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Hbsc Xris Blog - A la poursuite du réel, historique et scientifique, parce que 1984, nous y sommes presque.

Archéologie, Histoire de l'agriculture, de l'élevage, de l'alimentation, des paysages, de la nature. Sols, faunes et flores. Les sciences de la nature contre les pseudos-sciences, contre l'ignorance, contre les croyances, contre les prêcheurs de l’apocalypse.

Pluies torrentielles et inondations catastrophiques en Allemagne, malheureusement, une vieille histoire... A la recherche du réel...

Crue de l’Ahr du 21 juillet 1804, gravure d’époque

Crue de l’Ahr du 21 juillet 1804, gravure d’époque

Nul besoin de revenir sur les informations dont on nous a abreuvé ces derniers jours sur les pluies torrentielles et les inondations catastrophiques qui ont ravagé certaines régions d’Allemagne et de Belgique, les 14 et 15 juillet derniers.

Bien entendu, les khmers verts se sont empressés de glapir, abondamment relayés par un pitoyable monde journalistique...

On nous a annoncé que de tels événements étaient totalement inédits et qu’il fallait y voir un effet du réchauffement climatique lequel serait censé augmenter la fréquence des événements climatiques extrêmes (1°).

 

Sur la fable de l’augmentation de la fréquence des événements climatiques extrêmes, je me suis déjà exprimée sur ce blog  http://hbscxris.over-blog.com/2020/01/evenements-climatiques-extremes-plus-nombreux-qu-autrefois-ou-bases-de-donnees-historiques-non-renseignees.html .

Lorsque des bases de données officielles d’événements climatiques extrêmes prétendent remonter à 1900, mais qu’elles n’ont commencé à être renseignées que dans les années 1980, pour être très bien renseignées seulement depuis une vingtaine d’années, il est certain qu’on obtient une courbe qui fait peur.

Résumons : Tout, (ou presque) allait bien jusque dans les années 1980, et puis après, puisqu’on a commencé à entrer des données et qu’on en entre de plus en plus, forcément, la courbe monte crescendo.

Ne pas « entrer » le passé est une excellente manière de faire croire qu’autrefois, le climat était aussi linéaire que plaisant en permanence.

 

Je connais assez bien les historiens français du climat et les différents climats de la France, car il n’y a pas qu’un climat en France et il y a plusieurs, compte non fait des zones intermédiaires pouvant subir alternativement des influences diverses.

Je connais aussi assez bien l’histoire des climats français et les multiples événements climatiques extrêmes, sécheresses, tempêtes, canicules, froids intenses ou encore inondations qui ont jalonné l’histoire de nos ancêtres au cours des siècles et ce n'est pas vraiment de la rigolade.

 

Je connais plus mal le climat allemand et les catastrophes climatiques qui ont jalonné l’histoire de l’Allemagne, mais il n’y a aucune raison de penser que l’Allemagne ait une histoire plus heureuse et plus chanceuse que la France en matière d’événements climatiques extrêmes.

En conséquence, lorsque j’ai regardé ces inondations, si j’ai eu de la peine pour les victimes et leurs familles qui ont vécu un événement indéniablement terrible, je n’ai éprouvé aucun étonnement.

Je me suis dit tout simplement : Si cela s’est passé ce mois de juillet, cela a déjà du survenir dans le passé…

 

Sur environ 170 victimes allemandes (peut-être plus, à venir…) de cette récente catastrophe, près des 2/3 ont trouvé la mort dans le canton Bad Neuenahr-Ahrweiler et dans la vallée de l’Ahr. J’ai choisi de limiter mes recherches à cette région et à vrai dire, il ne m’a pas fallu chercher longtemps pour exhumer le passé tragique de cette région en matières tant de pluies torrentielles que d’inondations épouvantables.

 

Bad Neuenahr-Ahrweiler est une ville de Rhénanie-Palatinat, à 30 km seulement du centre de la capitale fédérale Bonn, à laquelle elle est reliée directement par une autoroute. La ville actuelle résulte d’une fusion communale entre plusieurs localités, les deux principales étant Bad Neuenahr et Ahrweiler. Sur l’étendue de ce territoire fusionné, 5270 personnes vivaient en 1815, 12 100 en 1905, 28 600 aujourd’hui.

Bad Neuenahr-Ahrweiler est aujourd’hui une ville résidentielle et touristique et un centre thermal. Mais c’est aussi plus traditionnellement le chef lieu d’un arrondissement viticole.

Sa situation géographique est très particulière car elle est nichée dans une étroite plaine d’une dizaine de km de long à peu près, pour guère plus d’ 1 km de large en moyenne, enserrée entre des collines escarpées qui surplombent la ville de 100 à 300 mètres, parfois plus. La ville est traversée par la rivière Ahr qui se jette dans le Rhin 4 km en amont.

Cette rivière, elle même alimentée par plusieurs petits cours d’eau provenant de vallées adjacentes, serpente dans une vallée très encaissée entre des versants plantés de vignobles, et est parsemée de quelques villages essentiellement bâtis, eux aussi, dans les étroites plaines.

Tant en raison du relief que du climat qui soumet la zone à un fort risque de pluies estivales orageuses violentes, la vallée de l’Ahr a un très lourd passé de crues bien documenté depuis le moyen âge, c’est à dire depuis la période où les documents écrits cessent d’être extrêmement rares, pour devenir progressivement plus nombreux jusqu’à nos jours.

Fond de carte Michelin

Fond de carte Michelin

Attardons nous brièvement sur la catastrophe du 21 juillet 1804, bien, avant le début du réchauffement climatique…

 

Le 21 juillet 1804, alors que tous les sols des versants et de la vallée étaient déjà saturés par une succession d’orages estivaux, se déclencha une violente tempête avec des précipitations intenses.

Tous les petits cours d’eau alimentant l’Ahr débordèrent rapidement et le niveau de l’Ahr s’éleva en quelques heures à des hauteurs exceptionnelles prenant de court les habitants des villages de la vallée pourtant habitués aux inondations. Beaucoup n’eurent pas le temps de fuir sur les coteaux avec quelques biens et leur précieux bétail.

 

La catastrophe fit pour cette seule vallée de l’Ahr, 63 morts…

Furent arrachés par les flots, 130 maisons, 160 granges, 18 moulins, 8 forges et presque tous les ponts sans tenir compte de tous les bâtiments qui furent sérieusement endommagés et des routes détruites. Les vignes et les vergers situés sur les versants furent arrachés, les pâtures et les champs de fond de vallée furent recouverts de pierres, sables et débris divers sur des hauteurs dépassant par endroits 2 à 3 mètres.

La région faisait alors partie de l’Empire Français, puisqu’on est sous Napoléon 1er. Des secours financiers furent envoyés ainsi que 800 travailleurs pour les plus gros travaux de déblaiement. La reconstruction et la remise en état des cultures, notamment du vignoble, dura des années.

 

La vallée de l’Ahr ne fut pas la seule zone durement frappée par les inondations du 21 juillet 1804. Cette vallée fait partie d’un vaste massif de collines qui s’appelle l’Eifel et qui s’étend sur plusieurs milliers de km2 entre les frontières Belges et Luxembourgeoises à l’ouest, la Moselle au sud et le Rhin à l’Est.

Toute le massif de l’Eifel fut affecté à des degrés divers mais j’ignore les bilans locaux, si tant est qu’il y est eu des bilans partout…

En effet, faire des bilans matériels ou humains aussi précis que possible d’un événement quelconque, qu’il s’agisse d’un extrême climatique, des ravages d’une épidémie, d’une guerre, d’une famine ou de quoi que ce soit d’autre, est une pratique assez récente historiquement. Lorsque l’on remonte les siècles, les récits d’époques ne contiennent que des estimations « à la louche » qu’il faut considérer avec un oeil prudent et critique.

Au mieux, les historiens peuvent parvenir à des estimations approximatives de bilans au moyen de documents d’archives ou de découvertes archéologiques.

 

 

Quittons 1804 et faisons un saut dans le temps de quasiment un siècle… Bis repetita… (2°)

La vallée de l’Ahr et les vallons du massif de l’Eifel furent à nouveau durement frappés par les crues de la mi juin 1910.

Il s’agit de la première des grandes crues de l’Ahr, pour laquelle nous disposons de clichés de cartes postales pris dans les jours suivants la catastrophe.

Pont détruit, village de Dernau, environ 3 km en amont de Bad Neuenahr-Ahrweiler, juin 1910

Pont détruit, village de Dernau, environ 3 km en amont de Bad Neuenahr-Ahrweiler, juin 1910

Pont détruit de la petite gare de Mayschoß, une dizaine de km en amont de Bad Neuenahr-Ahrweiler, juin 1910

Pont détruit de la petite gare de Mayschoß, une dizaine de km en amont de Bad Neuenahr-Ahrweiler, juin 1910

Il existe un article relativement complet et bien illustré de la crue de 1910, écrit en 2010 par Leonhard Janta, un ancien directeur des archives de Bad Neuenahr-Ahrweiler et Helmut Poppelreuter, natif de Mayschoß, architecte de formation, devenu un historien local amateur, malheureusement, il est en allemand, j’en donne le lien car pour ceux qui peuvent le lire, il est intéressant : https://www.kreis-ahrweiler.de/kvar/VT/hjb2010/hjb2010.60.pdf

 

Pour résumer, les circonstances de la crue de juin 1910 sont relativement similaires à celles de 1804, une série de pluies qui a saturé les sols dans les semaines qui précèdent et un orage d’une violence exceptionnelle.

Le 13 juin à partir de 3h du matin et pendant les 7h qui suivent, sur une longueur de près de 40 km en amont de l’endroit où elle se jette dans le Rhin, l’Ahr enfle démesurément et se transforme en un véritable raz de marée ayant fait jusqu’à 200 mètres de large en certains lieux.

Les habitants des localités bordant l’Ahr, semblent avoir été relativement bien avertis (ou suffisamment conscients) de l’ampleur de la montée des eaux et il n’y aura que 52 morts.

Cependant, comme en 1804, de nombreuses maisons, des bâtiments divers, des ponts, des routes sont emportés et les dégâts sont immenses. A nouveau, la reconstruction prendra quelques années. Un lac « tampon » de réservoir avec une centrale hydroélectrique avait été envisagés, mais le projet est abandonné en raison de la guerre de 14.

 

Un chroniqueur situé sur un versant raconte : (Traduction approximative)

« On n’avait jamais vu la rivière Ahr ainsi (3°). Une large bande d’eau jaune sale, comme le corps d’un serpent géant, parcourait le paysage, un grondement inconnu, qui couvrait tous les bruits, devenait plus intense de minute en minute… Une marée montait en vagues énormes et tourbillonnantes qui emportait tout sur son chemin »

 

La conclusion de l’article de 2010 est des plus édifiantes et prend aujourd’hui toute sa résonance :

« Les niveaux d’inondations de l’Ahr atteints en 1804 et 1910 n’ont plus jamais été atteints depuis. Divers bâtiments et ponts qui supportent les marques des hautes eaux de 1910, en attestent.

Cependant, en raison de la plus grande densité de peuplement, des niveaux d’eau similaires entraineraient probablement des dommages considérables." 

 

 

Notes :

 

(1°) J’ai volontairement choisi de ne pas évoquer le grignotage « rurbain », les questions des sols artificialisés et imperméabilisés liés à l’urbanisation contemporaine, ni les augmentations de la population depuis les 2 derniers siècles qui ont certainement eu leur part dans l’ampleur de la tragédie, pour rester sur le récit succinct des catastrophes de 1804 et 1910.

 

(2°) Je n’ai pas pris en compte les multiples débordements, à peu près décennaux de l’Ahr et de ses affluents, dans la mesure où les pertes humaines et les dégâts matériels ont été bien plus limités, pour rester dans ce que l’on peut réellement appeler des « catastrophes ».

 

(3°) Le « On avait jamais vu cela… » est très caractéristique des récits d’événements météorologiques extrêmes depuis l’invention de l’écriture !

 

 

Pour en savoir plus :

 

-Un état succinct des crues historiques de l’Ahr pour lesquelles il existe des archives :

https://www.kreis-ahrweiler.de/kvar/VT/hjb1983/hjb1983.25.htm

 

-Sur la crue de la vallée de l’Ahr en 1804 :

https://kreis-ahrweiler.de/kvar/VT/hjb1955/hjb1955.11.htm

 

-Article assez ancien (1930) plus général sur les phénomènes récurrents de crues estivales en Europe Centrale, mais en français et intéressant  https://www.persee.fr/doc/geoca_1164-6268_1930_num_6_3_6347

 

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