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Hbsc Xris Blog - A la poursuite du réel, historique et scientifique, parce que 1984, nous y sommes presque.

Archéologie, Histoire de l'agriculture, de l'élevage, de l'alimentation, des paysages, de la nature. Sols, faunes et flores. Les sciences de la nature contre les pseudos-sciences, contre l'ignorance, contre les croyances, contre les prêcheurs de l’apocalypse.

4. Porteur d'eau à Paris, 1858, la vie d'un ancien berger du Cantal. A la recherche du réel...

Carte postale fin XIXème

Carte postale fin XIXème

RAPPEL :

Sous le titre « Les ouvriers des deux mondes », la Société Internationale des Etudes Pratiques d’Economie Sociale (SIEPES) fondée par l’ingénieur des mines puis conseiller d’Etat Frédéric Le Play (1°) en 1857, publie à partir de 1857 et jusqu’en 1928, une longue série de monographies ouvrières et paysannes résultant d’enquêtes effectuées dans différentes régions de France, d’Europe ou du monde et dans différents milieux professionnels. Les monographies s’attachent à dépeindre à la fois l’histoire familiale, les activités professionnelles, les budgets familiaux, l’alimentation. 

Pour l’historien, c’est une mine d’informations sur la vie quotidienne à une date précise et en un lieu précis. Il faut cependant décortiquer et analyser les pages se présentant sous forme de budgets comptables parfois austères et bien sûr vérifier la cohérence de l’ensemble en croisant des données de l’époque.

Généalogiste amateur, j’ai également eu à coeur de rechercher et retrouver les familles à partir des indices ténus fournis par les enquêteurs qui ont toujours eu soin de dissimuler partiellement les identités. Et ensuite de compléter si possible ce qu’on pouvait savoir de leur histoire.

Bien entendu, j’ai respecté l’anonymat voulu à l’époque.

 

« Le porteur d’eau de Paris » est une monographie résultant d’une enquête menée en avril 1858 dans la famille d’un ancien berger du Cantal, devenu porteur d’eau à Paris.

Rappelons qui ils sont :

Gérard, le père de famille, né en 1812, à Saint Martial dans le Cantal, 46 ans en 1858, a épousé en 1845

Elisabeth, la mère de famille née en 1823, à Neuvéglise sur Truyère dans le Cantal, 35 ans en 1858.

A cette date, avril 1858, ils ont eu 5 enfants dont deux sont décédés, situation qui n’a rien d’extraordinaire dans la démographie encore meurtrière de l’époque…

-Jean Baptiste, né 1846 à Paris, 12 ans en 1858

-Antoine Alfred, né 1850, né à Paris, décédé vraisemblablement en 1853 ?

-Enfant prénom inconnu, né peut-être en 1852, à Paris, décédé peu après sa naissance

-Marie Madeleine, née en 1853 à Paris, 5 ans en 1858

-Jules Augustin, né en 1856 à Paris, 2 ans en 1858

Rappelons qu'Ernest Avalle est "l'enquêteur"

Rappelons qu'Ernest Avalle est "l'enquêteur"

J’ai consacré les trois premiers articles à dépeindre

  1. Les conditions dans lesquels Gérard, jeune berger du Cantal avait pu devenir porteur d’eau à Paris ainsi que les motifs qui avaient pu le pousser à quitter sa campagne http://hbscxris.over-blog.com/2020/10/porteur-d-eau-a-paris-1858-la-vie-d-un-ancien-berger-du-cantal.a-la-recherche-du-reel.html
  2. Le Paris de 1858 dans lequel Gérard, Elisabeth et ses enfants vivent au moment de l’enquête de 1858 http://hbscxris.over-blog.com/2020/10/porteur-d-eau-a-paris-1858-la-vie-d-un-ancien-berger-du-cantal.a-la-recherche-du-reel.html
  3. L’histoire de l’alimentation en eau de Paris jusqu’aux alentours de 1858 http://hbscxris.over-blog.com/2021/03/3.porteur-d-eau-a-paris-1858-l-histoire-de-l-alimentation-en-eau-de-la-capitale.a-la-recherche-du-reel.html

 

Le présent article va nous faire entrer davantage dans le quotidien de Gérard, Elisabeth et leurs enfants.

 

La famille et son univers :

Nous disposons de quelques minces éléments sur le physique, la personnalité ou l’état de santé des uns et des autres :

Gérard, 46 ans, mesure 1m76, ce qui est assez grand pour son époque et il est décrit comme très robuste. Il est qualifié de calme, sobre et bienveillant dans les rapports humains. Il devait être légèrement « grêlé » comme on dit à l’époque, c’est à dire supporter quelques cicatrices, car il avait survécu à la variole, contre laquelle il n’avait pas reçu « la vaccine ». Mais l’enquêteur nous précise qu’elle n’a pas laissé trop de marques. On sait qu’il a eu un accident assez sérieux en portant une lourde charge de bois lorsqu’il avait 30 ans, et qu’il a été sérieusement malade dans les années qui ont suivi son mariage. Peut-être en a t-il gardé des séquelles ? Nous l’ignorons.

Il souffre de temps en temps de « sueurs rentrées » ce qui semble correspondre à ce qu’on appellerait aujourd’hui des « chauds et froids » et se soigne en se faisant transpirer. En fait, on sait aujourd’hui que ce n’est pas d’avoir « chaud et froid » qui rend malade, mais le choc thermique joint au froid altère temporairement le système de défense de notre organisme face à des virus et à des bactéries ambiantes et cette altération des défenses immunitaires suffit pour tomber effectivement malade.

 

Elisabeth, 35 ans, une femme qualifié de vive et gaie, est, pour l’enquêteur, quelqu’un qui jouit d’une bonne santé. Elle a survécut au choléra de 1849 et a eu 5 grossesses sans difficulté, même s’il faut se souvenir qu’elle a perdu 2 enfants dont 1 encore nourrisson. Rien d’étonnant cependant, on est au XIXème siècle.

Le petit Jules Augustin 2 ans et la jeune Marie Madeleine 5 ans, sont qualifiés de plutôt robustes, tandis que l’ainé Jean-Baptiste, 12 ans, est qualifié de frêle.

Je révèlerais à la fin de cette saga ce que j’ai sais du destin des différents membres de cette famille mais disons déjà que curieusement le frêle Jean Baptiste est celui qui vivra le plus vieux…

 

La famille réside 2 rue des Cordiers alors à Paris 11ème, (actuel 5ème arrdt, rue disparue lors des travaux d’Haussmann), au 5ème étage d’un immeuble dont tous les logements sont loués à des familles ouvrières.

Il n’existe pas de photo connue de cette rue, juste une gravure un peu sombre (je l’ai éclaircie) faisant partie d’une série intitulée « Les démolisseurs de la Sorbonne » datée 1885 et faisant référence aux travaux de rénovation et agrandissement de la Sorbonne qui effectivement ont entrainé un cortège de destructions. La rue avait fait l’objet d’un arrêté de démolition en février 1882.

Auguste Lepère "rue des Cordiers" Musée Carnavalet, Paris

Auguste Lepère "rue des Cordiers" Musée Carnavalet, Paris

La famille y occupe 2 pièces pour un total de 18m2.

La première pièce de 12m2 avec une hauteur de plafond normale de 2m15 est éclairée par une fenêtre à croisée qui donne sur la rue, avec une très heureuse exposition plein sud ce qui devait donner une bonne luminosité et peu d’humidité, d’autant qu’étant en hauteur, le logement devait être correctement aéré. Cette pièce est ce qu’on appelle une pièce à feu puisqu’elle possède une cheminée. Les deux époux y ont leur chambre, le berceau de leur petit dernier et on y cuisine, mange et vit.

La seconde pièce fait 6m2 et est aveugle ce qui est commun pour les pièces arrières des anciens bâtiments parisiens. Elle est éclairée par une porte vitrée donnant sur la première pièce ce qui est également ordinaire à l’époque. C’est à la fois le débarras de la maison et la chambre des deux ainés.

 

Le loyer annuel est de 180 fr . Il est payable par trimestre, soit 45 fr à terme, comme c’est l’usage à l’époque. Le propriétaire ajoute 2 fr par locataire pour les frais de balayage.

Il s’agit d’un loyer qui parait dans la moyenne basse pour ce genre de logement à Paris à l’époque qui nous concerne. En effet bien qu’il soit au 5ème étage, il est haut de plafond, bien orienté, et surtout la pièce principale est bien éclairée avec une vraie fenêtre.

On comprend que la famille s’inquiète des travaux en cours dans le quartier et de la sombre perspective de devoir quitter le logement dans les années à venir pour cause de destruction de l’immeuble.

 

L’enquêteur Ernest Avalle nous fournit un inventaire de leur mobilier qualifié de « très vieux, très simple » et en partie hérité d’un des frères du mari. Il y ajoute son estimation en valeur en ayant soin de préciser que le modeste mobilier serait considéré comme luxueux dans le Cantal natif des époux. Ernest Avalle, l’enquêteur a évalué la valeur des biens, non selon leur prix d’achat neuf, mais avec une décote selon leur ancienneté et leur état.

 

Plutôt qu’une longue énumération, j’ai opté pour un plan qui est bien sûr une pure interprétation de ma part fondée uniquement sur les surfaces et ce que je sais de la fenêtre unique, et des deux portes, d’entrée et de communication entre la grande et la petite pièce.

Bien entendu les pièces pouvaient avoir une toute autre forme et les meubles être disposés très différemment.

L’objectif a surtout été de donner une idée de l’encombrement des deux pièces où logeaient deux adultes et trois enfants.

 

De sorte à mesurer la valeur des possessions de l’inventaire familial, commençons par brièvement indiquer les salaires gagnés par Gérard et Elisabeth.

Comme porteur d’eau principalement, scieur et porteur de bois accessoirement, déménageur occasionnellement, Gérard déclare travailler 320 jours/an à 3,5 fr/jour.

Comme piqueuse de cuir de chapeaux à domicile, Elisabeth déclare travailler 150 jours/an à 1,25 fr/jour.

4. Porteur d'eau à Paris, 1858, la vie d'un ancien berger du Cantal. A la recherche du réel...

Pour ceux qui ont lu « http://hbscxris.over-blog.com/2020/04/une-famille-nombreuse-de-manoeuvre-vigneron-de-l-yonne-en-1860-une-lecon-de-courage-travail-frugalite-a-la-charniere-d-une-epoque » rappelons qu’Etienne et Alexandrine, et leur 7 enfants, présents au foyer, soit 9 personnes vivaient dans 2 petites maisons contiguës, la première composée d’une pièce principale de 13 m2 et d’une autre pièce mansardée de 8 m2, la seconde maison constituée d’une pièce unique de 12 m2.

 

On remarque la présence d’une fontaine à eau en grès de 80 litres, il faut bien sûr comprendre à la fois « réserve d’eau » et très probablement « fontaine filtrante ».

4. Porteur d'eau à Paris, 1858, la vie d'un ancien berger du Cantal. A la recherche du réel...

Il n’est pas du tout certain que la fontaine de Gérard et Elisabeth ait ressemblé à l’illustration ci dessus, tout au moins ce modèle était très courant à Paris dans les milieux modestes. La fontaine était faite de pierres de liais, un calcaire très fin et très dur assemblé avec des mastics étanches. Au fond étaient assemblées des plaques de grès poreux, dit « vergier » venant en général de Picardie qui filtraient l’eau par gravitation sur une petite partie du réservoir (eau de boisson) l’autre partie n’étant pas filtrée. Le grès poreux devait gratté et lavé à peu près tous les 3 mois.

 

Les fontaines filtrantes domestiques étaient connues depuis l’antiquité du moins dans leur principe : faire couler de l’eau chargée de toute sorte d’impuretés dans un récipient suffisamment profond contenant à un niveau intermédiaire, une grille fine ou une pierre poreuse supportant des couches variables de graviers, sables, laine, etc… L’eau passait lentement à travers les différentes épaisseurs et une eau filtrée au moins de ses particules les plus visibles tombait à l’étage inférieur du récipient d’où elle sortait par un orifice pouvant en principe être ouvert ou fermé.

On en trouve guère trace en France avant le milieu du XVIIIème siècle et en principe dans des milieux très riches car elles sont chères. Et encore, une partie de la haute société les refuse, suivant l’opinion d’un certain nombre de médecins qui considèrent qu’une eau filtrée a perdu son « air » et ses qualités. Le corps médical préfère longtemps l’eau qu’on laisse reposer pour la décanter en se servant en surface. Rappelons que dans le domaine médical, il faudra attendre la fin du XIXème pour que s’imposent les théories contagionnistes

Petit à petit au cours du XIXème siècle, l’idée de consommer de l’eau filtrée s’impose doucement au fur et à mesure de la compréhension des vecteurs de maladies et infections. Les inventeurs de filtres et de modèles de récipients rivalisent d’imagination, et d’objet de luxe au début de siècle, la fontaine filtrante domestique, grâce à la révolution industrielle, devient un objet presque courant au cours de la seconde moitié du XIXème siècle. Enfin… soyons honnêtes, les villes sont en avance comme dans tous les domaines, mais dans les campagnes, la fontaine filtrante restera exceptionnelle dans les foyers modestes. Encore fallait-il en assurer une maintenance régulière par le nettoyage ou changement régulier des filtres selon la nature de ces derniers.

 

 

Sont également énumérés la vaisselle pour cuisiner et pour manger :

1 marmitte en fonte 4 fr

1 cocotte en fer à pied 5 fr

2 casseroles en fer blanc et 1 casserole en cuivre 5,5 fr

1 panier à salade 0,75 fr

1 cafetière en fer blanc et 1 moulin à café 2,5 fr

2 boîtes et 2 mesures à lait en fer blanc 2,5 fr

1 soupière en faïence, 5 assiettes plates en faïence et 3 creuses, 3 tasses en terre, 6 verres, 5 cuillères, 5 fourchettes, 1 seul couteau pour un total de 10 fr.

On est assez loin du thermomix pour faire la cuisine et du service à vaisselle Guy Degrenne pour se mettre à table…

 

Pour s’éclairer

1 chandelier en cuivre 1,25 fr

1 lampe modérateur 6 fr

Une lampe modérateur , tiens tiens ? C’est une lampe à huile inventée dans les années 1830, peut-être par un mécanicien parisien du nom de  Franchot, mais ce n’est pas très sûr, le débat a fait rage au milieu du XIXème… La lampe modérateur était finalement surtout le fruit d’un siècle d’améliorations successives des lampes à huile.

Le principe est assez simple, le réservoir d’huile est situé dans la partie inférieure. Depuis cette partie inférieure, l’huile remonte dans une mince tubulure jusqu’à la mèche grâce à la pression exercée par un piston surmonté d’un ressort que l’on peut plus ou moins comprimer grâce à une clé.

Au fur et à mesure que l’huile brûlait, le ressort, décomprimé, faisait descendre le piston. Ce qui était appelé le modérateur était une très fine tige métallique, qui suivant le mouvement descendant du piston, libérait de l’espace dans la tubulure d’arrivée d’huile, permettant ainsi de réguler cette arrivée quand le niveau de combustible baissait.

On y brûlait de l’huile de colza. Un « plein » pouvait faire 10 à 12h.

Source : Gallica « Les merveilles de la science et de l’industrie ou description populaire des inventions modernes. »

Source : Gallica « Les merveilles de la science et de l’industrie ou description populaire des inventions modernes. »

En 1860, M. Hadrot, fabricant renommé de lampes modérateur à Paris, est interrogé par le Conseil supérieur de l’agriculture, de l’industrie et du commerce dans le cadre d’une enquête relative à un traité commercial avec l’Angleterre.

On apprend, lors de son audition, que le petit modèle qui est le plus demandé coûte 4,25 fr, le modèle ordinaire 7,5 fr (pour 3,5 fr de matériaux), et, sans ornements, précise t-il, leur modèle le plus cher est à 15 fr. L’entreprise de M. Hadrot produit alors 25 000 lampes par an et exporte une partie de sa production en Angleterre.

 

Dans le mobilier, un détail intéressant et touchant chez des gens aussi humbles et sans instruction, un ensemble de 7 livres pour une valeur de 7,5 fr achetés ou donné au fils ainé Jean Baptiste, 12 ans, qui est vraisemblablement un élève modèle, puisqu’il a reçu en prix scolaire un de ces livres.

Certes, 3 des ces livres sont à caractère religieux mais on a un abrégé d’histoire universelle, une petite géographie, un recueil des fables de La Fontaine et « l’Ami des écoliers », un livre dit de « lecture graduée », mêlant apprentissage du vocabulaire, quelques notions de sciences, des poésies et pas moins de 120 pages de « contes » moraux qui peuvent peut-être prêter à sourire, mais à mon sens manquent aujourd’hui cruellement dans l’éducation primaire.

Privilège d’une grande ville comme Paris, alors que nous sommes encore 15 ans avant l’enseignement primaire obligatoire et gratuit mis en place par les lois Jules Ferry, le jeune Jean Baptiste bénéficie du fait de sa condition modeste d’une éducation gratuite dans une des écoles de la ville de Paris, qui coûterait en principe 4,50 fr/mensuel sur 11 mois, soit 49,5 fr. Mais si Jean Baptiste a quelques livres et va à l’école, c’est également parce que ses parents, bien que sans instruction, l’y envoient, sans doute parce qu’ils sont conscients que c’est important.

Et ils ont raison, dévoilons un peu du futur, Jean Baptiste ne trainera pas des seaux d’eau ou des hottes de bois dans les étages, comme son père, il deviendra imprimeur, le petit Jules Augustin également…

 

Poursuivons l’inventaire :

Le linge de maison est des plus sommaire, 2 paires de draps 30 fr, visiblement destinées aux parents puisqu’il est précisé que les 2 autres paires de draps plus petites 20 fr, sont pour les enfants. Quelques taies d’oreiller, des serviettes en toile et des vieux torchons valant 9,25 fr.

 

Aujourd’hui, vestimentairement parlant, c’est dimanche toute la semaine, mais il fut un temps où le dimanche on essayait de s’habiller mieux que pendant la semaine, il y avait donc les habits du dimanche…

Pour habits du dimanche, Gérard possède une veste ronde et un pantalon en gros drap noir, complété par un chapeau rond en feutre gris, le tout date de son mariage, 13 ans auparavant et vaut 34 fr en 1858, mais neuf, cela en a valu 60.

Elisabeth a gardé la robe de soie violette et à fleurs offerte par son mari lors de son mariage, valeur 30 fr, en 1858, neuve 60 fr, une robe en gros drap noir filé par elle même et tissé au pays valant 10 fr auquel s’ajoute un châle en laine brochée pour 5 fr. Il est estimé par le couple que ces vêtements feront au moins 20 ans.

Pour tous les jours Gérard possède 2 ensembles veste ronde et pantalon en velours de coton, un bleu, 25 fr, un vert, 15 fr, censés tenir 10 ans, 12 chemises en grosse toile reçues en héritage de son frère, 30 fr, qui devraient tenir 20 ans, des gros souliers 8 fr. Les souliers sont apparemment un gros budget annuel, puisqu’en dépit d’environ 4 fr de réparation en moyenne, ils tiennent moins d’un an.

Pour le reste 4 très vieux pantalons en gros draps noirs d’Auvergne, passablement raccommodés, 3 gilets, une casquette, 6 mouchoirs, 2 bourgerons de coton bleu, le tout 36,5 fr. Mentionnons que les bourgerons sont des vêtements de travail en vogue dans la classe ouvrière dans la 2ème moitié du XIXème, faits de grosse toile épaisse et solide, et ressemblant à une blouse en plus court.

Pour Elisabeth, la garde robe de la semaine est plus sommaire, 36 fr au total, et en partie cousue par elle à partir de morceaux de vieux vêtements, 5 chemises de grosse toile, 2 jupons en laine noir, 2 tabliers en laine noire, quelques bas de laine, chaussons, bonnets, fichus, une paire de souliers, le tour est presque fait. Une petite fantaisie tout de même, la robe d’indienne achetée 6 fr, il y a un an.

N’allons pas imaginer qu’Elisabeth se déguisait en squaw ! Un robe d’indienne est tout simplement une robe faite en tissu dit « d’indienne ». Les indiennes sont à l’origine des tissus légers en coton, gaiement peints, importées des Indes à partir du XVIème siècle et qui font fureur dans la bonne société pour leur légèreté et leur toucher agréable.

Dès le XVIIème siècle, ces tissus de coton sont fabriqués en Europe avec du coton importé, mais à partir du milieu du XVIIIème siècle, les effets conjugués de l’augmentation des importations de coton, en partie en provenance des colonies d’Amérique, et de la mécanisation du tissage et de l’impression des toiles abaissent le prix des toiles d’indienne qui, au XIXème, deviennent très accessibles à tous.

Deuxième moitié du XIXème, toutes les femmes des classes populaires, non seulement citadines mais bien souvent également rurales ont une ou deux robes d’indienne.

Passons aux enfants, on est dans les minima nécessaires… Une garde robe de 23 fr au total pour Jean Baptiste, 12 ans, essentiellement tirée des vieux vêtements du mari, à l’exception des souliers. On ne voit qu’un seul pantalon de drap, portait-il parfois un pantalon à son père ?

17,25 fr de garde robe pour la jeune Marie Madeleine 5 ans, et 9 fr pour le petit Jules Augustin 2 ans, tout deux habillées de vieux vêtements et vieilles toiles réarrangées.

Les seules grosses dépenses vestimentaires faites pour les trois enfants sont les achats et réparations régulières de souliers plusieurs fois par an. Une seule paire de souliers pour Jean Baptiste coûte 7 fr, pour les deux plus jeunes, 2,5 fr.

 

Le métier principal de Gérard : porteur d’eau :

Pour exercer son métier de porteur d’eau Gérard possède 2 seaux en fer blanc avec couvercle, d’une contenance de 20 litres chacun valant 9 fr l’un, 2 seaux en bois d’une contenance de 10 litres chacun valant 3 fr l’un et un bâton légèrement recourbé avec une sorte d’encoche aux deux extrémités, appelé « courbe » ou « courte » permettant de soutenir les 2 seaux sur une épaule comme sur la gravure représentant un porteur d’eau du XIXème, valeur 1,25 fr. Total du matériel : 25,25 fr

Dans les siècles passés, même si le joug d’épaule est parfois attesté, les deux seaux étaient plutôt portés à la main, avec le soutien d’une sangle passée derrière la nuque et appelée « bretelle ».

Pour faciliter le portage en évitant notamment le choc des seaux contre les jambes, on écartait les seaux au moyen, soit d’un cerceau, soit d’une espèce de châssis rectangulaire. Notons que le « cerceau » aidait encore au portage des seaux dans les campagnes rennaises jusqu’au milieu du XXème siècle, avant que l’eau ne soit « au robinet ».

Porteur d’eau allant puiser dans la Seine : Hippolyte Bellangé (1800-1866) Musée Carnavalet Paris

Porteur d’eau allant puiser dans la Seine : Hippolyte Bellangé (1800-1866) Musée Carnavalet Paris

L’usage de la « courte » semble s’être imposée au XIXème siècle, du moins chez les porteurs d’eau professionnels. S’il devait être assez pénible de supporter tout le poids de la charge sur une seule épaule, il est vraisemblable que la « courte » limitant l’espace occupé par le porteur d’eau, était bien mieux adaptée aux déplacements dans un univers de plus en plus densément peuplé, et faciliter la monte dans des cages d’escaliers pas toujours très larges.

Notons que s’il en est rarement question et si elles étaient minoritaires, des femmes faisaient également ce métier, mais leur nombre semble avoir décliné rapidement après la révolution française qui marque le début d’une régression de presqu’un siècle et demi dans la condition des femmes françaises…

Porteuse d’eau parisienne supportant ses seaux avec une « courte » : Charles Philipon (1800-1862) Musée Carnavalet, Paris

Porteuse d’eau parisienne supportant ses seaux avec une « courte » : Charles Philipon (1800-1862) Musée Carnavalet, Paris

Dans l’inventaire, on remarquera les 2 seaux en fer blanc et leur prix, encore élevé, même si le prix des objets métalliques est à la baisse rapide dans la 2ème moitié du XIXème grâce à l’industrialisation. Les seaux et autres objets en fer blanc étaient réalisés au moyen de très minces feuilles de fer, recouvertes d’une fine couche d’étain pour empêcher le fer de rouiller à l’humidité.

Le procédé de fabrication date des sidérurgistes du moyen âge, les « ferblantiers » se contentant de découper, travailler, agrafer et souder les feuilles de fer blanc pour en faire de multiples objets. Mais la couche d’étain finissait souvent par s’user, et l’objet rouillait tout de même et s’émiettait sans qu’on puisse le réparer ni réutiliser les fragments.

C’est la raison pour laquelle au XIXème siècle, le fer blanc est de plus en plus remplacé par du zinc laminé, un métal non ferreux, qui ne rouille donc pas et dont les procédés de fabrication ont été ramenés de Chine et d’Inde au XVIIIème siècle. Le zinc est plus facile à travailler, moins cher et recyclable. Initialement, ce sont les ferblantiers qui adoptent le travail du zinc, et courant du XIXème certains objets, encore dit en « fer blanc » sont en fait déjà en zinc.  Dans la 2ème moitié du XIXème, le métier de zingueur se distingue rapidement de celui de ferblantier.

 

 

Les porteurs d’eau étaient de 2 catégories, les porteurs d’eau dit « à la bretelle » qui était la catégorie inférieure dont Gérard faisait partie et les porteurs d’eau à tonneaux qui constituait la catégorie supérieure en raison des investissements requis bien que certains d’entre eux étaient simples locataires de leur matériel et éventuellement de l’animal de trait et il ne gagnait pas forcément beaucoup mieux leur vie.

Seuls les porteurs d’eau à tonneaux étaient rigoureusement immatriculés et contrôlés.

Les porteurs d’eau à tonneaux se subdivisaient eux même en deux classes, ceux qui tiraient un tonneau à la force de leurs bras et ceux qui disposaient d’un cheval.

« La porteuse d’eau », vers 1841, d’une intéressante série « Les femmes de Paris » du dessinateur-lithographe Alfred-André Géniole (1813-1861) Musée Carnavalet, Paris

« La porteuse d’eau », vers 1841, d’une intéressante série « Les femmes de Paris » du dessinateur-lithographe Alfred-André Géniole (1813-1861) Musée Carnavalet, Paris

Les tonneaux tirés « à bras » jaugeaient entre 235 et 395 litres, les tonneaux « attelés » entre 410 et 1075 litres. En ajoutant le poids des roues et du châssis supportant le tonneau, on se doute que pour tirer « à bras », mieux valaient livrer dans des rues soigneusement pavées et de préférence sans pente.

Bien entendu, cela n’évitait pas l’utilisation de seaux, puisqu’arrivés au lieu de livraison de l’eau, c’était au moyen de seaux que l’eau contenue dans les tonneaux était livrée dans le domicile et le cas échéant monté dans les étages d’un immeuble, ce qui pouvait entrainer un surcoût.

Jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, les porteurs d’eau à tonneaux puisaient leur eau dans la Seine, soit gratuitement, en s’engageant avec leurs chevaux dans le fleuve et remplissant ainsi directement leurs tonneaux à l’aide de seaux, soit en se fournissant, moyennant paiement, à une des sociétés de pompes de puisage sur des barges en bord de Seine, les dites pompes fonctionnant par la force humaine ou animale, avant que la vapeur ne prenne le relais.

Lorsque se développent les fontaines marchandes, ils se voient contraints de s’y servir à partir de 1819, à la fois parce que l’établissement de quais surélevés sur les bords de Seine limitait les points de puisage désormais dument réglementés mais aussi parce qu’ils étaient indésirables aux fontaines non marchandes en raison à la fois du temps requis pour remplir leurs tonneaux mais aussi des embarras de circulation qu’ils auraient générés.

Pour éviter de payer 0,90 fr au m3, les porteurs à tonneaux bénéficiaient parfois de complaisances pour charger leur tonneau au robinet d’alimentation de la cour d’un immeuble, en toute illégalité mais à prix réduit.

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur les porteurs d’eau à tonneaux, je renvoie à l’article abondamment illustré sur le site https://www.attelage-patrimoine.com/article-voitures-de-porteur-d-eau-et-de-livreur-de-bain-120861379.html

 

Les porteurs d’eau à la bretelle pouvaient se servir gratuitement dans la Seine, parfois sur des barges de « puisage » aménagées au bord de l’eau ou aux fontaines de puisage dans la ville, à condition de laisser la priorité au public, ce qu’il ne respectaient pas toujours.

 

Gérard est un homme bien avisé lorsqu’il s’est installé rue des Cordiers. J’écris bien avisé plutôt que chanceux car des indices me laissent à penser que ses deux frères porteurs d’eau décédés se servaient déjà là et qu’il y avait déjà travaillé dans le passé.

En effet, d’une part, la fontaine de puisage gratuite à laquelle il remplit les seaux d’eau dont il fait livraison à domicile est la fontaine Saint Michel à 200 mètres à peine de son domicile. Petit rappel, la fontaine Saint Michel de 1858 est située sur l’actuelle place Edmond Rostand face à la rue Soufflot et au Panthéon et non pas en bas du boulevard St Michel face à la Seine comme aujourd’hui.

Cette fontaine St Michel dans laquelle s’approvisionnait Gérard datait de 1686. Son conducteur l’avait voulu monumentale, une haute et vaste niche, encadrée de deux colonnes doriques et surmontée d’un fronton. L’ouvrage était grandiose pour le débit d’eau.

D’autre part, l’ancienne fontaine Saint Michel est alimentée par l’aqueduc d’Arcueil, ce qui est une sacrée chance car cette eau a très bonne réputation. Il était donc vraisemblable que la clientèle potentielle pour l’eau d’Arcueil ne manquait pas, même chez les occupants d’immeubles déjà desservis par un abonnement en eaux troubles de l’Ourcq ou de la Seine et qui cherchaient une eau de boisson ou de cuisine plus satisfaisante.

Croquis de 1828

Croquis de 1828

On remarquera que Gérard n’a pas loin à aller pour travailler contrairement à un paysan des campagnes faisant parfois deux ou trois kilomètres pour gagner le champs ou la vigne où l’attendait son ouvrage. Mieux, il pouvait facilement rentrer chez lui pour faire une pause ou se substenter.

 

Par ailleurs si le quartier de la Sorbonne où vivent Gérard et sa famille comporte de nombreux ilots populeux facilement identifiables sur l’ancien cadastre parisien par l’entassement parcellaire parfois effarant, on y découvre également des ilots d’habitats assez aérés laissant à soupçonner un habitat de classes plus aisées pouvant se permettre de requérir les services d’un porteur d’eau, par exemple la rue de la Sorbonne, la rue Monsieur le Prince, la rue Ste Hyacinthe et leurs abords.

On peut supposer que Gérard n’avait pas de difficultés particulières pour avoir une clientèle d’habitués à une distance pédestre ne dépassant pas les 200 à 400 mètres, ce qui ferait une douzaine de km/jour chargé et autant à vide.

 

Selon Ernest Avalle, la « voie d’eau » de deux seaux de 10 litres, soit 20 litres se vendaient 0,10 fr, celle de deux seaux de 20 litres, soit 40 litres, 0,15 fr.

On sait par d’autres sources que les abonnements étaient courants et baissaient quelque peu le prix, par exemple une voie de 20 litres chaque jour du mois pouvait coûter 2 fr par mois, jusqu’à 2,5 fr en étage élevé. Et les porteurs d’eau à bretelles fonctionnaient beaucoup avec une clientèle fixe qu’ils livraient tous les jours de la même quantité et à peu près à la même heure.

Cela peut permettre d’expliquer pourquoi Gérard gagne 3,50 fr par journée de porteur d’eau alors qu’il déclare faire 35 à 40 voyages par jour, majoritairement avec des « voies » de 40 litres.

 

Nous manquons d’information sur le temps de travail des porteurs d’eau et le rythme de leurs journées. On peut cependant s’en faire une idée de part les horaires de fontaines marchandes qui ouvraient à 6h du matin et fermaient à 15h, or les horaires étaient apparemment calqués sur les besoins en eau des porteurs à tonneaux qui livraient leurs clients surtout en matinée et début d’après-midi.

Rien ne permet de penser qu’il en ait été autrement pour les porteurs à bretelle.

Justement, Gérard indique qu’il peut porter toute son eau en 6 à 7 heures de temps, mais il augmente son temps de travail en augmentant les intervalles entre les voyages pour diminuer la fatigue lorsqu’il n’a pas un travail d’une autre nature pour le milieu du jour.

Si on analyse ses propos, cela signifie qu’à mi journée, il pouvait avoir fini sa journée de porteur d’eau, une sorte de poste du matin selon les critères actuels. En prenant pour base 6h30 de temps de travail et 40 voyages, cela faisait un voyage toutes les 9mn45.

Il est assez logique que les besoins en eau aient été particulièrement importants le matin, la clientèle des porteurs d’eau se recrutant chez des gens plutôt aisés. Or ces derniers avaient habituellement des domestiques, présents le plus souvent dès avant l’aube pour préparer pour leurs employeurs un logis chauffé, un broc à eau et une cuvette pour la toilette du matin ainsi qu’un premier déjeuner du matin. Il est vraisemblable que le « plein » des fontaines de domicile se soit fait également le matin.

N’oublions pas cependant que nous sommes en 1858 et donc à l’heure de Paris, 6h du matin, c’est donc actuellement 5h à Paris en hiver et 4h en été.

 

Cela m’inspire deux réflexions :

La première est que Gérard, bien que faisant ce qu’on appelle un métier de « gagne-denier », perçoit tout de même 3,50 fr par journée de « porteur d’eau », il est plutôt bien rémunéré si l’on compare avec un salaire d’ouvrier d’industrie ou du bâtiment à la même époque à Paris, en moyenne 4,51 fr par journée travaillée, moyenne dissimulant pas mal de disparités.

Pire beaucoup de manoeuvres se contentent de 2,50 fr/jour travaillé.

Gérard est encore mieux rémunéré de sa peine lorsqu’on se souvient qu’à la même époque Etienne, manœuvre-vigneron dans l’Yonne gagne 1,50 fr par jour travaillé.

La seconde est que Gérard peut faire sa journée de porteur d’eau en 6 à 7h de travail, il ne travaille donc ni 11h, (en décomptant les pauses repas) comme un ouvrier parisien, ni de l’aube au coucher du soleil, c’est à dire de 10h à 14h/jour comme un paysan ou un maraicher parisien. En outre, il est maître de son temps, proche de son domicile où il peut faire une pause et où on nous dit qu’il rapporte parfois une commission à la faveur d’un trajet retour.

 

Par ailleurs, on sait que les porteurs d’eau avaient moins de travail pendant environ 4 mois, de la fin du printemps, au début de l’automne pour la simple raison que leurs clients aisés avaient souvent des maisons de campagne dans lesquelles toute la famille et toute la domesticité se rendait pour passer la belle saison. Seul restaient à Paris pour travailler le chef de famille selon l’expression consacré de l’époque avec un domestique. Et encore il partait souvent lui aussi quelques semaines. Par conséquent les besoins en eau étaient moindres, se limitant à ceux qui étaient restés.

Gérard évoque d’ailleurs le caractère restreint de son activité durant les mois d’été et indique faire 235 journées annuelles de « porteur d’eau ».

J’avoue que ces 235 jours m’ont beaucoup chagriné… 4 mois environ soit + ou - 120 jours, avec moins de travail, ne veut pas dire plus de travail du tout. Quels étaient les revenus de ces jours de chômage partiel ? Un gagne-denier vendant sa force ne pouvait-il trouver ponctuellement d’autres journées de travail à faire, surtout au milieu d’un Paris en plein chantier de démolition et de reconstruction ?

Je n’ai pas évoqué les dimanches car j’ai supposé que comme dans la domesticité, un porteur d’eau travaillait tous les jours, on imagine mal un porteur d’eau disant à ses clients « Demain désolé c’est dimanche, pas d’eau ! ». On sait qu’il y avait occasionnellement des arrangements entre porteurs d’eau pour se remplacer entre eux à charge pour l’un de faire double journée pour l’autre et vice versa…

Maintenant j’ai désespérément cherché dans les écrits anciens, des précisions sur la vie des porteurs d’eau. A part leurs querelles, leur confiscation des fontaines publiques à leur usage, leurs tarifs, leurs cris « Eau, à l’eau ! »

Rappelons que les domestiques du XIXème bénéficient royalement d’une journée ou d’une demie journée de repos (et de liberté) par mois…

 

Venons en à la charge portée, si on exclu l’aspect déséquilibré du transport à la courte sur une seule épaule, la charge portée même de 40 kg en comptant les deux seaux de 20 litres, dont on sait qu’il n’était jamais bien pleins, n’est pas énorme surtout si on se projette dans une époque où les transpalettes n’existaient pas !

 

Effectivement, les hommes, et parfois les femmes, des siècles passés étaient habitués à transporter de lourdes charges, et certains en faisaient un métier.

Qui se souvient aujourd’hui des coltineurs ou des forts des halles ?

Les coltineurs étaient des transporteurs de charges en tout genre, farines, charbon, viandes…

Il tiraient leur nom de leurs coltins, à la fois un gilet sans manche, en principe en cuir ou en forte toile et un chapeau de cuir à très larges bords incluant une calotte de plomb au niveau du crâne, l’ensemble étant destiné à les protéger des lourds sacs qu’ils portaient à moitié sur le dos, à moitié sur la tête.

Quelle charge portaient-ils ? Et bien la première fois que j’ai lu que les sacs de grains ou de farine du XIXème siècle (et d’avant) pesaient 159 kg, je n’y ai pas cru. Et bien si, aucun doute, 159 kg, c’était la conversion en système métrique du sac de farine de 325 livres, usité à Paris avant la révolution française. On portera des sacs de farine de 159 kg jusqu’après la 1ère guerre mondiale. Entre les 2 guerres, le sac dégringolera à 100 kg, après la 2ème guerre à 50 kg…

 

Une petite anecdote, la course des coltineurs, dont les concurrents ne sont pas encore nés en 1858, puisqu’elle a lieu le lundi 7 mars 1893 :

Source : Gallica

Source : Gallica

10 coltineurs parisiens, parti à 7h de la rue Feydeau (près de la Bourse à Paris 2ème) doivent rejoindre Corbeil, à 32 km de là, en portant un sac lesté de (seulement) 100 kg de sable et sciure. Ils sont accompagnés chacun par un aide pour les aider à descendre et remonter leur sac lors des pauses, par leurs supporters, par des curieux et des journalistes. Le vainqueur est Jean Labasse 29 ans, un gaillard d’1m74, châtain clair aux yeux bleus, ancien garçon boucher, coltineur du port de La Villette, illettré, originaire de St André et Appelles en Gironde qui fera le trajet en 14h.

Le lendemain, les concurrents se rendent à 5 km de là, sur le trajet de leur course, à Evry Petit Bourg, près du château du Mousseau, déposer une gerbe au pied d’une statue érigée sur le lieu du décès supposé par épuisement d’un « fort de la halle », qui, un siècle auparavant, (plus ou moins les versions divergent) aurait fait le pari de gagner Corbeil à pied par la même route, mais chargé d’un sac de 159 kg (1°).

 

Notons que les forts des Halles, qui constituaient un catégorie « prestigieuse » de coltineurs devaient encore en 1954, entre autres qualités, se montrer capable de porter une charge de 200 kg sur une distance de 45 mètres. Le niveau baissait, c’était 200 kg sur 60 mètres, un siècle plutôt !

 

 

Gérard, scieur et porteur de bois à brûler :

Gérard est essentiellement porteur d’eau mais à 235 journées annuelles de porteur d’eau, cela ne peut suffire pour vivre.

En conséquence il est également scieur et porteur de bois de à brûler.

Scieur de bois à brûler était une tache bien distincte de scieur pour charpenteries et menuiseries comme de scieur pour ébénisterie, des métiers très spécialisés.

Le matériel dont il dispose est plus conséquent que pour le portage de l’eau et vaut au total 41,70 fr.

Citons entre autres 4 scies en acier valant 5 fr l’une et 12 limes, sans doute de types et grains différents à 4,20 fr l’ensemble pour aiguiser les scies et une clé à ranger les dents des scies à 1,25 fr… Qu’est ce ? Le vrai nom est « clé à avoyer ».

Cela servait à orienter légèrement les dents d’une scie alternativement d’un côté et de l’autre pour bien permettre à la sciure de s’échapper de sorte à éviter le blocage de la lame dans le traie de scie. Tout cela pour rappeler qu’autrefois, lorsqu’elle ne coupait plus, on ne jetait pas une lame de scie car il n’y en avait pas à acheter en lot à très bas prix à « Casse toi Clara » et « Leroi Perlinpimpin ». On entretenait donc ses outils quasi religieusement ce qui prenait des heures.

Le fait qu’il possède 4 scies et non une seule est intéressant d’autant qu’il n’avait pas besoin de modèles de scies différentes puisqu’il ne semble avoir scié que du bois à brûler.  Cependant, quiconque a déjà scié du bois sait qu’une lame s’émousse progressivement. En possédant plusieurs scies, Gérard pouvait passer de l’une à l’autre s’en avoir à s’arrêter pour remettre les lames en état. Et de ce fait, il ne perdait pas de temps.

Louis Antoine Capdevielle "Le scieur de bois" Musée des Beaux Arts, Pau

Louis Antoine Capdevielle "Le scieur de bois" Musée des Beaux Arts, Pau

On a bien sûr 1 chevalet en bois pour poser le bois à scier à 2,50 fr, 2 cognées en fer avec manches (merlins) pour fendre le bois à brûler à 3,25 fr, et évidemment une hotte à porter le bois qu’il monte dans les étages ou descend à la cave, dite « crochet ». La description minutieuse de la hotte évoque effectivement une sorte de claie de portage en bois telle qu’en portaient les « crocheteurs »  dans Edmé Bouchardon en 1746 « Les cris de Paris » et qui étaient bien des porteurs de bois.

4. Porteur d'eau à Paris, 1858, la vie d'un ancien berger du Cantal. A la recherche du réel...

Si on sait déjà que Paris utilisait en chauffage et bois d’oeuvre du bois de la forêt de Retz parvenant par le canal de l’Ourcq (voir article précédent), le Morvan était la principale région dont Paris tirait son bois de chauffage de Paris et cela avait commencé au milieu du XVIème siècle.

Comprenons bien le terme de bois de chauffage, ou bois à brûler comme on dit alors, il ne s’agit pas seulement des particuliers qui veulent se chauffer, d’ailleurs avant le XIXème siècle, nombreux sont les logements ou souvent pièce unique des parisiens très modestes qui n’ont pas de cheminée ! En bois de chauffage, il faut donc également comprendre bois de chauffage d’un certain nombre de fours à usage alimentaire comme les fours à pain des boulangers.

 

En effet, dès le XVème siècle, les forêts de la région Parisienne fortement sollicitées depuis des siècles pour alimenter en bois de chauffage et construction la ville de Paris, sont à bout d’exploitation et les grandes forêts qui subsistent sont intouchables car chasses royales et seigneuriales.

On prospecte plus loin, on trouve bien la forêt de Retz mais le canal la reliant à la Marne attendra le mi XVIIème siècle et le transport par route trop onéreux. Les édiles parisiens jettent alors leur dévolu sur les forêts des massifs morvandiaux dont l’exploitation commence dès le XVIème siècle. Mieux, avant même le percement de plusieurs canaux, il existait déjà une succession de cours d’eau, la Cure, l’Yonne et la Seine permettant d’amener les bois jusqu’à Paris soit sur des barges et péniches, soit surtout pour le bois à brûler en « bois flotté ».

 

Au XIXème siècle, l’exploitation, le transport et le commerce des bois du Morvan est sous le contrôle de gros marchands de bois parisiens regroupés dès le XVIIIème siècle en « compagnies »  qui en organise et contrôle les différentes étapes.

Durant les mois d’hiver, décembre, janvier, février, les bûcherons morvandiaux débitaient les arbres en bûches à la longueur approximative de 1,14 m,  le chiffre est bizarre mais il s’agit de la conversion d’une mesure ancienne de 3 pieds 6 pouces (3 pieds de 32,48 cm) + (6 pouces de 2,707 cm). Le diamètre moyen était de 6 pouces (16 cm)

Les bûches étaient marquées d’une empreinte au marteau pour des raisons financières évidentes et mises en tas. Les « débardeurs » se chargeaient de les amener jusqu’aux cours d’eau secondaires où elles étaient jetées jusqu’à en recouvrir parfois complètement la surface. Mars-avril était la grande période de « jetée des bûches », même s’il y avait également une jetée de bûches en octobre-novembre. Pour ne pas bloquer les moulins, cela devait se faire sur des périodes assez courtes. Pour faire avancer les bûches, on gonflait artificiellement les cours d’eau par des lâchers d’eau grâce à un système remarquablement sophistiqué d’étangs artificiels. Un lâcher s’appelait un « flot » ou un « embarquement » et était annoncé aux populations. Les cours d’eau étaient bien sûr soigneusement entretenus et aménagés pour pallier à tout faciliter la circulation du bois. Les bûches partaient en vrac, mais tout de même sous la conduite des « poules d’eau » des meneurs de bûches, qui couraient sur les rives et avec leurs longs crocs évitaient les enchevêtrements et blocages.

Les bûches étaient ensuite interceptées, grâce à des barrages artisanaux, dans des ports intermédiaires comme celui de Clamecy.

4. Porteur d'eau à Paris, 1858, la vie d'un ancien berger du Cantal. A la recherche du réel...

Là on les sortait de l’eau et on les triait selon les qualités et marquages des bois et on les mettait à sécher un temps variable selon leur état. C’était essentiellement un travail de femmes et d’enfants.

A partir d’avril, on les assemblait de façon complexe en grands radeaux allongés appelés « trains » pouvant faire de 70 à 90 mètres de long pour un peu plus de 4,5 mètres de large (4 largeurs de buches d’1m14) sur 50 à 80 cm d’épaisseur. Un train représentait un peu plus de 200 stères de bois.

Tout complexe qu’il était, l’assemblage était un véritable travail à la chaine très systématisé reposant sur la fabrication quasi standardisée de ce qu’on appellerait aujourd’hui des « modules ».

La « Revue des eaux et forêts » tome 15ème, 1876, (parmi d’autres) nous en donne une description :

8 « mises », 6 grandes, 2 petites étaient réunies par 8 pour constituer des « branches ».

72 « branches » étaient assemblées par 4 pour former 18 « coupons ».

9 « coupons » reliés donnait une « part », et on finissait par assembler la « part » de l’avant et la « part » de l’arrière pour constituer le « train ».

Il y avait cependant un choix des bois pour que l’avant et l’arrière du train soient plus légers. Tous ces assemblages utilisaient des grandes perches appelés traversins et les liens étaient faits à partir d’osier ou de jeunes tiges d’arbres assouplies par un séjour dans l’eau. Il était impératif que l’ensemble garde une certaine souplesse pour se déformer sans casser au niveau des pertuis (passages dans les barrages) où le courant était fort.

La grande époque du départ des trains était de fin avril à septembre. Ils étaient rares les 3 mois d’hiver.

Les « trains » partaient toujours par deux.

Chaque train était dirigé par 2 pilotes tous deux munis de grandes perches, le « flotteur » à l’avant qui dirigeait la navigation et un « apprenti » à l’arrière. Vers l’arrière du bateau, au centre, on avait damé une petite couche de terre sur laquelle était installée la cabane en bois des pilotes. Cela leur permettait de cuire leurs aliments et se réchauffer. Le voyage Clamecy-Paris durait une douzaine de jours pour faire 269 km.

Gravure de l'Encyclopédie méthodique 1784

Gravure de l'Encyclopédie méthodique 1784

A l’arrivée, au « port à l’Anglais » de Charenton, les « trains » s’arrêtaient en attendant qu’un inspecteur des ports parisiens leur désigne le port « aux bois » de destination, port de la Rapée, de la Tournelle, port des Invalides…

Arrivés à destination, les « déchireurs » ou « tireurs » mettaient les trains de bois en pièces, les « débardeurs » empilaient les bûches sur des parcs de stockage en piles pouvant faire 10 mètres de haut appelées « théâtres de bois ». Ils y séchaient quelques temps avant leurs ventes aux parisiens. Quand aux pilotes, avant les chemins de fer, ils rentraient à pied.

 

A partir de 1880, l’arrivée de trains de bois flottés à Paris décline progressivement, les derniers trains de bois arriveront dans les années 1920. La raison en est simple, le charbon dont la production a été au départ dynamisée par la révolution sidérurgique, se révèle également un bien meilleur combustible pour le chauffage des domiciles pour deux raisons principales. D’une part, il nécessite un volume presque 6 fois moindre que le bois pour fournir la même quantité d’énergie donc son stockage est bien plus aisé notamment en ville. D’autre part son prix baisse considérablement grâce au développement dans un premier temps des canaux, puis du chemin de fer.

 

Une partie des marchands de bois à brûler livraient à leurs clients un bois déjà scié dans leurs entrepôts, qui était bien sûr plus cher. Mais il était courant que le bois à brûler soit livré aux domiciles parisiens non débité.

Dans ce cas, il était scié à domicile par une population professionnellement un peu « mouvante » qui adaptait son activité au fil des saisons car on ne sciait du bois à brûler guère qu’entre octobre et mars, le pic d’activité se situant de novembre à février. Les porteurs d’eau comme les charbonniers, les ouvriers des ports étaient traditionnellement également scieurs de bois.

Certains se postaient le matin à la sortie des entrepôts pour suivre les convois de bois non sciés et proposer leurs services aux clients à l’arrivée, mais la plupart des porteurs d’eau avaient leur clientèle locale qui les requéraient directement.

Pour en savoir plus deux articles (2°)…

 

A Paris, le bois de chauffage scié ou non scié se vendait livré au rez de chaussée du domicile, on peut supposer dans la plupart des cas, dans la cour de l’immeuble ou de l’hôtel particulier, au prix de 4,5 fr à 5,5 fr les 100 kg suivant la qualité du bois.

La nature du bois ou le fait que le bois ait été flotté, comme dans le cas d’un train de bois ou ait été transporté à sec sur une barge ou par route et à l’époque qui nous concerne, 1858, de plus en plus par chemins de fer, pouvait également faire varier son poids comme sa qualité.

Nous sommes plus habitués à compter en stères. Donc quel volume signifie 100 kg de bois ?

En fait, à juste titre, volume et poids du bois font l’objet à l’époque de comptages et polémiques.

Le bois à brûler se vendait à l’époque soit au poids, soit en « voie », une voie valant 2 stères… Les stères mesuraient 1,14 m (longueurs des buches, expliquée ci dessus), X 0,88 (largeur) X 1 m (hauteur). Quand à savoir combien pesait une « voie », c’était un peu compliqué.

Le « Dictionnaire du commerce et des marchandises » de Jérôme Blanqui, paru en 1855 fait varier la « voie » de bois de 800 kg environ pour du charme ou de l’orme, à 1170 kg pour du chêne de 1ère qualité. Disons + ou - 1000 kg, soit 500 kg le stère, même s’il semblerait qu’on est plus souvent été proche de 450 kg le stère, les marchands ayant souvent l’art de bricoler des « vides » dans l’empilage des stères.

C’est la raison pour laquelle, les parisiens de 1858 et alentours préfèrent en général acheter le bois au poids, en principe par 1000 kg. 

 

C’est effectivement à ces 1000 kg que se réfère Gérard lorsqu’il égrène ses tarifs à l’enquêteur Ernest Avalle :

-1000 kg scié à 1 trait de scie c’est à dire divisant une buche en deux, 1 fr, et bien sûr 2 fr s’il y a 2 traits de scie, divisant la buche en 3, ce qui était le plus habituel selon Gérard.

-1 fr par 1000 kg de bois monté au 1er étage ou descendu à la cave, 0,50 fr par étage supplémentaire.

Les tarifs de Gérard sont conformes au Dictionnaire au « Dictionnaire de la vie pratique à la ville et à la campagne» de Guillaume Bélèze paru en 1859 , sauf l’étage supplémentaire est qui est un peu cher, Guillaume Bélèze annonce 0,30 fr.

 

Gérard indique effectuer 66 journées de scieur et porteur de bois à brûler et indique faire 3,50 fr en moyenne pour chacune de ses journées.

Aujourd’hui, si on a une cheminée ou un chauffage au bois, c’est plutôt en été ou au début de l’automne que l’on rentre son bois. Logique, on a souvent un jardin pour le stocker et un peu plus de temps à cette période de l’année.

Cependant, dans le Paris du XIXème siècle, la grande période pour faire rentrer du bois à brûler était quasi exclusivement les mois où on en avait besoin, c’est à dire d’octobre à mars. Il est probable que même pour les gens aisés, les espaces de stockage de bois manquaient, et par conséquent, on faisait rentrer le bois au fur et à mesure des besoins.

Dans le décompte chiffré des recettes, Ernest Avalle indique d’ailleurs : Sciage et transport du bois pour le compte de particuliers, principalement d’octobre à avril…

 

C’est là que j’ai commencé à m’interroger sur les journées de travail de Gérard puisque le moment où il a du travail comme scieur et porteur de bois et aussi le moment où il a le plus de travail comme porteur d’eau.

Et j’ai repensé à ce que Gérard dit à Ernest Avalle, je cite : « qu’il peut transporter toute son eau en 6 ou 7h (seulement) s’il sait avoir quelque autre ouvrage pour le milieu du jour ».

Il est donc possible que l’activité de scieur et porteur de bois ait pris place un certain nombre d’après-midi après une matinée de porteur d’eau.

 

Quel était le temps passé à cette activité ? 3,50 fr correspondent, entre autres possibilités, à 1000 kg scié à 2 traits (2 fr) puis monté de 2 étages (1 fr + 0,50 fr)

Des expériences comparées de sciage de bois à brûler avec une scie classique à main et avec une scie à ruban mue à pédales sont relatées dans le « Bulletin du Musée de l’Industrie, volume 45 » de 1861. L’article nous permet d’apprendre que 2 ouvriers scieurs sciant à la main, se relayant de sorte à ce qu’il n’y ait aucune interruption et disposant de jeux de scie affutées de rechange, pouvaient débiter un peu plus d’un stère de bois à brûler en 1 heure en 2 traits de scie, c’est à dire, chaque bûche en 3 morceaux.

On peut donc supposer qu’un homme seul, disposant du même jeu de scies de rechange, aurait scié le stère à 2 traits en 2h, et donc 1000 kg en environ 4h sur la base d’environ 500 kg le stère. Je pense qu’il ne fallait pas mollir !

Quid du portage du bois ?

Nous avons par « L’aide mémoire général et alphabétique des ingénieurs » G. Richard paru en 1854 quelques éléments approximatifs que la charge utile d’un crocheteur de bois qui gravit des étages est de 55 kg ce qui correspondrait à un peu moins de 20 voyages pour monter 1000 kg. Le temps pour la montée d’environ 4 étages (12 mètres) est évalué à 1mn10, donc un peu moins pour 2 étages. Redescendre puis recharger le « crochet » avant une nouvelle ascension est évalué à près de 5 mn. On ignore si le « crocheteur » range le bois dans un local lorsqu’il est à l’étage où si un domestique prend le relais. En retenant 10mn par trajet, Gérard a tout de même 46 ans, cela ferait 3h pour le portage de 1000 kg de bois.

Donc en totalité, on aurait 7 heures de travail pour 1000 kg de bois scié à 2 traits et monté à 2 étages ? C’est un calcul qui permettrait de créditer l’hypothèse d’une sorte de poste d’après-midi de scieur et porteur de bois finissant vers 20 ou 21h après une courte pause de midi. Ok, soyons clair, pour tenir ce rythme supposé, il faut être solide et courageux…

Un petit point sur ce que cela implique en durée du jour, à Paris, le jour « naturel » est assez court en automne et au début de l’hiver et décline jusqu’à seulement 8h15 au moment du solstice d’hiver, le 21 décembre. Mais le Paris de 1858 commence a être assez bien éclairé, de même que les communs des immeubles bourgeois dont les concierges allument les becs de gaz avant l’aube et les éteignent quelques heures après le crépuscule. Il est donc en principe possible de travailler après la tombée de la nuit.

 

Il est parfois expliqué que les progrès de l’éclairage qu’il soit au gaz ou électrique ont aggravé la condition des travailleurs des villes comme des campagnes industrielles ou minières. Ce n’est que partiellement vrai. Cela a permis de les éloigner plus longtemps de leur domicile mais n’a pas forcément allongé leur journée de travail.

Il faut se souvenir que la majeure partie de ces travailleurs était soit d’anciens manœuvres ou paysans modestes des campagnes, soit leurs descendants à guère plus d’une ou deux générations.

Or la condition des manoeuvres et paysans modestes des campagnes n’était guère enviable même s’ils ont peu intéressé les proto-marxistes du XIXème siècle qui ont concentré leurs discours et leurs actions sur le monde industriel et minier. On notera que cela n’a guère changé…

Quelles étaient les journées des manoeuvres et paysans modestes des campagnes ? Travaux (souvent éreintants) de l’aube au coucher du soleil à longueur d’année, suivis lorsque les jours étaient courts, de veillées collectives à la chandelle, non pas pour « bécqueter » des gâteaux et friandises comme certains l’imaginent aujourd’hui, mais pour économiser l’éclairage et le chauffage tout en continuant à travailler jusque tard dans la nuit : filage, travaux de couture, tressage de paniers, réparations d’outils, cassage de noix… Etait-ce vraiment pire d’être ouvrier ?

Revenons à Gérard…

J’ignore s’il faisait succéder un poste d’après-midi de scieur et porteur de bois, à un poste du matin de porteur d’eau. C’est une simple hypothèse que laisse entrevoir les propos qu’il tient sur son temps de travail et qui serait corroborée par le fait que le pic annuel d’activité pour un porteur d’eau est en partie chevauché par le pic annuel d’activité pour un scieur et porteur de bois à brûler.

Il est également tout à fait possible qu’il se soit arrangé certains jours avec ses collègues porteurs d’eau car on sait que ces derniers se remplaçaient les uns les autres en cas de maladie ou d’empêchement de sorte à assurer la continuité du service pour leurs clients.

 

Gérard déménageur et commissionnaire

Bien entendu, Gérard n’était aucunement un de ces déménageurs officiels qui sont presque une centaine dans l’Almanach Bottin de 1856. I

l est vrai que dans le Paris des grands travaux d’Haussmann, où tous les jours des immeubles anciens tombent sous les travaux des démolisseurs contraignant leurs occupants à changer de rue, de quartier, voir parfois partir en banlieue, le métier de déménageur faisait recette. Et il fallait des déménageurs pour toutes les classes sociales, pour les modestes parisiens comme pour les gens riches. L’enquêteur Ernest Avalle n’échappera pas aux bouleversement de son temps et quittera sa paisible rue des Postes pour aller vivre dans un bel immeuble haussmannien tout neuf. Les déménageurs officiels étaient de véritables entreprises avec voitures attelées de chevaux et ribambelle de gros bras pour déménager les pléthoriques mobiliers des beaux appartements ou belles maisons bourgeoises ou aristocratiques. A côté des déménageurs officiels, on a une multitude de gagne-deniers tirant charrette à bras et vendant sa force physique qui déménage une populace modeste dont les biens ne justifieront que quelques trajets voir un seul.

4. Porteur d'eau à Paris, 1858, la vie d'un ancien berger du Cantal. A la recherche du réel...

On a souvent écrit que les travaux d’Haussmann ont jeté la population ouvrière parisienne loin des quartiers où elle vivait initialement, la cantonnant dans l’est parisien, voir la rejetant brutalement en banlieue.

Ce n’est pas très cohérent avec la croissance ininterrompue de la population parisienne dans le Paris des 20 ardts : 1,7 millions de parisiens en 1861, presque 2 millions en 1876, et 2,7 millions en 1901. En fait il me semble qu’à partir de la fin du siècle, Paris a surtout jeté ses industries progressivement hors les murs, et les ouvriers ont d’autant plus suivi leurs industries que l’on se logeait plus grand et moins cher en banlieue.

Pour avoir beaucoup exploré la vie des parisiens modestes via des recherches généalogiques, il me semble qu’à l’époque qui nous concerne, autour de 1860, lorsqu’on déménage, on va rarement très loin. Et lorsqu’on s’éloigne vraiment, c’est plutôt par une succession de sauts de puce ou parce qu’on a changé de génération, ce sont les enfants qui changent de quartier ou de localité. Raison qui explique à mon sens ces déménagements populaires en charrette à bras : on ne va pas si loin que cela, du moins pas d’un coup.

 

Deux cartes donnent une idée des bouleversements en cours dans le quartier de Gérard et Elisabeth au temps où ils y ont vécu.

La première carte est le plan dit Andriveau-Goujon (du nom de l’imprimeur cartographe) datant de 1850 où le vieux Paris est encore en place.

La seconde carte est un plan également Andriveau-Goujon datant de 1868.

Sur le plan de 1868 ont été figurés en traits rouges pleins les travaux effectués entre 1854 et 1866, j’ai complété avec les dates. Les traits rouges parallèles signalent les travaux programmés, certains déjà engagés en 1868.

Bien que la rue des Cordiers soit encore intacte en 1868, Gérard et Elisabeth n’y vivront plus.

4. Porteur d'eau à Paris, 1858, la vie d'un ancien berger du Cantal. A la recherche du réel...
Dates de début des travaux selon « Ville de Paris : Nomenclature des voix publiques et privées », sous la direction de M. Alphand, directeur des Travaux de Paris, Imprimerie Choix 1885 Voir note (3°)

Dates de début des travaux selon « Ville de Paris : Nomenclature des voix publiques et privées », sous la direction de M. Alphand, directeur des Travaux de Paris, Imprimerie Choix 1885 Voir note (3°)

Gérard ne possède même pas de charrette à bras, il en loue une occasionnellement, à 0,35 fr de l’heure, pour les déménagements qu’il fait. Il précise qu’un travail de 4 à 5 h lui rapporte en moyenne 5 à 6 fr, les prix étant fixés de gré à gré ce qui est plutôt bien payé.

Ernest Avalle crédite Gérard d’un revenu net de 3,50 fr par « jour » de déménagement. On suppose que c’est après soustraction de la location de la charrette à bras…

Encore une fois, comme pour le travail de scieur et porteur de bois on peut se demander s’il s’agit d’un travail d’après-midi à l’issue d’une matinée de porteur d’eau, mais encore une fois, je n’ai aucune réponse.

J’ai inclus les tâches de commissionnaire qu’exercerait occasionnellement Gérard dans le paragraphe sur les déménagements ainsi qu’elles le sont dans le bilan financier. Elles ne sont pas précisées et on ignore si elles fournissaient un revenu distinct.

Commissionnaire peut avoir divers sens au XIXème siècle, mais il ne fait aucun doute qu’il faille entendre ici commissionnaire au sens de « porteur ». Cela pouvait être porteur de malles pour des voyageurs, déchargeurs de voitures de marchandises pour un commerçant, quelqu’un livrant un achat lourd et encombrant à un client d’un magasin, etc… En tous cas, il s’agit de fonctions assez ponctuelles.

 

Ernest Avalle a considéré dans son enquête que Gérard travaillait 320 jours sur 365, dont 235 comme porteur d’eau, 66 comme scieur et porteur de bois et 19 comme déménageur.

Chaque tâche est donc traitée comme une journée de travail à part entière et si tel est le cas, il faut bien constater qu’en se situant temporellement au XIXème siècle, ce sont de « courtes » journées de travail au regard des longues journées d’un ouvrier d’industrie ou d’un paysan des campagnes.

 

Elisabeth, piqueuse de cuir de chapeaux puis quelques années plus tard, casquetière

En 1858, Elisabeth est piqueuse de cuir de chapeaux, travail qu’elle exerce à domicile pour un patron.

Je n’ai aucune compétence particulière en techniques de confection de chapeau, si ce n’est des informations glanées ici et là sur de vieux ouvrages. Par ailleurs, au XIXème siècle, comme dans les siècles passés, il y a maintes sortes de chapeaux, des chapeaux d’homme, des chapeaux de femme, des chapeaux de riches, des chapeaux de pauvres, ou de simples coiffes de paysannes

Que tout le monde ait pu porter un chapeau dans le monde d’hier ou d’avant hier est une chose qui parait curieuse aujourd’hui où tout le monde aime à aller tête nue et où on ne porte une casquette guère que pour son chic et sa marque.

A la base, comprendre pourquoi il fut un temps où tout le monde portait un chapeau ou une coiffe quelconque est très simple, il suffit de passer ses journées à travailler dehors, quelques brûlures du visage ou des lèvres plus tard ou quelques coups de froid et otites, selon la saison, et on ne sort plus sans couvre-chef. Il était également bien appréciable d’avoir la tête emmitouflée dans des intérieurs peu chauffés voir glaciaux ce qui fut ordinaire pour nos ancêtres.

Bien entendu, ce qui n’était qu’un élément vestimentaire indispensable pour les gens du peuple s’est également décliné à toute époque comme un accessoire emblématique d’un rang social ou d’une fonction particulière. Mais au XIXème siècle, les progrès de l’industrie et des transports dynamisent la production et le couvre-chef devient aussi indispensable

Une grande partie des chapeaux fabriqués au XIXème siècle sont en feutre, accessoirisés ensuite différemment selon leurs destinataires. Mentionnons simplement que la fabrication du feutre à partir de poils d’animaux nécessitait des traitements chimiques à base de mercure et d’arsenic, particulièrement nocifs pour les ouvriers et ouvrières qui y travaillaient. Pour ceux qui veulent en savoir plus, un article aussi intéressant qu’édifiant http://lapeaulogie.fr/techniques-toxiques-chapeaux-mercuriels/

Les cuirs de chapeaux que piquent Elisabeth semblent être les doublures intérieures mais je n’ai pas de certitude. Elle n’est donc en principe pas au contact avec les feutres même si les produits utilisés pour les tannages n’étaient pas anodins. On ne dira jamais que les artisans des siècles passées pouvaient utiliser sans aucune précaution des produits chimiques artisanaux issus de minéraux, végétaux ou de déchets animaux ou humains, dont la toxicité nous effarerait aujourd’hui.

Le piquage de cuir n’était pas un travail pénible physiquement si ce n’est pour les doigts. Il était par contre complètement répétitif bien que maints travaux du passé étaient complètement répétitifs, pensons au geste du piocheur de vigne, une douzaine d’heures par jour…

C’était un métier plutôt mal payé, les études de l’époque évoque 0,20 fr pour le piquage d’une douzaine de cuirs et guère plus de 4 douzaines de cuirs réalisables en une journée, ce qui ferait 0,80 fr/jour. Ernest Avalle nous dit qu’Elisabeth gagne 1,25 fr/jour à cette tâche pour 150 jours travaillés par an.

En fait, elle gagnait plus probablement à peu près 0,80 fr/jour car on apprend au détour de l’enquête qu’elle y consacre des après-midis et soirées uniquement et que cela rapporte moins d’1 fr. Ernest Avalle a du faire une estimation de la valeur de son travail si elle y avait consacré des journées entières.

C’est son fils Jean Baptiste qui se charge d’aller chercher les cuirs à piquer et de les ramener, sans doute de très bonne heure le matin avant d’aller à l’école car on sait que les fabricants distribuaient l’ouvrage vers les 6h du matin, les employées à domicile se plaignant souvent du temps perdu à attendre leur tour avant de rentrer chez elles pour commencer à travailler.

Ce n’était pas très loin, une vingtaine de minutes à pied, mais entre trajet aller et retour et attente, il pouvait sans doute y passer 2h avant de commencer sa journée d’écolier.

 

Quelques années après 1858, grâce à la généalogie, nous avons retrouvée Elisabeth casquetière, c’est à dire « couseuse de casquettes ». Il s’agissait également d’un travail effectué à domicile pour le compte d’un fabricant. On allait également chercher la matière première et on ramenait l’ouvrage terminé.

Comme pour les cuirs de chapeaux, le salaire se versait, à la tâche, par douzaines de casquettes. On sait que les casquettes de drap épais se vendaient, achevées, en gros à 12 fr la douzaine tandis que les casquettes légères en toile d’été se vendaient seulement 2,50 fr la douzaine, ces prix de gros comprenant la toile, le travail, le bénéfice du fabricant. On se doute qu’il fallait  coudre quelques douzaines, des casquettes d’été, pour gagner quelque chose, même si la finesse de la toile facilitait forcément le travail de couture.

Les différentes enquêtes sur les salaires évoquent 1,25 fr/jour à 1,50 fr/jour maximum pour une casquetière consacrant 12 à 14h à sa tâche. C’était bien mal payé comme tous les travaux féminins.

 

Nous sommes arrivés à la conclusion de la description du cadre de vie familial et des activités professionnelles de Gérard et Elisabeth...

L’enquête, comme d’autres enquêtes sociales du SIEPES, souffre d’anomalies financières qui sont loin d’être anodines même si elles ne sautent pas aux yeux dans les alignements parfois indigestes de chiffres. Est ce pour cela qu’elles sont passées inaperçues en leur temps, et que les historiens qui ont exploité les enquêtes du SIEPES ne les ont pas relevées ?

Résumons ce que gagnent Gérard et Elisabeth :

-Gérard effectue 235 journées de porteur d’eau + 66  journées de scieur et porteur de bois + 19 journées de déménageur = 320 journées toutes à 3,50 fr, soit 320 journées à 3,5 fr = 1120 fr

-Elisabeth effectue 150 journées de piqueuse de chapeau à 1,25 fr = 187,5 fr

-Le couple dispose d’un petit revenu annuel résultant du placement de la dot d’Élisabeth = 90 fr

Total général = 1397,50 fr

Allez arrondissons à 1400 fr puisque Gérard fait 6 journées de piqures du chapeaux à 1,25 fr la journée, même si cette activité n’est pas claire du tout, puisqu’il est dit qu’il aide sa femme quand il a le temps. Est ce donc un revenu réel à considérer en sus, ou faut-il l’inclure dans les revenus de sa femme ?

 

1400 fr annuel de revenu familial, cela fait 3,83 fr pour chacun des 365 jours de l’année, travaillé ou non. Pour l’époque, même dans une grande ville comme Paris où on gagne nettement plus que dans les campagnes françaises, c’est tout à fait correct pour une famille ouvrière de 2 adultes, 1 pré adolescent et 2 jeunes enfants.

 

Or, dommage qu’Ernest Avalle, un enquêteur plutôt sympathique et en paraissant assez rigoureux dérape en produisant des comptes fantastiques puisqu’il crédite Gérard et Elisabeth d’un revenu annuel de 1961 fr !!!

 

Comment on arrive t-on à une bizarrerie pareille ?

Ernest Avalle attribue à certaines tâches non rémunérées un salaire fictif qui serait le salaire mérité pour cette tâche si elle était payée.

La pratique est commune dans les enquêtes du SIEPES se situant dans les milieux paysans mais cette attribution fictive de salaire pour une tâche est contrebalancée (en principe) par le fait que l’essentiel de ces tâches paysannes, qu’il s’agisse du travail d’un champs ou d’un jardin, des bêtes qu’on emmène paître dans les chemins, ou même du bois ramassé, ont pour finalité la production de nourriture consommée ensuite familialement.

Or lorsqu’Ernest Avalle attribue 22 fr de salaire annuel au jeune Jean-Baptiste car il estime que c’est ce que ce dernier mériterait s’il était payé pour les courses quasi quotidiennes qu’il effectue pour sa mère entre le domicile et le chapelier, c’est une pure fiction.

De même lorsqu’Ernest Avalle attribue à Gérard 12 jours de travail à 3,50 fr pour l’entretien, l’affutage et la réparation à domicile de ses propres outils, c’est peut-être ce que dépenserait Gérard s’il faisait effectuer cet entretien par un tiers, mais ce n’est aucunement une somme qu’il gagne…

Ou encore lorsqu’Ernest Avalle rétribue Elisabeth de 31,25 fr annuel pour la couture des vêtement familiaux, c’est encore une fois une somme économisée, mais en aucun cas une somme gagnée.

On peut encore évoquer le prix que paierait Gérard pour une concession d’eau à l’année, 82 fr, s’il ne bénéficiait pas de l’eau gratuite de la fontaine de la place St Michel compté comme un gain ou les 49,50 fr non payés pour l’instruction de Jean-Baptise, compté également comme un gain, ou encore d’étranges intérêts des « entreprises » auxquels il est impossible de comprendre grand chose, si ce n’est que toutes ces sommes n’étant pas de l’argent gagné sonnant et trébuchant, c’est de l’argent qui n’existe pas…

 

Et pourtant, nous le verrons au prochain épisode consacré aux dépenses familiales et notamment à l’alimentation, Ernest Avalle parvient à faire dépenser 1690 fr à la famille. Mieux ils épargnent 162 fr qui vont où ? Mystère…

 

Que faut-il penser ?

Plusieurs hypothèses sont envisageables :

-Ernest Avalle, qui n’a que 28 ans à l’époque, était un futur haut fonctionnaire du Ministère de la Marine. Même si l’Ecole Nationale des Absurdités n’existait pas encore, il est vraisemblable que les hauts fonctionnaires du XIXème siècle, déjà recrutés majoritairement sur des matières littéraires et juridiques, aient eu des problèmes avec les chiffres ? Si si si… il faut avoir vu des hauts fonctionnaires compter, c’est aussi fascinant que stupéfiant et distrayant…

-Frédéric Le Play et les membres du SIEPES, souvent considérés comme les ancêtres de la sociologie française avaient-ils un regard aussi biaisé et aussi fâché avec le réel que les sociologues du XXIème siècle ?

-Y a t-il eu volonté d’améliorer fictivement le niveau de vie d’une famille modeste dans un but idéologique auquel cas pourquoi ne pas avoir tout simplement surestimé le nombre de journées de travail et leur gain ? Et ce d’autant qu’il n’y avait aucun risque qu’une famille illettrée même nommée, si ce n’est par prénoms et initiale du nom, vienne ultérieurement demander des comptes sur une publication la concernant.

 

Je n’ai pas la réponse, même les comptes, qui contiennent d’autres erreurs, sont tellement alambiqués que j’ai tendance à penser qu’Ernest Avalle savait presque aussi mal compter que la famille chez qui il enquêtait…

Dans le prochain article, nous examinerons le budget dépense de Gérard et Elisabeth, et notamment les dépenses alimentaires qui révèlent une alimentation déjà assez riche et diversifiée.

Pour être en cohérence avec les revenus réels, il faudra appliquer une minoration aux dépenses, mais dans la mesure où ils vivent assez généreusement, du moins en se replaçant dans le contexte de leur époque et de leur condition sociale, c’est tout à fait possible…

 

Et nous conclurons cette saga sur le « porteur d’eau » par ce que nous savons de leur destin aux uns et aux autres.

Ce ne sera pas exactement un happy end, cette famille n’a guère eu de chance…

 

 

Notes :

 

(1°) Les concurrents de la course des coltineurs sont partis du 1 rue Feydeau (angle rue Montmartre) où se trouvait le siège d’un journal parisien de tendance radical-socialiste du nom de « Germinal » qui n’est paru qu’un peu moins d’un an. Ce journal est l’organisateur de la course.

Le choix du trajet était probablement lié au souvenir ou à la légende du « fort des halles », remontant + ou - un siècle auparavant et on peut supposer que l’idée initiale de Corbeil comme destination tenait au fait que la localité hébergeait un immense entrepôt constituant la réserve en blé principale de la capitale.

La statue désormais appelée « le bonhomme en pierre » a été déplacée place du Bonhomme en Pierre à Evry. Une carte postale du début du XIXème indique « Statue de Jean Guillaume, le fort de la halle ». Un nommé Jean Guillaume était-il le sculpteur ou était-ce le nom du fort de la halle ?

La statue semble représenter le géant Atlas tenant le monde sur ses épaules plutôt qu’un homme portant un sac de farine.

Si l’histoire du « fort de la halle » mort d’épuisement est complètement une légende comme le pensent des historiens locaux, l’anecdote rapporté par les journaux de mars 1893 sur l’hommage rendu par les coltineurs à un de leurs prédécesseurs mort à cet endroit est curieuse.

 

(2°) Pour en savoir plus sur le flottage des bois, à consulter :

  1. le flottage dans le Haut Morvan d’après les carnets de Léonard Girard, garde-rivière à Montreuillon dans la Nièvre :  https://montreuillon.eu/fr/anx/environnement-flottage.php#itm820
  2. Anne-Sophie Poux, Frédéric Gob et Nicolas Jacob-Rousseau : Reconstitution des débits des crues artificielles destinées au flottage du bois dans le massif du Morvan (centre de la France, XVIe-XIXe siècles) d’après les documents d’archive et la géomorphologie de terrain https://journals.openedition.org/geomorphologie/9351#tocto2n2.

 

(3°) Le percement du boulevard Saint Michel s’opère en deux phases, une première, la moitié nord entre 1855 et 1859, qui part du pont Saint Michel jusqu’à la rue de Médicis, en empruntant une partie de l’ancienne rue de la Harpe qui est élargie et une seconde, la moitié sud, qui débute en 1859 et va de la rue de Médicis à l’avenue de l’Observatoire en empruntant l’ancienne rue d’Enfer, élargie également. Pour être tout à fait exact, l’appellation boulevard Saint Michel n’est adoptée que par un arrêté préfectoral de 1867. En 1858, le boulevard en construction est connu sous le nom de boulevard de Sébastopol, rive gauche…

La construction de la nouvelle fontaine Saint Michel, face à la Seine, débute en octobre 1858 et elle est inaugurée en août 1860, ce n’est pas tout à fait la fontaine Saint Michel mais la fontaine de la place du Pont Saint Michel, place Saint Michel tout court est adopté en 1864, on peut supposer qu’à cette date, il n’y avait plus de confusion possible, l’ancienne place Saint Michel ayant disparue complètement

Il semble que les travaux de percement du boulevard Saint Michel s’étant prolongé au moins jusqu’en 1865, il est possible que l’ancienne fontaine Saint Michel ait pu continuer à fonctionner jusqu’en 1864. En tout cas, il est certain qu’elle a fonctionné encore quelques temps après que la nouvelle fontaine de la place du Pont Saint Michel ait été mise en eau.

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