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Hbsc Xris Blog - A la poursuite du réel, historique et scientifique, parce que 1984, nous y sommes presque.

Archéologie, Histoire de l'agriculture, de l'élevage, de l'alimentation, des paysages, de la nature. Sols, faunes et flores. Les sciences de la nature contre les pseudos-sciences, contre l'ignorance, contre les croyances, contre les prêcheurs de l’apocalypse.

1. Le Manuel pratique de la culture maraichère de Paris 1845 par JG Moreau, JJ Daverne. A la recherche du réel : introduction

Source : BNF Gallica

Source : BNF Gallica

Depuis quelques mois, quand le travail de la terre m’en laisse le temps, et quand d’autres sujets ne m’accaparent pas, je suis plongée en immersion dans le Paris du XIXème siècle. Pas forcément agréable, je suis plutôt une passionnée de l’histoire rurale.

Tout commence quand une de mes connaissances m’envoie un lien vers un blog que je ne citerais pas parce que j’ai autre chose à faire que de taper sur un blog même s’il raconte des âneries invraisemblables. De ce blog, j’ai atterri sur d’autres blogs et d’autres blogs reprenant en boucle les mêmes balivernes et contes de fées.

 

Cela semble partir de bobos jardiniers bio ou/et permaculteurs, ces gens, en train de réapprendre à jardiner somme toute assez banalement comme je l’ai appris avec mes parents, grands parents, arrières grands parents, bref comme tout le monde du temps où on mangeait en légumes et petits fruits sur le potager familial, à la grande différence que ces bobos apprentis jardiniers bio pensent avoir redécouvert l’eau chaude et s’imaginent que grâce à ces techniques, ils vont nourrir le monde.

 

C’est certain que sur un jardin potager bien travaillé, bien enrichi en fumier ou en engrais, soigneusement arrosé, désherbé, désinsectisé à la main ou autrement, on peut manger ses légumes carrément à l’année et savourer fraises, framboises groseilles en saison et même en engranger en conserves ou par congélation. 

On peut aussi y économiser un abonnement à une salle de sport et éviter le coût et les désagréments d’un régime alimentaire car à travailler dur physiquement très régulièrement, on reste plutôt affuté. 

Ces jardins potagers si communs autrefois, étaient des lieux de vie et de loisirs. Toutes les familles y passaient, à longueur d’années, toutes leurs vacances, week-ends et soirées à la belle saison, enfants compris, car le travail de la terre est exigeant et continu. C’est ainsi que j’ai commencé à différencier quelques plantes dans le jardin familial, accroupie à désherber dans les rangs à 5-6 ans. J’avais de la chance par rapport à mes parents, car je suis d’une génération où pendant les vacances, on ne faisait plus travailler les enfants que le matin, l’après-midi, on avait quartier libre pour jouer.  

 

Un beau jour, il y a quelques années, des nostalgiques des semaines de 70 à 90 heures de travail physique par semaine dehors par tous les temps, de la lampe à huile, de le lessive à la main à la cendre de bois et plus récemment de la dernière mode « je ne me lave plus pour garder mes bonnes bactéries », dénichent un vieux manuel écrit en 1845 : « Le manuel de la culture maraichère à Paris » par JJ Daverne et JG Moreau. Des malins, qui à mon avis, n’ont pas de lampe à huile et se lavent toujours, le rééditent et le livre devient un étendard du maraichage bio.

 

Même si au sujet de ce livre, je dois reconnaitre avoir croisé quelques blogs censés et raisonnables, le blog dont on m’avait envoyé un lien et certains autres du même acabit brandissent ce livre en étendard comme « la solution pour nourrir le monde » et racontent bien souvent des choses invraisemblables, chacun en rajoutant une louche, et le tout, s’il vous plait, avec une ignorance totale et absolue du Paris de 1845-1850 et de la vie qu’on y menait.

 

Résumons : au milieu du XIXème siècle, 1800 maraichers parisiens, et leurs familles et employés, 9000 personnes au total, auraient sur 1300 hectares de maraichage intra muros, grâce à 8 ou 9 récoltes/an, nourrit non seulement 1,8 millions de Parisiens à longueur d’année, en auto suffisance complète pour les légumes, mais exportés leurs récoltes jusqu’à Londres…….

 

Sur l’exportation fantaisiste des légumes des maraichers parisiens jusqu’à Londres, on notera qu’il est des sites pour signaler que l’auto-suffisance était requise à Paris en l’absence de tout moyen de transport ! Faudrait que les bobos bio se mettent d’accord…

 

Le pompon, c’est quand même l’affirmation sur un site bien en vue, d’un apport d’un mètre cube de fumier de cheval au m2 par an. Et le merveilleux fumier de cheval était, parait-il, disponible à l’infini…

A croire que les chevaux sont une usine à crottins, dotée d’une vis sans fin, cela entre en vert d’un côté et ressort en marron de l’autre. 

Ce n’est pas tout à fait cela, le XIXème siècle court même désespérément après la fumure, fait des essais d’engrais verts enfouis, les résultats sont décevants et à défaut, rêve des engrais chimiques qui font des timides débuts sous différentes formes.

 

Un mètre cube de fumier de cheval/m2/an m’a donné le tournis. Complètement impossible ! 

Un mètre cube de fumier de cheval pèse plus ou moins 170 kg, donc cela aurait fait à peu près une tonne pour 6 m2 de maraichage. Déduisons un chiffre extrême du quart de l’hectare de maraichage occupés par des chemins et installations diverses et donc sans fumier, il reste 7500m2 et on arrive à 1250 tonnes de fumier/ha, soit 10 000 kg de nitrates, ce qui est totalement délirant. 

 

Les rédacteurs de pareilles assertions n’ont jamais du entendre parler des « directives nitrates (maximum 20 à 40 tonnes de fumier en moyenne à l’ha), ou ignorent complètement que le fumier, comme les engrais dits chimiques se décomposent en NPK, abréviation de Azote N, Phosphore P, Potassium K. Disons pour « pour simplifier » que le fumier est un NPK « enrobé » produit par la chimie digestive animale. 

 

Bon sur un autre site, on nous indique que les maraichers parisiens utilisaient également des engrais verts et favorisaient la vie des micro-organismes du sol. Curieux, pas vu une trace d’engrais vert dans le manuel ! Quand aux micro-organismes, je ne pense pas que cela leur venait à l’esprit…

 

Revenons à la question de nourrir le monde, je doute qu’on y arrive avec des légumes, même pour ceux qui sont végétariens, il faudra quand même rajouter céréales et légumineuses, donc les maraichers bio n’y suffiront pas.

 

Diable, 8 à 9 récoltes par an nous racontent des sites bio ! Même en ne faisant strictement que des salades à durée végétative courte, entre 1 mois 1/2 et 2 mois, voilà des gens dont le talent dépasse l’entendement. Ils ne devaient jamais faire de choux fleurs parce qu’à 5-6 mois la durée végétative au plus court, cela fait 2 récoltes par an et encore avec un superbe talent… Ah si, ils en faisaient…. c’était même à la mode ? Des magiciens, ces maraichers, cela vaut Jésus et la multiplication des pains…

 

1,8 millions de Parisiens dans les années 1850 ? 

Ben non pas vraiment, 1 million au maximum et ce n’est pas le Paris d’aujourd’hui qui fait 105 km2 mais c’est le Paris du mur des fermiers généraux qui fait 35 km2.

Alors vu les conditions de vie, 1 million sur 35 km2, en retirant 13 km2 de terres maraichères soit un tiers de la ville ce qui parait gigantesque, les dépôts divers, les sites artisanaux et industriels, les étables et élevages de ville, les abattoirs, les hôtels particuliers et leurs beaux jardins, les prisons, les casernes, les bâtiments publics, les gares en cours d’installation, c’est déjà sacrément un exploit en terme d’entassement humain d’autant que les grands immeubles Haussmannien ne sont pas encore construits.

 

Donc après avoir retranché 800 000 personnes pour l’époque qui nous concerne, reste 1 million de Parisiens nourris en légumes à longueur d’année, en autosuffisance complète ? 

Avant de m’y replonger, je connaissais déjà un peu les circuits d’alimentation de Paris au XIXème siècle. Mettons de côté céréales et vins qui viennent parfois de loin, la viande aussi parfois d’encore plus loin, mais sur pied, et oui… le poisson des côtes normandes et de la mer du nord en 24h par un fantastique relais de chevaux datant du moyen âge.

 

En restant strictement dans le domaine des légumes et fruits, même avant le développement du chemin de fer qui est justement en cours en 1845, la ceinture d’approvisionnement de Paris s’étend très largement en banlieue, actuels 92, 93, 94, voir pour certains produits en très grande banlieue, actuels 77, 78, 91, 95. Et toutes les nuits, des convois de maraichers, ou plutôt d’épouses de maraichers, convergent vers Paris pour être aux halles bien avant la cloche des transactions qui sonne à 4h en été, 5h en hiver (heure de 1850). Certains légumes, qui supportent très bien les transports hippomobiles viennent de 150 km au nord ou au sud de la capitale. Les circuits et provenances sont connus. Les carottes des Flandres sont très appréciées…

 

Rappelons également une réalité peu connue, nos ancêtres consommaient peu de « légumes » au sens où nous l’entendons aujourd’hui. A moins bien sûr d’avoir des aristocrates ou riches bourgeois dans sa généalogie, mais je n’ai pas cette chance comme la très grande majorité des gens que je connais.

Pas de salade verte à tous les repas, pas de salades de crudités non plus, avant le XVIIIème, on ne connait même pas la betterave rouge potagère d’aujourd’hui et notre carotte usuelle n’est pas encore complètement diffusée. 

Mais surtout, avant la révolution française, on distingue les légumes du peuple, et les légumes de l’aristocratie et par extension de la bourgeoisie. 

 

Les légumes du peuple, à l’exception du chou et encore des gros choux blancs ou des choux raves et du poireau, ce sont globalement ceux qui poussent sous terre. La pomme de terre s’implante seulement en France vers la fin du XVIIIème.

Alors pour une grande partie du peuple, le premier des légumes, ce sont encore les oignons, on en faisait une très grosse consommation. 

Viennent ensuite les proches cousins, navets et rutabagas, les aulx, les carottes mais pas les mêmes qu’aujourd’hui. Les légumineuses, pois divers, lentilles, fèves, haricots de l’ancien ou du nouveau monde, se cultivent en plein champs et sont consommés secs. Tous ces légumes ne se cultivent guère dans les « marais » mais plutôt en plein champs. Ils rentrent tous dans des « bouillis » ou bouillons et soupes plus ou moins épaisses, autre caractéristique des plats du peuple.

 

L’aristocratie mange des légumes qui poussent au dessus du sol : laitues diverses, scaroles croquantes, délicate mâche, artichauts et son cousin le cardon subtilement blanchi et accommodé, asperges blanches et vertes, choux fleurs alors très appréciés notamment hors saison, ou autres choux délicats. Les gens riches et importants ne consomment des légumineuses que sous une forme fraiche et tendre : délicats petits pois tant appréciés par Louis XIV et fins haricots verts. Je n’évoque pas la tomate si banale aujourd’hui, elle ne se diffuse en France au delà du pourtour méditerranéen qu’au milieu du XIXème et dans les classes très aisées uniquement.

 

La révolution est venue brouiller les cartes et dans les grandes villes du XIXème siècle dont Paris, certains légumes d’au dessus du sol connaissent un début de démocratisation mais nous ne leurrons pas, ils ne sont accessibles au plus grand nombre que progressivement au cours du siècle et à un prix acceptable uniquement en pleine saison. Et au plus grand nombre est encore loin de signifier tous les parisiens. En matière de légumes, le peuple reste massivement un consommateur de ce qui croit en dessous de la terre et la pomme de terre vient même se rajouter de plus en plus à la liste. 

 

Bien loin des maraichers qui sur 1300 ha nourrissaient Paris à l’année, c’est une toute autre histoire qui émerge des recherches relatives au livre de Daverne et Moreau, celui d’un maraîchage de produits de grand luxe.

En écrivant un manuel qui reprend, assez formidablement, il faut le reconnaitre, tous les aspects de la culture maraichère, les auteurs, qui sont indéniablement de grands professionnels, ont donné l’illusion que dans leurs « marais » parisiens, ils cultivaient tous les légumes dont ils donnent les « secrets » de culture. Et bien non, pas du tout. 

Il faut patiemment explorer d’autres sources historiques que ce manuel et égrener notamment les longues et longues pages des annales de la société royale d’horticulture de Paris, année par année, pour ici et là, entrer chez l’un ou chez l’autre à l’occasion d’un « reportage » sur site d’un certain nombre de maraichers parisiens. 

Nous découvrons qu’ils sont spécialisés dans une toute petite poignée de productions primeurs ou hors saison : melons, asperges, petits oignons blancs, carottes, radis, choux fleurs (prisés à l’époque), romaines, chicorées et scaroles, mâches, quelques fraises et chasselas. Et à 40 fr, le grand coffre à châssis de 5,32m2, et bien même à 2 fr le melon au prix de gros, et 12 fr la botte d’asperges primeur, il faut en sortir des melons et des asperges pour être rentable. D’autant que le châssis n’est financièrement que la face immergée de l’iceberg. 

12 000 francs les frais d’installation sur un marais de 1/2 ha en admettant que l’on possède le terrain et qu’on ne le loue pas, et 6000 francs les frais de fonctionnements annuels, on ne risque pas de s’en sortir en vendant des salades ou des pommes de terre de pleine saison à 10 centimes la salade ou le kg de pommes de terre ou avec des poireaux à 2 centimes l’unité…

Au fil des jours, en croisant annales de la société d’horticultures de Paris, divers manuels d’agriculture de l’époque, les mercuriales accessibles, des études d’époque sur les prix et les salaires, il apparait que nos merveilleux maraichers parisiens sont les fournisseurs de la haute bourgeoisie et de l’aristocratie de la capitale, et entendons nous bien, pas en légumes courants, mais bien en légumes et fruits de luxe, essentiellement produits ou conservés hors saison, grâce à un ensemble de techniques. Ce sont en quelque sorte des producteurs de « caviar végétal ». 

Si les bobos bio s’imaginent que les 100 kg de chasselas que vend JJ Daverne à la Noël 1843 ont rempli les ventres de 1 million de Parisiens, pas de doute Jésus, le multiplicateur, marche à côté de JJ Daverne. 

Je n’ai pas trouvé les prix de ce chasselas pour la Nöel, mais en mars 1843, du chasselas primeur sous forçage se vendait 24 fr le kg…

 

Ah j’oubliais l’essentiel, un ouvrier parisien de l’époque de Daverne et Moreau gagne en moyenne entre 3 et 5 fr par journée travaillée de 11h en hiver, 14-15h en été, une femme gagnant environ la moitié. 

On travaille 6 jours sur 7, parfois 7 jours sur 7 chez les maraichers et les vacances n’existent pas. 

En dépit de progrès réels amorcés dès la fin du XVIIIème siècle, la faiblesse généralisée des rendements agricoles d’avant la grande révolution du quatuor : « sélections des semences », « engrais chimiques », « pesticides », et « mécanisation » ont pour voie de conséquences des prix alimentaires restés élevés même si cela baisse au cours du XIXème. En conséquence, vers 1850, une alimentation assez basique représente tout de même à peu près les 3/4 d’un budget ouvrier.

Et dernier point avec 64 000 « fabriques » et industries petites, moyenne et grande employant 342 000 ouvriers et ouvrières de tout âge sur 1 million d’habitants, le Paris du milieu du XIXème siècle est une grande ville ouvrière…

 

Rendez vous la semaine prochaine dans le Paris de 1845-50, celui de JG Moreau. JJ Daverne est mort en 1845.

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