Archéologie, Histoire de l'agriculture, de l'élevage, de l'alimentation, des paysages, de la nature. Sols, faunes et flores. Les sciences de la nature contre les pseudos-sciences, contre l'ignorance, contre les croyances, contre les prêcheurs de l’apocalypse.
11 Août 2019
Les sodas
Même s’il existe des sources d’eau naturellement gazeuses, elles sont extrêmement locales et une eau gazeuse naturelle perd vite son pétillant sans un certain nombre de techniques modernes.
Donc, il n’y avait pas d’eau gazeuse, et donc pas de soda, avant qu’un anglais Joseph Priestley découvre le moyen de gazéifier de l’eau avec du CO2 vers 1760.
20 ans plus tard, à Londres, un Hessois du nom de Johann Jakob Schweppe met à profit cette découverte pour créer les premières boissons gazeuses aromatisées.
D’autres boissons suivront dans le monde anglo-saxon, dont le célèbre Coca Cola dont une hypothèse sérieuse voudrait qu’il soit inspiré du vin Mariani, un vin de Bordeaux infusé de feuilles de coca inventé en 1863 à Paris comme boisson fortifiante par un pharmacien Corse Angelo Mariani et qui connu son heure de gloire.
Mentionnons que la célèbre limonade gazeuse très française n’est pas du tout, à l’origine, une boisson gazeuse.
Distribuée à Paris à partir de la fin du XVIIème siècle par la Compagnie des Limonadiers et s’adressant à des gens aisés, il s’agit d’eau claire dans laquelle on a ajouté les jus de plusieurs citrons, des jus d’oranges, des zestes pressés de ces 2 fruits et du sucre, ce nouveau produit alors si précieux qui vient des Antilles. Notons que citrons et oranges devaient alors être également extrêmement coûteux et ne s’adresser qu’à une infime minorité de français.
Le Coca Cola et d’autres sodas, sans doute, amenés par les troupes US et anglaises, semblent avoir fait leurs timides débuts en France après la 1ère guerre mondiale mais uniquement dans les classes très aisées.
Le vrai décollage de la commercialisation des sodas suit la 2ème guerre mondiale (1°) et est porté par la démocratisation des frigidaires dans les ménages français.
Notons que le sucre qui ne faisait pas forcément partie des toutes premières recettes de soda, en deviennent un élément essentiel dès la fin du XIXème.
Le sucre, autrefois rare et cher, devient un produit courant grâce notamment au sucre de betteraves dont l’extraction industrielle s’est développée sous l’impulsion initiale de Napoléon 1er.
Aujourd’hui, des dérivés divers du sucre, comme les sirops de fructose issus notamment du maïs sont très utilisés pour leur fort pouvoir sucrant. Faisant moins monter la glycémie, ils ont donné l’illusion d’être meilleur à la santé. Aujourd’hui, on sait que si la glycémie ne monte pas, le fructose sous forme « libre » n'en fonce pas moins vers le foie qu’il abîme rapidement, entre autres dégâts (2°)
D’anecdotique dans les années 1950, la consommation de sodas en France en 2019 approcherait les 40 litres par personne et par an, 60 litres si on y inclus les thés glacés et boissons énergisantes. C’est loin d’être le pire chiffre de la planète, les Mexicains en consommeraient 200 litres, cela étant physiquement, ça se voit un peu….
Les jus de fruits et sirops
Venons en aux jus de fruits. Encore une fois, il s’agit d’une boisson très récente ce qui étonne toujours beaucoup de gens, jusqu’à susciter l’incrédulité complète.
Pourtant, nos ancêtres français n’en consommaient pas, tout simplement.
On trouve bien sûr dans la littérature médicale ancienne des évocations de jus de fruits frais comme purges ou remontants pour des malades ou convalescents ou encore comme gâteries de très jeunes enfants de l’aristocratie au moment du sevrage. Il va de soi que cela ne s’adressait encore une fois qu’à des gens particulièrement aisés.
Les raisons pour lesquelles on ne buvait pas de jus de fruits autrefois sont extrêmement simples.
Contrairement à une opinion répandue et fondée sur l’ignorance des réalités agricoles, il y avait beaucoup moins de fruits qu’aujourd’hui, avec énormément de variances locales et les fruits n’étaient que de saison, c’est à dire disponible sur de courtes périodes de l’année (3°). En outre, si on excepte la pomme qui est un cas à part, on ne connaissait pas de méthodes de conservation des fruits sauf peut-être le séchage mais qui n’est pas adapté à tous les fruits et qui, à l’issue du processus, impose une conservation en lieu sec dans des récipients adaptés.
Seuls deux fruits peuvent avoir été considérés comme courants et cultivés presque partout en France jusqu’à un passé très récent : c’étaient la pomme et le raisin.
La pomme, qui selon les variétés, murit de la fin de l’été au mois de novembre, possède la capacité à se conserver presque sans altération plusieurs mois à l’abri de la lumière, de l’humidité et à une température moyenne de 10°. C’était donc un aliment d’hiver assez courant dans de nombreuses régions en accompagnement de plats salés, la pomme de terre reprendra vaguement ce rôle fin XVIIIème. Sinon de la pomme, on faisait du cidre.
S’agissant du raisin, avant la crise du phylloxéra, une maladie de la vigne qui sévit à partir de 1865 en France et atteint son paroxysme dans les années 1880-90, les vignobles étaient présents dans pratiquement toute la France, même parfois en Bretagne, traditionnelle terre de cidre.
La consultation des cartographies 1820-1866 sur le portail de l’IGN : remonterletemps.ign.fr peut permettre à tout à chacun de découvrir les anciennes vignes de sa région.
La culture de la vigne redémarre vraiment à la charnière XIXème-XXème siècle grâce à la greffe sur plants américains, résistants à la maladie. Mais elle ne sera pas replantée partout et le développement des AOC au cours du XXème siècle restreindra encore considérablement les surfaces cultivées..
Et du raisin, on en faisait du vin tout simplement.
A partir des nombreuses sélections variétales du XVI-XVIIème siècle, apparait un sérieux outsider à ces deux fruits, la poire, qui devient extrêmement populaire dans la noblesse et la bourgeoisie, avant de se démocratiser au XVIIIème-XIXème notamment en Ile de France en raison d'une forte demande parisienne. Il existait quelques variétés de "garde" mais la conservation des poires est en règle générale plus délicate que celle des pommes.
Des poire, on faisait également un alcool léger : la poirée, et on les séchait en les écrasant pour les conserver à déguster en friandise, "les poires tapées" des mois d'hiver étaient appréciées...
Pourquoi ne pas faire avoir fait des jus de pommes, des jus de raisin, voir des jus de poires autrefois ?
Tout simplement, parce que toute boisson contenant du sucre fermente naturellement très rapidement.
En 48h, un jus de fruit commence à avoir une toute petite saveur alcoolique agréable (ou non), et ce même avec les frigos, alors sans….
C’est Pasteur qui trouva le moyen de bloquer le processus de fermentation par le procédé de la pasteurisation en chauffant les jus de fruits à 70°.
La pasteurisation sous sa forme basique avait le désavantage d’altérer légèrement le goût du jus de fruits et la conservation du jus restait limitée à quelques mois, sous réserve d’une asepsie parfaite à l’embouteillage.
Je ne reviendrais pas sur les formes techniques complexes de pasteurisation qui ont été mises au point au XXème siècle pour éviter l’altération du goût des jus, il n’en reste pas moins que la durée de conservation reste limitée à quelques mois.
Si on passe à de la longue conservation, alors l’ajout de produits chimiques, notamment des sulfites, s’avère indispensable. Le citrate de potassium qui fait plus peur sous son petit nom de code E330 est également très utilisé.
La consommation française oscillerait autour de 50 litres par personne et par an. Cela n’inclut pas les jus de fruits frais faits à domicile qui sont très à la mode, même si pour 99% de ceux qui les fabriquent fièrement, les fruits sont achetés dans le commerce.
Les jus d’oranges sont les plus consommés de très loin puisqu’ils constitueraient 50% environ de la consommation totale de jus de fruits .
Le fait qu’ils soient considérés par la plupart des gens comme un miraculeux cocktail de vitamines qu’il faudrait absolument boire dès le petit déjeuner tient beaucoup à un marketing publicitaire exceptionnel.
Pour faire court, au début du XXème siècle, les producteurs d’oranges de Californie ont été confrontés à des crises de surproduction. Convaincre les consommateurs de presser des oranges pour en faire du jus permettait d'augmenter la consommation d'oranges. En effet, on mange rarement plus d'une orange, mais il faut 2 à 3 oranges pour faire un verre de jus de fruits. Les campagnes publicitaires pour convaincre le public de consommer du jus d'oranges se sont accompagnés du développement de presse-agrumes pratiques et à bas prix de sorte à ce que chaque foyer américain puisse presser quotidiennement son jus d'oranges. Ultérieurement, le développement de la pasteurisation a permis aux producteurs de presser ou faire presser leurs oranges excédentaires et de les vendre directement conditionnées sous forme de jus. Pour convaincre un public aucunement habitué à des jus de fruits, les producteurs d'agrumes ont fait appel à des publicitaires US et ces derniers ont su fortement jouer sur les bienfaits de la vitamine C à une époque où par manque saisonnier de fruits ou légumes frais, une partie de la population pouvait encore connaître des carences.
Dans la 2ème moitié du XXème siècle, tous les pays de la planète où l'on pouvait massivement produire des oranges à bas prix se sont engouffrés dans cette manne financière. On remarquera que dans le monde anglo-saxon les dermatologues s'inquiètent de plus en plus des effets délétères d'une consommation régulière de jus d'agrumes en été (4°).
Les sirops de fruits tels qu’on les connait aujourd’hui ne remontent qu’à la 2ème moitié du XIXème siècle lorsque le sucre qui permet de les préparer sans altérer le goût du fruit, devient financièrement plus accessible. Ils se développent d’abord pour une clientèle féminine aisée et oisive qui le consommait lors d'après-midis récréatifs et conviviaux. Soutenus par la baisse du prix du sucre et l’augmentation importante de toutes les productions fruitières, les sirops gagnent les classes laborieuses au cours du XXème siècle.
Avant le XIXème siècle, les sirops n’étaient pas complètement inconnus en Europe puisque les croisés découvrent le « charâb » en Orient dès le XIème siècle mais ils sont très rares et très chers, puisque le sucre de canne reste jusqu’au XVème siècle un produit précieux importé d’Orient par Venise qui en détient le monopole.
Il existait cependant des recettes de l’antiquité utilisant du miel à la place du sucre pour confire des fruits en espèce de pâte délayable dans l’eau, mais le goût du miel l’emportait sur celui des fruits. Ces sirops au miel étaient d’autant un produit de luxe que le miel était utilisé pour fabriquer une boisson alcoolisée, l’hydromel et qu’il était également utilisé en cuisine dans les ménages très aisés car il était le seul produit sucrant.
Or à l’exception de certaines spécialités régionales, les productions de miel restaient faibles et lourdement grêvées de droits seigneuriaux. Il faut même attendre le XVIIIème siècle pour que se répandent, dans l’ensemble de la France, des techniques permettant de récolter le miel sans détruire tout ou partie d’une ruche.
A cette partie sur les jus de fruits et les sirops, on peut rattacher les smoothies qui bien que ressemblant parfois à une purée de fruits ou de légumes crus et frais, ont plus souvent la consistance d’un de jus de fruits ou légumes épais, agrémenté parfois de lait ou de lait végétal.
Ils semblent être apparu dans les années 1960 en Californie. Ils n’ont guère gagné l’Europe avant le début du XXIème siècle, probablement grâce à un marketing de blenders et autres mixeurs, judicieusement axé par les fabricants sur un argumentaire « santé ».
Puisqu’on évoque les smoothies qui utilisent parfois du lait végétal, parlons de ces laits qui sont plutôt des « jus » de végétaux et sont devenus extraordinairement à la mode depuis quelques décennies.
On trouve effectivement des références au lait d’amandes dans tous les livres de cuisine depuis l’Antiquité en Europe, mais il ne faut pas en conclure qu’il s’agissait d’un « lait » courant.
Rappelons encore une fois qu’avant le XXème siècle, les livres de cuisine ne s’adressaient qu’à des gens riches, voir très riches.
Et rappelons aussi que pour faire du lait d’amandes, il fallait avoir des amandes or c’était un arbre de la moitié sud de la France, même s’il peut croître ailleurs en situation abritée. Certes, il existait des circuits commerciaux, mais encore une fois, seuls des gens très riches pouvaient en faire venir pour leur table.
A défaut, dans des régions plus septentrionales, on trouve trace de lait de noix et le noyer était assez commun presque partout. Mais pas sûr que les paysan moyens, harassés de fatigue par le travail quotidien, aient beaucoup eu le temps d’en préparer.
En outre, dans les recettes anciennes, lait d’amandes ou autres, ne sont guère envisagés comme boissons mais servent de base à des préparations culinaires, notamment à des sauces ou encore au « blanc-manger », nourriture extrêmement raffinée des riches convalescents ou délice de princes et de rois (5°).
NOTES :
(1°) Aujourd’hui oubliée mais la chanson des Andrews Sisters « Rum and Coca Cola » accompagna les troupes US sur tous les fronts de la 2ème guerre. Je n’aime ni le rhum, ni le Coca Cola, mais j’adore cette chanson pleine de douceur et d’espoir dans un monde pourtant en pleine tragédie. https://www.youtube.com/watch?v=zGxL2uNr7bk
(3°) Il est assez curieux de constater dans les conversations que désormais la grande majorité des gens qui achètent des fruits n’ont aucune idée du fait qu’il existe des saisons naturelles de productions des différents fruits.
Ainsi lorsqu’à Paris, on mange des fraises fraîches à Noël, soit elles sont arrivées par avion d’une contrée exotique, soit elles ont été produites plus localement mais dans une serre fortement chauffée et disposant d’un éclairage mimant la luminosité de la fin du printemps.
(4°) La plupart des gens ignorent que les agrumes contiennent des psoralènes qui sont des photosensibilisants.
Tant que sous des climats tempérés, on consommait, en hiver uniquement, des agrumes venus du bassin méditerranéen, il n’y avait aucun problème, cela pouvait même aider à capter la précieuse vitamine D et être un facteur de bonne santé. Cependant, jus d’agrumes et agrumes étant désormais disponibles toute l’année, il conviendrait d’éviter une exposition au soleil lorsqu’on en consomme. Dans le cadre de la prévention des cancers de la peau qui fait des ravages en Australie, des scientifiques Australiens ont proposé récemment un marquage d’information sur leurs emballages de jus d’agrumes.
(5°) Les recettes médiévales du « blanc-manger » évoquent en principe une sorte de lait d’amandes épais dans lequel sont broyées finement des flancs de poule cuite au pot. Pour donner une consistance gélatineuse un peu de bouillon de cuisson de la poule est ajouté au mélange souvent sucré au miel. Il y a des variantes où la poule est remplacée par une autre viande ou du poisson et et d’autres variantes ou le lait d’amandes est remplacé par du lait. Le sucre sera rajouté à ces recettes à partir de la Renaissance en des proportions augmentant progressivement. Et puis la viande disparaitra de ce plat progressivement pour devenir une ou l’autre de ces espèces de flancs à base de lait, oeufs et sucre que l’on connait désormais sous l’appellation « blanc-manger ».
Sources principales :
Sur les eaux minérales et gazeuses :
https://www.persee.fr/doc/
Sur Schweppes :
https://www.persee.fr/doc/
Sur le vin Mariani :
https://www.persee.fr/doc/
Sur le Coca cola :
https://www.persee.fr/doc/
Sur le sucre de betteraves qui est un des 2 volets de la révolution du alimentaire du sucre à partir du 19ème siècle, le second volet étant l'essort des transports internationaux https://www.
Au sujet de la manière dont le jus d'orange est devenu une boisson "santé" au cours du XXème siècle, il faut remonter au publiciste Albert D. Lasker : Cruikshank, Jeffrey, Schultz "Albert D. Lasker, The man who sold America"