la distance entre les relais se réduit progressivement à 4 lieues puis fin XVIIIème, à 2 lieues, soit 8 km. Le ou les postillons, selon le nombre de chevaux de l’attelage, chevauche un cheval de tête, ce n’est donc pas un cocher. Au relais suivant, le véhicule est dételé, reçoit un attelage de chevaux frais et un ou des nouveaux postillons, tandis que l’attelage précédent rentre au relais auquel il appartient, au pas, pour reposer les chevaux. C’est une belle organisation qui fonctionne bien. Les relais de Poste offraient également ravitaillement, abri, maréchalerie, sellerie-bourrellerie, pour ceux qui se déplaçaient avec leurs propres chevaux et assuraient un service d’aubergiste.

 

Il existe au XIXème (et avant) des lignes de diligences régulières entre les grandes villes gérées par des sociétés de transport qui utilisent les services des relais de Postes aux chevaux. La diligence est un gros véhicule de transport de passagers qui peut recevoir 16 personnes, 3 places de luxe à l’avant, 2 banquettes de 3 se faisant face à l’intérieur, la rotonde à l’arrière qui avait 2 places et l’impériale de 3 places à l’étage, moins chère mais en plein vent. Les bagages s’attachaient derrière la diligence, l’ensemble plein pesant à peu près 5 tonnes étant attelé de 5 chevaux.

On pouvait également se déplacer en malle-poste, plus rapide, un véhicule en forme de caisse rectangulaire, bas de plancher, transportant le courrier mais offrant aussi à des voyageurs 3 places plus spartiates mais un peu moins chères que la diligence. Selon Alfred de Foville dans « Les variations des prix en France depuis 1/2 siècle dans l’Economiste Français 1876, n°40 » la malle-poste de 1832, qui transporte lettres, journaux et voyageurs, fait le trajet Paris-Clermont-Ferrant en 37h, soit 3 longues journées, mais il en coûte tout de même 74 fr pour 388 km, soit 19 fr les 100 km dans un transport grande vitesse de l’époque. Un journalier des campagnes gagne entre 1 fr et 1,50 fr pour une longue journée de travail…

 

Lorsqu’on arrivait dans les grandes villes bien desservies soit entre elles ou plus souvent avec Paris par de belles routes avec un trafic voyageur important, on pouvait prendre la diligence du pauvre, la patache ou « coucou », un petit véhicule à 2 roues, ramassé, extrêmement inconfortable tant par son étroitesse que par ses suspensions archaïques, tiré par un seul cheval souvent en fin de carrière dont l’état et la maltraitance faisait l’objet de caricatures. La patache pouvant transporter 6 voyageurs à l’intérieur plus une voir deux personnes en extérieur à côté du cocher. La patache est un véhicule à la circulation aléatoire, les transporteurs en affectent sur des lignes à certaines périodes ou certains jours où ils attendent une affluence de gens très modestes, et le véhicule ne part que plein. A contrario, on est jamais sûr de trouver une patache.

Une patache « Route de Saint Cloud » 1820 par Charles Vernet, peintre de chevaux, de scènes militaires et de scènes de la vie quotidienne. Source : l’excellent site http://www.attelage-patrimoine.com/article-marqueterie-un-petit-coucou-de-rene-geauphre-93023058.html

Une patache « Route de Saint Cloud » 1820 par Charles Vernet, peintre de chevaux, de scènes militaires et de scènes de la vie quotidienne. Source : l’excellent site http://www.attelage-patrimoine.com/article-marqueterie-un-petit-coucou-de-rene-geauphre-93023058.html

La publication de l’Etat Général des Poste du Royaume de France de 1818, décrit parfaitement l’itinéraire qui va de Chaudes-Aigues à Paris et qu’a sans doute emprunté, à pied, dans ses pérégrinations entre son Cantal natal et la capitale, Pierre, le père de Gérard, puis Gérard.

De Chaudes-Aigues, on allait à St Flour, puis à Issoire et de là à Clermont (Ferrand). De Clermont, on gagnait Moulins, Nevers, Montargis, Nemours, puis Fontainebleau, Chailly en Bière, Ponthierry (aujourd’hui St Fargeau-Ponthierry), Essonnes (aujourd’hui Corbeil-Essonnes, Fromenteau (ancien gite royal aujourd’hui disparu dans Juvisy), Villejuif, puis Paris.

Total Chaudes-Aigues à Paris : 512 km.

Tableau d’assemblage de la carte de Cassini, fin XVIIIème : les principales villes du trajet.

Tableau d’assemblage de la carte de Cassini, fin XVIIIème : les principales villes du trajet.

Sur certains tronçons reliés par fleuves et canaux avec Paris, on pouvait également emprunter le « coche d’eau » qui transportait des voyageurs et parfois également des marchandises. Il est difficile d’en trouver les tarifications mais les historiens avancent un prix divisé par 3 par rapport à celui d’une diligence. Néanmoins, avant la traction à vapeur, les coches d’eau étaient mus par halage bien sûr additionné du courant dans le sens descendant. La vitesse n’excédait guère 50 km/jour en sens descendant, 30 à 40 km/jour en sens montant. L’intérêt financier par rapport à un bon marcheur était donc dérisoire.

 

Comme on se doute bien qu’un paysan pauvre n’empruntait pas une diligence, ni une malle poste, trop coûteuses comment se déplaçaient ces travailleurs migrants avant le chemin de fer ?

Et bien la question est éludée par beaucoup d’historiens. Globalement, on sait qu’ils se déplacent à pied et en groupes d’un même village et des villages alentours, mais il y a bien des questions sans réponses.

Martin Nadaud (Photo du livre "Léonard, maçon de la Creuse")

Martin Nadaud (Photo du livre "Léonard, maçon de la Creuse")

Nous disposons d’un rare témoignage passionnant. Il s’agit des mémoires de Martin Nadaud, garçon maçon de la Creuse, auquel son père a fait donner une instruction malgré l’opposition familiale et qui deviendra un député socialiste de la Creuse. Le titre des mémoires, hommage à son père, est « Léonard, maçon de la Creuse » et il les a fait paraitre à la fin de sa vie en 1895. Il faut le lire, c’est téléchargeable gratuitement.

Né en 1815 à Soubrebost à une vingtaine de km de Guéret, Martin Nadaud était tout à fait contemporain de Gérard, le porteur d’eau, né lui en 1812. Le père de Martin, Léonard, maçon, l’avait précédé dans une vie de migrations de travail et l’avait conduit pour son premier voyage à Paris. 

Lorsque Martin Nadaud part pour son premier voyage de Soubrebost à Paris, il a 14 ans, on est en 1830 et Léonard, son père est le responsable du groupe. Nous ne savons pas grand chose du détail des frais de voyage mais il est indiqué que Léonard se voit remettre 10 fr par chacun de ses compagnons pour payer tous les frais de voyage. 

On mange à peu près correctement, mais pour cette catégorie de voyageurs, pas de chambre particulière, on dort dans des pièces dortoirs où sont entassées d’infâmes paillasses partagées dont les draps sont changés une fois l’an. Balluchon sur l’épaule, l’étape fait 15 lieues, 60 km et le trajet pédestre jusqu’à Orléans ne dure que 4 jours. Nous n’avons pas idée des tarifs des auberges mais le prix du coucher ne devait guère dépasser les 0,10 ou 0,15 fr. Par contre, vu les prix alimentaires de l’époque, il est peu probable qu’il leur ait été possible de se nourrir à moins de 0,50 ou 0,60 fr par jour. Ce qui ferait une dépense d’à peu près 3 fr pour les 4 premiers jours.

A partir d’Orléans, les ouvriers s’entassent dans des pataches ou « coucous » qui leur font faire les 130 derniers km en une longue journée rythmée par les changements de chevaux. Faut-il en déduire que les 130 km en patache coûtaient plus ou moins 6 fr en sachant qu’il fallait encore se nourrir le dernier jour. Cela parait peu. Mais je n’ai pas trouvé d’ouvrages d’époque en détaillant les tarifs, sans doute parce que les gens qui empruntaient les pataches, en principe, ne lisaient pas.

Déplacement de « maçons de la Creuse » au début XIXème

Déplacement de « maçons de la Creuse » au début XIXème

LES PAPIERS D’IDENTITE, CONDITION DU DEPLACEMENT AU XIXème

 

Beaucoup de gens s’imaginent que les papiers d’identité ont été inventés récemment et qu’autrefois, on se déplaçait par mont et par vaux, libre comme l’air et sans contrainte, que nenni !

Identifier clairement les personnes est une préoccupation commune à toutes les sociétés évoluées pour des questions qui ne sont pas seulement celles du simple contrôle des humbles par les puissants, mais qui tiennent aussi à des questions de droit civil (mariages, héritages, contrats) ou à des préoccupations de droit pénal (identifier les délinquants pour protéger les victimes) ou de santé publique (les « billettes », petits documents écrits attestant qu’on vient d’un endroit non contaminé) (3°).

Aussi cruel que nous paraisse aujourd’hui cette pratique, le marquage au fer rouge des délinquants visait simplement à les identifier en cas d’évasion ou à savoir qu’il s’agissait d’anciens délinquants après leur libération, notamment en cas de récidive.

Dès la fin du moyen âge, ceux qui voyagent se font délivrer par des autorités religieuses, civiles ou commerciales de leur localité d’origine, divers documents susceptibles de prouver leur identité et de confirmer qu’ils voyagent pour un motif valable : travail, commerce, pèlerinage. Les domestiques se déplacent avec un certificat de service de leur maître et les ouvriers avec un billet d’acquit. Nobles et marchands se font délivrer des « sauf-conduits ». Un certificat griffonné par le curé de la paroisse accompagne les gens des campagnes qui vont en pèlerinage et complète l’insigne vestimentaire quasi réglementaire, les étudiants qui quittent leur collège pour un déplacement reçoivent un « testificat », les soldats en repos ou libérés reçoivent un « billet de congé ». A partir du XVème siècle se développe le passe-port, document qui à l’intérieur d’un pays sert à passer les portes des villes et les octrois (péages), d’abord utilisé par les marchands mais qui tend à se généraliser à d’autres catégories sociales dans les siècles qui suivent.

Maintenant la fin du moyen âge (1492 très officiellement) et le début de l’époque moderne (1492-1789), selon la terminologie des historiens ne sont pas des époques dorées. Les crises frumentaires régulières s’ajoutent aux épidémies et aux conflits extérieurs comme intérieurs telles les guerres de religion. Beaucoup de pauvres sont sur les routes, mendiants sans papiers, n’ayant plus rien à perdre, même pas leur vie de misère. 

Poursuivant un refroidissement entamé dès la fin du moyen âge, la 2ème moitié du XVIIème siècle et le début du XVIIIème siècle sont marqués par un épisode climatique assez frais appelé minimum de Maunder qui a pour origine une baisse de l’activité solaire. Ce n’est pas exactement une période où il fait linéairement froid, il y a même des périodes agréables, voir des canicules (4°), mais on connait 2 années terribles qui se suivent 1692 et 1693 au cours desquels des millions de français partent sur les routes pour tenter de trouver de quoi survivre. On sait les régions de montagne sont particulièrement touchées, notamment le massif central. Ceux qu’on ne ramasse pas aux bords des chemins gagnent les villes, espérant un morceau de pain. Les troubles sociaux sont nombreux. En un peu plus de 2 ans, il y a entre 1 million et 1,5 million de morts dans une France de 20 millions d’habitants. Un peu plus de 15 ans plus tard, c’est le « grand hiver 1709». Encore, des millions de gens sur les routes, mais seulement 600 000 morts, la crise est plus courte et un peu mieux gérée (5°). Mais ce n’est pas la seule crise du siècle. 13 famines notables frappent la France du XVIIIème siècle, compte non fait des disettes.

Il est vraisemblable que ces épisodes qui ont jeté des millions de gens sur les routes, ont influencé les grandes migrations régulières de travail au sein du royaume de France et au delà. 

De même du côté des gouvernants, les troubles sociaux engendrés par des nuées d’ « errants » ont renforcé la volonté de trouver des solutions pour contrôler tous ceux qui prenaient la route et au cours du XVIIIème, il est de plus en plus malaisé de se déplacer sans un certificat de son curé ou un passe-port quelconque. On enferme ou tente d’enfermer les voyageurs « sans papiers » dans des lieux de travail, parfois même on les expédie au delà des mers pour peupler les possessions françaises du « nouveau monde ».

Un passeport intérieur délivré à Bordeaux en 1859 à un domestique y travaillant qui est autorisé à circuler entre Bordeaux et Neuville dans sa Corrèze natale (source société de vente de papiers de collection Delcampe  https://www.delcampe.net/fr/collections/)

Un passeport intérieur délivré à Bordeaux en 1859 à un domestique y travaillant qui est autorisé à circuler entre Bordeaux et Neuville dans sa Corrèze natale (source société de vente de papiers de collection Delcampe https://www.delcampe.net/fr/collections/)

Après avoir dans un premier temps abrogé les passeports intérieurs, les révolutionnaires les remettent en vigueur par un décret de 1796 qui sera complété par des décrets napoléoniens. 

Un système de passeports pour l’étranger et de passeports pour l’intérieur est bien précisé. 

Nul ne peut quitter son canton et voyager en France sans être porteur d’un passeport intérieur. Ces passeports sont directement délivrés par le maire dans toutes les petites communes. Ils sont en principe individuels, mais l’épouse et les enfants de moins de 15 ans peuvent figurer sur le même passeport. Il se présente sous forme d’une feuille composée de 2 parties, l’une gardée par l’administration, l’autre remise au titulaire. Figurent sur le document, nom, prénom, âge, lieu de naissance, domicile, profession, signalement du titulaire, indication du lieu où il déclare se rendre. Leur durée de validité varie de un an ou du temps du déplacement. Tout déplacement sans passeport intérieur pouvait entrainer au moins une amende. Bien entendu, au cours de la 2ème moitié du XIXème siècle, en multipliant les possibilités de déplacements à un coût de plus en plus faible, le chemin de fer va « naturellement » mettre fin aux passeports intérieurs d’autant que les sociétés privées qui régissent les lignes se refusent aux contrôles des passeports qu’elles ne jugent pas de leur ressort (6°)

 

L’institution du livret ouvrier date de 1749. Il fait suite au billet d’acquit ou de congé, plus ancien, dont devait se munir l’ouvrier ou le compagnon appartenant à un métier organisé qui quittait son employeur ou son maître pour chercher un emploi chez un autre. Il attestait que l’ouvrier ou le compagnon n’était pas en dettes de son ancien maître et libre de toutes obligations vis à vis de ce dernier (7°). 

Supprimé à la révolution française, le livret est rétablit en 1803 et sa législation évolue plusieurs fois au cours du XIXème siècle avant sa suppression. Pour celui qui en détient un, il dispense du passeport intérieur.

On dit souvent qu’il était destiné à contrôler les déplacements des populations ouvrières ce qui est juste, mais il permettait également de surveiller les patrons et chefs d’entreprise à des fins fiscales par le biais de l’évaluation du nombre d’ouvriers employés. 

Les livrets étaient délivrés par les municipalités ou par les préfets dans les grandes villes. 

Le premier feuillet supportait le sceau de la commune de délivrance, le nom, prénom, date de naissance de l’ouvrier, son signalement, sa profession, le nom de son employeur du moment. Il était remis à l’employeur lors de l’embauche et celui-ci devait le faire viser par les autorités. L’employeur devait le rendre à l’ouvrier qui voulait s’en aller chercher du travail ailleurs mais pouvait s’y refuser si l’ouvrier lui devait de l’argent résultant d’une avance sur salaire. Les abus furent nombreux puisqu’un employeur payant médiocrement et mal intentionné pouvait prêter à des gens sachant mal compter plus que ceux ci ne pouvaient rembourser, et ainsi les empêcher de partir chercher meilleur salaire ailleurs.

Le livret ouvrier est souvent présenté comme le « sésame » indispensable pour travailler au XIXème siècle, dont la non possession lors d’un déplacement pouvait entrainer des sanctions pénales, amende de 1 à 15 fr et éventuellement jusqu’à 5 jours de prison. En fait, c’est un peu excessif, il n’était pas toujours indispensable pour travailler, et la présentation d’un passeport intérieur en règle suffisait lors d’un déplacement. 

Les travailleurs indépendants et à leur compte n’en avaient, en principe, pas besoin. 

Certains corps de métier s’en exonèrent très tôt, par exemple dans les métiers du bâtiment, à la fois en raison du caractère très mobile des chantiers mais aussi tout simplement parce que les entrepreneurs déjà eux même le plus souvent sortis du rang, harassés de travail et sachant rarement lire et écrire correctement, sont pour la plupart incapables de « renseigner » régulièrement les livrets de leurs ouvriers et d’en suivre la gestion. 

Il en est de même, de part la nature forcément très temporaire du lieu où ils exercent leurs travaux, de tout ceux qui n’en finissent pas de se déplacer : pionniers (terrassiers) ou tous ceux qui dans les forêts abattent et débitent les bois d’oeuvre qu’exige un siècle rythmé par un tourbillon de grands chantier de construction : canaux, chemins de fer, amélioration du réseau routier, transformations urbaines, le paroxysme du chamboulement étant celui du Paris d’Hausmann dès 1853.

Les agriculteurs, employeurs d’ouvrier agricole ou de domestiques n’avaient pas non plus à renseigner le livret ouvrier, même s’ils employaient temporairement un ouvrier de l’industrie. Paradoxalement des livrets pour des ouvriers agricoles ont parfois été délivrés en certains lieux…

Le livret semble avoir été surtout en vigueur dans les grandes entreprises industrielles, les mines, les carrières, le textile, y compris chez les travailleurs à domicile pour le compte d’un patron, et son respect plus contrôlé dans certaines régions comme le nord de la France et encore des enquêtes montrent 1/6ème à 1/4 des ouvriers d’usines sans livret.

PIERRE, PERE DE GERARD, MIGRANT DE TRAVAIL AVANT SES FILS.

 

Gérard est né en 1812 dans un hameau de quelques maisons dans la commune de Saint Martial dans le Cantal. 

Il est le fils de Pierre, originaire d’un village au nord-est de Saint Martial, qui âgé de 34 ans, épouse en 1812 Marie-Jeanne, âgée de 25 ans, originaire de Saint Martial. 

Pierre est dit à cette époque propriétaire cultivateur, mais il avait été ouvrier tailleur de pierre dans sa jeunesse ce qui laisse à penser qu’il avait déjà voyagé pour travailler. 

Par son mariage, il devient un paysan pauvre, travaillant une terre déjà grevée d’hypothèques selon Gérard.

 

Revenons un peu sur cette question de terre hypothéquée, elle n’indique ni de piètres cultivateurs, ni de mauvais gestionnaires. Morcellement des terres, emprunts usuriers et hypothèques sont la calamité des paysans français modestes du XIXème siècle. 

Il y a 2 raisons à cela :

-La première est la conséquence directe de la révolution française qui créé un « Droit » unique valable sur tout le territoire français, qui remplace les « Coutumes » qui régissaient les différentes régions de France (8°). En matière de successions ce « Droit » unique consacre l’égalité à l’héritage au sein des enfants d’une même famille et mets fin aux pratiques régionales permettant de favoriser voir de léguer son patrimoine à un seul héritier (ou une seule héritière). En fait l’égalité entre les héritiers régnait déjà en Ile de France et dans quelques régions de la moitié nord de la France, les progressifs morcellements cadastraux en attestent, mais la généralisation du système est consacrée. Aussi louable soit le principe d’égalité, s’il y a plusieurs héritiers souhaitant se maintenir sur une exploitation agricole, le système entraine forcément un morcellement des propriétés et donc une baisse des revenus par rapport à la génération précédente. Et quand bien même un seul des héritiers veut poursuivre l’exploitation familiale, il n’en doit pas moins trouver les finances pour payer leur part aux autres, et en conséquence s’endetter.

-La seconde raison est  paradoxalement liée à une évolution positive de la société. Dès la fin du XVIIIème siècle et plus encore au XIXème, les progrès de l’agriculture et de l’élevage qui vont d’ailleurs de concert et la diffusion de la pomme de terre mettent fin aux famines terribles qui rythmaient les siècles passés. Le XIXème connaitra encore des disettes, c’est à dire des périodes de restrictions alimentaires, mais on ne meurt plus de faim par dizaines voir centaines de milliers de personnes. Or au delà des saignées humaines que produisaient chaque famine, démographes et historiens ont démontré qu’en règle générale (certaines épidémies, bien sûr, font exception), il existe une corrélation entre l’état de nutrition de la population et les mortalités épidémiques ce qui est assez logique.

Donc à partir de la fin XVIIIème siècle, on ne meurt presque plus de faim et une population, progressivement mieux nourrie, résiste mieux aux épidémies. En outre, la variole, un fléau des siècles passé, décline progressivement dès la fin du XVIIIème grâce à une technique qui est l’ancêtre de toutes les vaccinations. 

L’hygiène s’améliore, au départ pas vraiment parce qu’on commence à se laver, pour cela il faut attendre le dernier quart du XIXème, mais parce que grâce à la révolution industrielle qui amène jusque dans les campagnes des textiles nouveaux à prix de plus en plus bas, les misérables garde-robes du passé issues de productions uniquement locales, s’étoffent. Plus de linge, c’est le luxe de pouvoir en changer et de pouvoir le laver plus souvent d’autant que le mi XIXème siècle va développer des lieux de lavage alimenté par une eau presque propre ou propre, accessibles sans long trajet et confortables dans chaque commune. Enfin confortable, entendons bien au sens où il n’y avait plus à patauger dans la boue du bord de rivière ! Nos vieux lavoirs ne sont pas si vieux que cela. C’est de suite un peu moins de vermines quotidiennes, puces, poux, punaises avec qui on vivait et qui véhiculait leur cortège de maladies. 

Cela a une conséquence simple, les femmes ne « font » plus une dizaine d’enfants, voir plus, au cours de leur vie pour n’en voir arriver que moins de la moitié à l’âge adulte, parfois un tiers lors des crises, parfois pire… Désormais, même si les mortalités sont quasi impensables vues de notre XXIème siècle français (9°), sauf malchance, on marie plus de la moitié de ses enfants, et progressivement de plus en plus quand on progresse dans le XIXème siècle. 

En terme d’héritage, dans un système égalitaire, les conséquences sont simples. Soit certains s’en vont et ceux qui restent à travailler la terre familiale doivent emprunter pour racheter la part des autres, soit tout le monde reste, sur des lopins désormais fragmentés et qui ne suffisent plus à faire vivre une famille. Il faut donc trouver d’autres sources de revenus ou acheter d’autres terres et pour cela souvent emprunter et hypothéquer. Une ou deux mauvaises récoltes et c’est la chute, les usuriers récupèrent les terres. Le paysan passe « sous contrat » ou devient un simple journalier au quotidien incertain. La bourgeoisie des villes se frotte les mains, la noblesse cantalienne, peu touchée par le révolution également. Ils concentrent notamment les terres « des montagnes » où ils font faire de « la viande » et « du fromage » exporté vers les villes, activités rémunératrices. Un chiffre tiré d’une étude sur les parcelles cadastrales du XIXème siècle, celle des « côtes » de plus de 30 ha appartenant à de grands propriétaires qui représentent 44% des terres privées du département (voir 10°).

 

Pour gagner de l’argent et s’en sortir, Pierre est alors parti à Paris pour travailler comme porteur d’eau. A t-il été seulement porteur d’eau ou s’est-il lancé, sans réussite, dans un commerce de charbon, qui pourrait expliquer une dette de 3000 fr que son fils Gérard s’emploiera à régler dans ses premières années parisiennes ? Marie-Jeanne, l’épouse de Pierre l’a t-elle parfois accompagnée à Paris ou a t-elle passé toutes ses années à travailler sur la petite exploitation aidée de ses enfants attendant les rares retours de son mari ? 

Impossible à savoir.

 

Pierre et Marie-Jeanne ont eu 4 autres enfants après Gérard qui était l’ainé :

 

-Baptiste né en 1816, on ne sait pas où ? lors d’un déplacement ? Il doit s’agir du frère célibataire qui a été porteur d’eau et, malade, est rentré mourir au pays à 40 ans, en 1856, mais je n’ai pu établir de certitude.

 

-Guillaume, né à St Martial en 1818, qui ne vit que 10 jours

 

-Jeanne, né en 1819, qui se marie en 1851 à St Martial. C’est à elle qu’échoit la charge de s’occuper de sa mère Marie-Jeanne après le décès de son père, Pierre en 1852 à l’âge de 74 ans.

Quelques mots de l’époux de Jeanne, Antoine, car c’est intéressant. Celui-ci a 46 ans en 1851 et est veuf. 

22 ans avant d’épouser Jeanne, Antoine s’était marié une 1ère fois en 1829 à Neuvéglises et son épouse, Marguerite, est décédée à Paris en 1844, quelques jours après avoir donné naissance à un garçon. 

Cela implique que le couple Antoine-Marguerite a migré à Paris pour travailler également. Ils ont eu 6 enfants identifiés, une fille née en 1830 à Chaudes Aigues dont on ignore le destin, une fille dont on ignore la date et le lieu de naissance mais qui se marie, encore mineure à Paris en 1848, un fils né en 1835 à Chaudes-Aigues qui décèdera à 24 ans du choléra en Algérie où il est militaire, puis 3 garçons nés à Paris à partir de 1839, dont un au moins a vécu et s’est marié. Le destin des 2 autres nés à Paris est introuvable, ils pourraient être décédés en bas âge et non retranscrits dans l’état-civil parisien reconstitué. 

Lorsque Jeanne, la soeur cadette de Gérard épouse en 1851, Antoine veuf depuis 7 ans, elle reste vivre à Chaudes-Aigues dans la propriété de son mari qui repart travailler à Paris puisqu’il est absent à la naissance de leur fille en 1852. Il est cependant revenu au pays où on le sait présent en 1857 à la naissance de son fils où il est dit propriétaire cultivateur. Or Antoine décède à Chaudes-Aigues à 53 ans, le 30 mars 1858. Jeanne reste dans la propriété de son mari et parviendra à élever ses enfants dans des conditions qui n’ont pas du être aisées. Agée de 61 ans, elle était encore en vie en 1880 au mariage de son fils de 23 ans. Sa fille entrera dans les ordres et décèdera religieuse à Cayenne en 1902. Sa mère Marie-Jeanne, restée avec elle, décédera en 1859.

 

-Jean, né en 1826, c’est sûr, vraisemblablement porteur d’eau à Paris également, mais qui décède jeune, 1844 ? 1849 ? Pour le décès, pas de certitude, mais il est déjà décédé depuis plusieurs années lors de l’enquête de 1858.

Vue du « bourg » du village de St Martial en 1900, cliché numérisé des archives du Cantal. Ce n’est probablement pas tout à fait le village qu’a connu Gérard dans sa jeunesse. Les maisons, sur cette photo, doivent sans doute beaucoup à l’argent des « émigrés » au cours du XIXème. Siège du maquis « Revanche », le « bourg » a été bombardé en juin 1944.

Vue du « bourg » du village de St Martial en 1900, cliché numérisé des archives du Cantal. Ce n’est probablement pas tout à fait le village qu’a connu Gérard dans sa jeunesse. Les maisons, sur cette photo, doivent sans doute beaucoup à l’argent des « émigrés » au cours du XIXème. Siège du maquis « Revanche », le « bourg » a été bombardé en juin 1944.

LA VIE DE GERARD AVANT L’ENQUÊTE D’AVRIL 1858

 

-A 12 ans en 1824, il est engagé comme berger par les quelques familles du hameau. Ces dernières s’engagent pour le loger et le nourrir à tour de rôle, vu les conditions de vie, on imagine comment… Et en sus, lui est versé un salaire annuel de 60 fr. Il y repensera sans doute lorsqu’il gagnera 4,50 fr par jour travaillé à Paris. Pas grand chose 60 fr par an, mais pour un gamin de 12 à 15 ans, c’est conforme aux salaires mentionnés par Christian Estève, historien du Cantal au XIXème siècle (10°).

Il ne faut pas s’imaginer que berger était un métier de tout repos. En ce temps, il n’y avait pas de grillage à mouton ni de clôture électrique. Au mieux des haies protégeaient certains champs ou bois, et malheur si une gueulée d’herbes était prise dans un champs privé ou si une basse branche d’arbre était endommagée. Il fallait prendre soin d’alterner les pâtures selon la saison et les disponibilités, emmener boire à un cours d’eau ou à une mare, 2 à 3 fois par jour, plus pendant les chaleurs, gérer les agnelages, éviter les pertes et veiller particulièrement à la croissance des plus jeunes dont les employeurs du berger attendaient d’autant plus impérativement une rentrée d’argent qu’ils étaient eux mêmes pauvres. Il fallait également veiller à l’état sanitaire des pelages car à cette époque, la laine vaut encore cher, même si « La maison rustique du XIXème siècle » mentionne en 1835 les laines d’Auvergne comme « grossières ». 

Le berger doit aussi protéger le troupeau, car en 1824, même si grâce à la chasse qui leur est faite, les loups ne tuent plus autant qu’au XVIIIème siècle, ils sont encore bien présents en Auvergne, un loup enragé a même attaqué plusieurs personnes en 1823 à l’autre bout du département à Champagnac avant d’être tué d’un coup de hache. Et il n’y a que les rêveurs pour s’imaginer qu’un modeste garçon berger de cette époque, juste nourri lui-même, avait de quoi nourrir un chien de protection. 

L’imagerie « traditionnelle » du berger et de son chien est tirée des grands troupeaux sélectionnés, à l’élevage rémunérateur, appartenant à des notables qui se développent au cours du XIXème siècle et au début du XXème siècle. Plus que des chiens de protection, les chiens étaient d’abord des chiens de conduite de troupeau comme l’était le berger d’Auvergne, une race qui a failli tomber dans l’oubli.

 

A 15 ans en 1827, Pierre, son père le conduit avec lui à Paris, c’est seulement 3 ans avant le voyage du jeune Martin Nadaud et de son père Léonard…

Gérard aide son père dans sa profession de porteur d’eau et y apprend le métier. Mais lorsque Gérard rentre au village en 2 ans plus tard, en 1829, il laisse à son fils 3000 fr de dettes à rembourser. Gérard travaille dur les 3 années qui suivent. 

 

Il a 20 ans en 1832, quand le choléra, venu d’Inde, frappe pour la 1ère fois la France et Paris. Pourtant les autorités médicales françaises avaient assuré que des mesures avaient été prises aux frontières et dans les ports et le pays, qui n’était « ni fangeux, ni infect comme les contrées où sévissait la maladie », était à l’abri de tout risque… (Toute ressemblance avec une épidémie récente n’est que fortuite ! )

De mars à septembre 1832, Paris aligne 18 000 morts du choléra sur une population de 750 000 habitants et les plus touchés sont les classes populaires, et notamment les locataires des garnis de 4ème et 5ème classe. 

Gérard n’en parle pas, il échappe à la pandémie. Est-il rentré à St Martial pour se rendre au tirage au sort de ses 20 ans au canton, à Chaudes-Aigues, ou un proche a t-il tiré à sa place. En tout cas, pour Gérard, pas de chance, il récolte un mauvais numéro…

 

Que veux dire « tirer un mauvais numéro » ? Il s’agissait du système de conscription en vigueur de 1818 à 1872 sans modifications fondamentales. 

Verso d'une publicité pour une marque de café, fin XIXème

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L’armée française de cette époque est une armée qui mêle armée de métier et armée de conscription. Chaque année, les besoins en conscrits étaient évalués et pouvaient varier notamment en raison de la situation politique. Le chiffre annuel de conscrits était réparti entre les départements et les cantons en fonction de la population. Tous les jeunes hommes âgés de 20 ans, ou, en leur absence, leur représentant devaient se présenter à un tirage au sort annuel effectué publiquement, destiné à fournir le contingent de ceux qui intégreraient l’armée pour un service militaire qui durait 6 ans. 

Il y avait donc ceux qui échappaient au service en ayant tiré un « bon numéro » et ceux qui n’y échappaient pas, ayant tiré un « mauvais numéro » et n’étant pas dans un cas prévu d’exemption. Les exemptions étaient prononcées par le conseil de révision à l’issue du tirage soit sur justificatif pour les cas prévus par la loi, soit après examen de l’état physique ou mental et l’état de santé de la jeunesse de l’époque était loin d’être brillant. Aussi inimaginable que cela puisse paraitre aujourd’hui, des cantons avec 30 à 40% d’inaptes physiques voir pire et 2-3 % d’idiots (terminologie de l’époque pour le handicap mental) n’étaient pas rares.

 

Etaient notamment exemptés de droit ceux qui faisaient moins d’1m56, et les français du XIXème siècle ne sont, en moyenne, pas grands (11°), ceux qui souffraient d’une infirmité physique ou d’une déficience mentale ou encore d’une maladie sérieuse, les soutiens de famille à divers titres (orphelins, parents infirmes…), ceux qui avaient déjà un frère dans l’armée ou mort en service, les élèves des grandes écoles, les séminaristes… 

Prenons un exemple simple que je connais : le contingent demandé pour Etampes (91) est en 1841 de 34 jeunes hommes. Donc de 1 à 34, ipso facto mauvais numéros. Cependant, en raison des exemptions, le dernier examiné et recruté a été le n°67 ! Seuls les numéros dépassant le double du contingent requis étaient à peu près certains de détenir un « bon numéro ».

 

Maintenant, pour les enfants des classes aisées n’entrant dans aucun cas d’exemption et ayant tiré un « mauvais numéro », il y a avait un solution financière : le remplacement. Il s’agissait de trouver quelqu’un ayant tiré un « bon numéro », physiquement et moralement « bon pour le service » et acceptant de remplacer un « mauvais numéro » moyennant espèces sonnantes et trébuchantes.

On pouvait bien sûr connaitre quelqu’un, mais en règle générale, au XIXème siècle, il existe un véritable commerce du remplaçant que des recruteurs s’emploient à dénicher dans les campagnes. Des notaires servent souvent d’intermédiaires, mais surtout de véritables entreprises de commerce humain se montent et des sociétés d’assurances proposent même contre cotisations annuelles de mettre à l’abri pour le futur, le jeune rejeton d’une famille aisée en garantissant un remplaçant si mauvais tirage. Prix moyen d’un remplaçant : 1000 à 3000 fr pour les 6 ans, les variations de prix étant liées au contexte politique, aux besoins plus ou moins élevés en conscrits et au risque d’aller ou non mourir dans une guerre. 

Pour pas mal de gens, il ne s’est rien passé militairement en France, entre la fin du 1er empire en 1815 et la guerre franco-prussienne de 1870-71. Au mieux, la repentance étant à la mode, la conquête de la régence d’Alger, une province vassale de l’Empire Ottoman, à partir de 1830 évoque quelque chose à un certain nombre de nos contemporains. Mais ce n’est pas si simple que cela… 

Au gré des humeurs de nos dirigeants politiques d’autant moins soucieux de la vie des autres qu’ils leur étaient facile d’acheter des jeunes hommes pour partir à la place de leurs propres fils malchanceux au tirage, nos malheureux conscrits sans le sou ont été combattre en Grèce, en Espagne, en Belgique, en Italie, au Maroc, en Chine, en Cochinchine et même au Mexique. 

Mais la pire hécatombe oubliée est celle de la guerre de Crimée qui de 1853 à 1856 fait près de 100 000 morts parmi les jeunes français sur un contingent de 310 000 soldats, certes majoritairement morts de maladies, notamment du choléra, mais cela en fait tout de même 1/3 qui n’ont pas revu leur clocher pour une histoire dont ils n’avaient rien à faire.

 

Revenons à Gérard, le voilà embarqué au service militaire, maintenant c’est un Cantalien, et les Cantaliens n’aiment pas du tout, du tout le service militaire, essentiellement parce qu’ils n’ont pas que cela à faire, mais besoin de gagner de l’argent. Ils font donc tout ce qu’ils peuvent pour tenter de s’y soustraire. Cela a même été étudié historiquement quasiment comme un cas d’école (12°)

C’est donc sans s’en cacher que Gérard confesse à l’enquêteur Ernest Avalle avoir tout fait pour se faire réformer, sans doute aidé par le fait qu’il souffrait de temps à autre de soudaines crises de fièvre. Au bout de 15 mois, il obtient satisfaction et est enfin libéré de ses obligations militaires.

 

Fin 1833 ou début 1834, il a à peu près 22 ans, il reprend donc ses activités de porteur d’eau à Paris et retrouve sa clientèle qu’un de ses frères avait servi dans l’intervalle. S’agit-il de Baptiste ? Il aurait eu 16 ans en 1832, plus que l’âge de travailler pour un fils de pauvre de cette époque.

De 1834 à 1842, Gérard est donc à Paris et transporte de l’eau sur ses épaules. Il indique qu’il gagnait 4 fr par jour travaillé en moyenne, se nourrissait pour 1,25 fr à 1,50 fr par jour et se logeait en chambrée pour 4 fr par mois. La chambrée n’est pas très chère.

Nous avons en parallèle le témoignage des mémoires de Martin Nadaud et de son garni parisien en 1830. 

Que raconte t-il ? Qu’il loge dans un garni qui a l’air plutôt bien tenu, avec une logeuse bien sympathique, qui veillera même sur lui alors qu’il est accidenté et alité. Néanmoins sa chambrée est en étage, accessible par un escalier étroit et malcommode, et reçoit 6 lits entassés avec juste un couloir de 50 cm pour passer entre. 12 personnes se partagent les 6 lits, le lit partagé étant l’usage dans ce type d’établissement. Heureusement, ce sont des maçons comme lui, de son village et des villages voisins. 

Le garni abrite 60 locataires et il n’y a qu’un cabinet d’aisances où il faut du courage pour rentrer et son odeur se rajoute à celle des chambrées abritant des ouvriers ne changeant que rarement de vêtement et se lavant bien peu. Rappelons qu’en ce temps, l’eau courante n’existe quasiment pas, c’est pour cela qu’il y a des porteurs d’eau dans toutes les villes et pour ceux qui veulent économiser le porteur, il faut aller soi-même avec un seau ou un récipient à la fontaine. Et pour évacuer les eaux sales, il y a en principe, dans les immeubles, à peu près un « plomb » par étage, un plomb étant un espèce de bac situé sur un palier d’escalier raccordé à une tuyauterie de descente extérieure, qui va… à cette époque, c’est très aléatoire, le plus souvent à la rigole… 

Pour Martin Nadaud, soupe du soir comprise, son garni lui coûte 6 fr par mois, mais bien sûr il faut payer en sus son pain pour tremper la soupe. Le prix est conforme aux garnis ouvriers corrects des enquêtes de l’époque, 5 à 8 fr le mois.

Donc la chambrée de Gérard à 4 fr le mois n’augure pas d’un grand confort mais en payant au mois, on sait que Gérard n’est pas dans les pires des garnis, ceux où on paye à la nuit de 0,20 fr à 0,75 fr pour un de ces taudis innommables décrits dans des enquêtes administratives de l’époque. 

 

 

A 30 ans en 1842, il chute en portant une lourde charge de bois et reste immobilisé pendant 6 semaines. A la suite, il rentre en convalescence au pays et y reste 3 ans, travaillant à la ferme familiale aux côtés de son père.

Fin 1845, il se marie au pays, avec une jeune femme de 22 ans native de Neuvéglise, aujourd’hui Neuvéglise-sur-Truyère. Située à une douzaine de km de St Martial par les chemins, Neuvéglise, c’est presque un grand bourg. Le dictionnaire du nous indique pour Neuvéglise : « 28 hameaux, 672 maisons, 3072 habitants, terrains fertiles en seigle surtout dans la plaine, deux moulins à foulon pour les étoffes, prés médiocres et marécageux, pacages vastes et mauvais. Quelques taillis de hêtres et de bouleaux sont les seuls bois qu’on y trouve ».

L’épouse de Gérard, Elisabeth aurait apparemment préféré un cousin, mais sa famille voit en Gérard un meilleur parti, alors elle se résigne. Des tractations financières accompagnent l’union. On sait que Gérard se voit promettre et Elisabeth apporte 1500 fr de dot et 300 fr de trousseau.

Sitôt mariés, ils partent à Paris où Gérard emprunte 3000 fr à un oncle pour monter un petit commerce de charbon de bois. Le charbon de bois est alors très utilisé par les parisiens dans des petits réchauds pour faire la cuisine. 

Malheureusement, les deux époux, que l’on sait pratiquement illettrés, seule la femme sait déchiffrer des imprimés et tracer quelques chiffres, ont bien du mal à rentabiliser leur petit commerce. 

 

Un petit garçon leur nait en octobre 1846, Jean-Baptiste. 

Elisabeth, l’épouse, contracte le choléra lors de la seconde vague épidémique qui frappe la France du printemps à l’automne 1849 et fait plus de 19 000 décès sur 35 000 malades parisiens dans une ville qui fait désormais juste un peu plus d’1 million d’habitants, toujours dans les limites restreintes de l’ancienne enceinte des fermiers généraux.

Elisabeth en réchappe et donne naissance à un autre garçon Antoine Alfred, en juillet 1850. Grâce à son acte de baptême, on sait qu’ils habitent alors 4 rue de la Tâcherie, paroisse St Merri. 

Plan de Paris en 1839 https://photostereo.org/photos/coll/marques/coll_planparis1839.pdf

Plan de Paris en 1839 https://photostereo.org/photos/coll/marques/coll_planparis1839.pdf

1. Porteur d'eau à Paris, 1858, la vie d'un ancien berger du Cantal. A la recherche du réel...

C’est vraisemblablement cette année là que Gérard et Elisabeth renoncent à leur commerce et le vendent à perte 300 fr seulement. Gérard retrouve du travail comme journalier sur les ports à charbon et c’est plutôt correctement payé, 4 à 4,50 fr par jour travaillé.

En 1851 ou 1852, ils perdent un enfant quelques semaines après sa naissance, on n’a aucune précision à son sujet et je n’ai pas pu lui trouver un nom. 

En 1853, un frère de Gérard, vraisemblablement Baptiste, qui avait repris sa clientèle de porteur d’eau, tombe malade et repart au pays. Gérard reprend alors la clientèle de son frère et redevient porteur d’eau.

Cette année 1853, le petit Antoine Alfred décède, mais une petite fille Marie-Madeleine nait la même année.

La famille est complétée en 1856 par Jules Augustin.

 

Lorsqu’en avril 1858, Ernest Avalle, l’enquêteur du SIEPES, vient les interroger méthodiquement sur leur vie, leur condition de logement, leurs possessions, leur alimentation, leurs gains et dépenses, la famille comprend donc les deux parents et 3 enfants survivants (sur 5) âgés respectivement de 12 ans, 5 ans et 2 ans. J’ai identifié leur domicile, qui est alors, 2 rue des Cordiers, ancien 11ème arrdt, (actuel 5ème) à l’angle de la rue St Jacques, tout près du Panthéon et tout près de la fontaine de l’ancienne place St Michel, à peu près actuelle place Edmond Rostand.

 

Avril 1858… On remarque que Gérard qui évoque sa soeur Jeanne, mariée, qui a leur mère à charge, ignore manifestement que son beau frère est décédé le 30 mars 1858… 

Pourtant le courrier est plutôt performant à cette époque, il ne faut sans doute guère plus de 2 jours à un lettre pour faire Chaudes-Aigues-Paris. Mieux en 1849 a été mis en place le tarif postal unique. Il en coûte désormais le même prix pour un envoi similaire quelque soit la distance. Ainsi, 20 cts permettent d’envoyer dans toute la France une lettre simple pesant moins de 7,5 gr et 40 cts une lettre de 7,5 à 15 gr. Jusque là, le tarif était fonction de la distance en ligne droite entre le bureau d’expédition et le bureau de destination. En 1828, il en coûtait ainsi en moyenne 5 fois plus pour faire 750 km : 1 fr, que pour faire 40 km : 20 cts (13°). 

Certes au niveau du poids cela ne fait pas lourd, mais le papier est cher et l’enveloppe ne se démocratise que progressivement au cours du XIXème grâce à la révolution industrielle. Traditionnellement, on écrivait sur le recto d’une feuille, si l’on écrivait aussi sur le verso, c’était sur les côtés et on en laissait vierge une partie centrale rectangulaire, la seule à apparaitre au terme d’une pliure savante de la feuille suivie de l’insertion d’une languette de papier dans une fente pour tenir l’ensemble fermé. C’était sur ce rectangle du verso laissé vierge qu’on écrivait l’adresse.

 

Mais pour écrire une lettre, il faut savoir écrire, Gérard est illettré. Il est d’autant plus vraisemblable que sa soeur l’était également que dans les familles humbles de l’époque si on se sacrifiait financièrement pour envoyer un enfant à l’école, le sacrifice était fait pour un garçon (voir encore les mémoires de Martin Nadaud). Ce qui signifiait qu’il fallait trouver quelqu’un pour écrire une lettre, prestation qui pouvait être payante si nul ne savait écrire parmi les proches ce qui impliquait également payer papier et encre qui ne sont pas des biens courants à l’époque, et pour finir dépenser tout de même la valeur de presque 1/2 kg de pain pour envoyer le courrier. 

Informer son frère de sa situation nouvelle de veuve ne fut sans doute pas le premier souci de Jeanne, la soeur de Gérard. Savoir comment elle allait désormais nourrir sa fille de 6 ans et son fils d’un an, était sans doute au coeur de ses préoccupations, d’autant qu’elle avait également chez elle sa mère de 71 ans, même si en ce temps, sauf handicap, il ne faut absolument pas imaginer une femme âgée oisive.

 

A suivre : la vie quotidienne de Gérard, Elisabeth et leurs enfants dans le Paris de 1858… et ce que l’on sait de leur destin…

 

(1°) A/S de Frédéric Le Play, https://www.cairn.info/revue-les-etudes-sociales-2009-1-page-3.htm

 

(2°) Breuillé, Dumas, Ondet et Trapon « Maisons paysannes et vie traditionnelle en Auvergne » 

 

(3°) Du sceau au passeport, genèse des pratiques médiévales de l’identification https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00962317/document

 

(4°) Le 16 janvier 1696, 18°9 est relevé à Paris, certes à l’antique thermomètre à huile (incertitude + ou -2°). Les étés 1652-54 et 1662 extrêmes chaud et secs provoquent des famines dans le bassin Parisien et plusieurs régions de France. Des canicules marquent également 1669, 1676 et une série de canicules frappent la décennie 1720. (Recherches du Cercle Généalogique Lorrain d’Ile de France)

 

(5°) Marcel Lachiver, « Les années de misère, la famine au temps du grand roi, 1680-1720 »

 

(6°) Surveiller les déplacements ou identifier les personnes , l’histoire du passeport sous la IIIème république https://www.persee.fr/doc/genes_1155-3219_1998_num_30_1_1497

 

(7°) Du billet de congé au carnet d’apprentissage, les livrets d’ouvriers et d’employés, XVIème-XIXème https://www.persee.fr/doc/rnord_0035-2624_1993_num_75_300_4821#rnord_0035-2624_1993_num_75_300_T1_0291_0000

 

(8°) Emmanuel Le Roy Ladurie, Structures familiales et coutumes d’héritage en France au XVIème siècle https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1972_num_27_4_422569

 

(9°) Anecdotiques mais édifiantes, les constatations récentes d’un généalogiste amateur dans le village d’Huttenheim dans le Bas Rhin au XIXème siècle https://www.histoire-genealogie.com/L-effroyable-moisson-de-la-grande-faucheuse-3394

 

(10°) Christian Estève « A l’ombre du pouvoir, le Cantal du milieu du XIXème siècle à 1914 », un ouvrage de référence à mon sens…

 

(11°) Volontairement, je ne donne pas de taille moyenne des français au XIXème siècle, car les études sont très contradictoires d’une région à l’autre, les gens du nord et de l’est sont ainsi globalement plus grand. Par ailleurs, au cours du XIXème siècle, est signalé un avancement de l’âge de la puberté dans les villes, chez les filles comme chez les garçons, probablement en lien avec la diversité alimentaire, ce qui signifie que la fin de la croissance en taille intervient plus rapidement dans les villes que dans les campagnes, où on fait remarquer que des jeunes gens n’atteignent leur taille définitive que vers 23-25 ans. Or le recensement est à 20 ans…

Certains sites annoncent des tailles moyennes basées sur la taille des conscrits, en semblant ignorer totalement ou partiellement qu’avant 1872, selon l’époque entre 90% et 70% d’une classe d’âge échappait à la conscription, soit ayant tiré le bon numéro, soit exempté pour un motif légal ou physique, soit en ayant payé un remplaçant. 

 

(12°) Le problème de la conscription dans la première moitié du XIXème, l’exemple Cantalien : https://journals.openedition.org/ahrf/669

 

(13°) Très bon site sur l’histoire compliquée des tarifs postaux : http://jean-louis.bourgouin.pagesperso-orange.fr/Site%20tarifs%20postaux.htm

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