Archéologie, Histoire de l'agriculture, de l'élevage, de l'alimentation, des paysages, de la nature. Sols, faunes et flores. Les sciences de la nature contre les pseudos-sciences, contre l'ignorance, contre les croyances, contre les prêcheurs de l’apocalypse.
6 Juin 2021
La notion de ville ou village ainsi que de zone urbaine ou zone rurale est extrêmement compliquée en géographie comme en statistiques.
C’est d’ailleurs dans le domaine des statistiques, un exemple flagrant de la difficulté qu’il peut y avoir à établir des chiffrages fiables lorsque tous les pays du monde adoptent des critères différents pour définir un sujet quel qu’il soit.
Et dieu sait que les « stats », j’ai bien connu dans le domaine dans lequel je travaillais autrefois et sur lequel je garderais, même en retraite, un prudent silence.
La définition française de la ville est, en France, selon l’INSEE, une commune de plus de 2000 habitants. En dessous de ce chiffre, on a à faire à un village. C’était également la définition traditionnelle retenue par les géographes français.
Cette définition française ne dit rien sur la densité d’habitants au km2, ni sur le type d’habitat : immeuble ancien ou récent, maison de ville ancienne ou récente, zone pavillonnaire dense, zone pavillonnaire lâche. La définition ne dit rien non plus sur les statuts sociaux professionnels des résidents.
Dans d’autres pays du monde, une ville peut être définie par un nombre d’habitants qui va de quelques centaines à 50 000, ou par la densité de population sur un territoire donné, ou encore par le statut administratif, les services publics ou commerciaux offerts ou par le pourcentage de la population employé dans des secteurs non agricoles.
Ces 50 dernières années se sont progressivement superposées à ces définitions variables de villes et villages des notions de zones urbaines ou zones rurales, qui à leur tour, sont l’objet d’acceptions bien différentes selon les pays.
Comme même au simple niveau français, géographes, urbanistes, sociologues et statisticiens se chamaillent sur ces notions pour savoir ce qu’il faut y mettre, je ne m’y attarderais pas.
Disons cependant que l’on peut définir l’urbain comme un individu habitant une ville ou une zone urbaine et exerçant sa profession soit dans cette ville ou zone urbaine, soit dans une ville ou une zone urbaine proche.
Pour les urbains travaillant en ville ou en zone urbaine, mais vivant à la campagne, catégorie en voie d’expansion, les géographes ont donc conçu un mot spécifique de plus en plus employé : le rurbain.
Le rurbain est un urbain, qui a vécu en ville ou en zone urbaine, souvent depuis plusieurs générations et qui, cherchant à améliorer sa qualité de vie, (superficie habitable plus grande et possession d’un espace de vie extérieur), s’est installé dans des villages ou zones rurales, initialement à faible distance des grandes villes, en des lieux où il n’avait ni attaches, ni familles.
Les banlieues pavillonnaires dévorant les surfaces des anciens villages proches des villes et des zones urbaines, ces derniers sont devenus à leur tour des espaces péri-urbains.
Qu’à cela ne tienne, le rurbain a poursuivi sa migration plus loin jusqu’à coloniser les plus lointains et les plus authentiques villages, des endroits perdus où la population baissait depuis 100 ans car il ne restait que des agriculteurs et des personnes âgées.
Soyons honnête, le rurbain ne réside réellement dans ces villages que la nuit, et lors de ses week-ends et congés lorsqu’il ne part pas en vacances ailleurs en France ou dans le monde.
Tous les jours, le rurbain, s’astreint à un trajet assez long, entre 1/2h au mieux et parfois 2h de transport tous les matins pour se rendre à son travail en ville ou en zone urbaine, comme pour en revenir le soir.
Le rurbain a rarement rénové une maison ancienne dans un village, car il ne sait en général pas planter un clou, son incapacité à utiliser quelque outil que ce soit étant en général mathématiquement corrélée à la décroissance de son âge. Ce n’est pas de sa faute, il appartient à des générations ayant grandi en regardant des dessins animés ou en jouant sur son ordinateur. On ne peut pas tout faire…
En conséquence, le rurbain a choisi un de faire construire un de ces pavillons neufs et clés en main, labellisé éco-responsable avec triple vitrage, isolation renforcée, et chauffage central par chaudière à granulés de bois.
Le rurbain est capable de vous réciter par coeur les affirmations du commercial lui ayant vendu sa chaudière à bois, cet étrange crédo écolo selon lequel brûler du bois, c’est (presque) ZERO pollution puisque les arbres ont consommé du CO2 dans leur croissance, donc cela annule miraculeusement le CO2 rejeté (2°). Ce crédo est forcément vrai puisqu’il a été béni par l’Agence pour la transition écologique.
Sur le toit de son pavillon brillent des panneaux photovoltaïques car le rurbain se flatte d’être un producteur d’énergie renouvelable. Malheureusement, les tarifs d’achat des contrats récents ne lui permettent plus de se remplir les poches, sous prétexte d'écologie, comme aux temps glorieux voilà 10 ans en arrière quand l’Etat français, dans sa grande et fondamentale stupidité, imposait à EDF, de racheter l’électricité photovoltaïque des particuliers à 4 à 5 fois son prix de vente au consommateur.
Le pavillon du rurbain a bien sûr grignoté de précieuses terres arables, mais 500 m2 par ci et 1000 m2 par là, quelle importance, fragmenter le parcellaire, n’est ce pas une façon de combattre ces affreux remembrements ? Et être partie prenante d’un projet qui pique 10 ha ici et 10 ha là, à ces agriculteurs honnis, pour réaliser des lotissements, n’est ce pas une bonne action ?
D’ailleurs, protecteur du sol, le rurbain n’utilise pas de ces affreux désherbants produits par des vilaines multinationales (enfin n’utilise plus, car j’ai connu une époque…), le rurbain a même des solutions fantastiques contre les mauvaises herbes : le béton, le bitume, le dallage… Et d’autres… que je m’abstiendrais de citer mais qui ont occasionné des ruptures étranges dans les magasins de bricolage français en 2019, après l’interdiction de vente de glyphosate aux particuliers.
Le rurbain est même assez fier d’avoir assaini l’espace autour de chez lui en faisant arracher ce vieux pommier à Mimile et le prunier à Nénette. Quelle horreur tous ces fruits tombés qu’il faut se baisser pour ramasser et qui amenaient mouches et guêpes et plein d’autres insectes étranges.
Le rurbain est bien sûr persuadé que les insectes sont tous adorables et qu’ils sont en danger mais il les préfère loin de chez lui. C’est comme ces merveilleuses hirondelles qu’il faut bien sûr protéger également mais pas question qu’elles fassent leur nid contre le beau crépi tout neuf du pavillon ou qu’elles défèquent sur le salon de jardin.
Le rurbain est en général arrivé porteur d’une culture urbaine et d’un mode de vie urbain comme d’un sentiment intrinsèque de supériorité sociale.
Le rurbain, qui a travaillé toute la semaine, se voit comme une victime du monde du travail, ayant des droits fondamentaux et absolus le week-end. Bien sûr, le rurbain ignore que dans un rayon de 1 à quelques km autour de chez lui, vivent de vrais forçats, qui triment une douzaine d’heures par jour, mais ne connaissent guère la notion de week end et de vacances, et encore moins celle de droits fondamentaux et absolus.
En conséquence, le rurbain ne voit pas pourquoi il ne pourrait pas faire la fête avec plein d’amis urbains et rurbains jusqu’à 4h du matin les nuits de samedi soir, ou pendant ses vacances, car franchement, cet empoisonneur de fermier qui se lève à 4h du matin même les dimanches ou quand tout le monde (urbain) est en vacances, le rurbain s’en fiche.
A contrario, de jour comme de nuit, le rurbain ne supporte pas le chant des coqs, le mugissement des vaches, le coassement des grenouilles, la cloche de l’église, ou le ronronnement du tracteur dans le champs d’à côté. Et bien sûr, son odorat délicat est complètement inadapté au fumier et la seule vue lointaine d’un pulvérisateur (même bio) le fait défaillir même s’il n’y a pas de vent et même si on lui a longuement expliqué que le réglage des pulvérisateurs modernes est de la haute technologie alliant économie et précision.
Bien entendu, le rurbain est, dans un certain nombre de domaines, porteur de certitudes :
-Certitudes dans le domaine du réchauffement climatique, nous allons bientôt tous rôtir en enfer et c’est de la faute des autres, pas de la sienne,
-Certitudes en ce qui concerne la protection de toutes les espèces animales, car il sait de sources sûres (sic) que tout ce qui est vivant et sauvage est fondamentalement sympa, même les loups, les ours, les vautours et les moustiques !
-Certitude que les agriculteurs conventionnels sont d’ignares empoisonneurs, le rurbain ignorant totalement que les agriculteurs bio utilisent aussi des pesticides dits « bio »…
-Certitude que leurs chats (ils arrivent en général avec plusieurs) sont les animaux les plus mignons de la terre, qui ont un droit intrinsèque à aller gratter le potager du voisin pour y déposer leurs excréments, ou à ravager les nichées de passereaux des environs, car pour un rurbain, la prédation du chat fait partie de l’ordre naturel du monde, un peu comme le loup qui dévore les agneaux. Ce qui est naturel est forcément positif…
-Certitude que les mauvaises herbes n’existent pas et que toutes les plantes se mangent, y compris le coquelicot qui mélangé au blé, lui donnerait un délicieux et sain goût de pavot. Je ne parlerais pas de la nielle des blés qui intoxiquait régulièrement nos ancêtres, le rurbain ne sait pas ce que cela existe.
Bref, le rurbain, tout en pianotant sur son ordinateur et en regardant des films sur Netflix, est persuadé que la déesse nature est fondamentalement bonne et que l’humain devrait revenir au stade primitif de bon sauvage non corrompu par la civilisation. C’est aussi ce que pensait Saloth Sâr, (plus connu sous le nom de Pol Pot) qui avait étudié Rousseau et Marx lors de ses années parisiennes, et vu la suite, avec plus de passion que la radio-électricité qu’il était venu apprendre.
Le rurbain ne connait pas le monde agricole qu’il méprise profondément, bio excepté et encore… le rurbain n’aime pas le cheval de trait du vigneron bio qui pue et crotte ou le troupeau de vaches même bio parce qu’il amène plein de ces saletés de mouches bio.
Le rurbain connait encore moins la nature qu’il prend pour une divinité immanente.
Il ne vient donc jamais à l’esprit du rurbain qu’absolument tout ce qu’il peut contempler en matière de paysages a été modelé et remodelé maintes fois au cours des derniers millénaires par l’intervention humaine. Ce faisant, le simple abattage par un agriculteur d’une haie lui appartenant (à l’agriculteur) peut entrainer chez le rurbain, le lancement d’une pétition de protestation sur les réseaux sociaux.
Attention, si vous dites à un rurbain, qu’il ne connait pas la nature, il sera instantanément vent debout.
En effet le rurbain a souvent randonné sur de beaux GR bien propres, nettoyés et balisés. Il y a même vu des arbres et des plantes et des insectes, dont il ignore en principe tout, mais qui lui ont donné un enivrant sentiment de « bon » sauvage, l’espace de quelques heures.
Il a visité un certain nombre de sites étiquetés « Natura 2000 », là où l’on a pas besoin de salir ses baskets Nique (le bon sens) parce qu’on a installé de belles chaussées bien larges en lattes de bois.
Il a campé dans un 5* de la si belle forêt des Landes, si naturelle, dont il ne sait pas qu’elle est une récente création humaine et que s'il a pu y camper si plaisamment, c’est parce qu’on a commencé à démoustiquer des le mois de juin en vu de la saison touristique.
Après avoir manifesté pour faire interdire le barrage de Sivens, dont la réalisation était si importante pour ces « salauds d’agriculteurs » qui ont le toupet de réclamer de l’eau pour faire pousser leurs cultures, le rurbain est parti pédaler sur les belles pistes cyclables entourant le lac de Der, un site ornithologique majeur en Europe, notamment pour les migrateurs, oublieux du fait qu’il s’agit d’une création totalement humaine qui n’aurait jamais existé si ceux qui ont manifesté à Sivens avaient été là dans les années 1966-74.
Le rurbain a même été faire un stage de jardinage (3°) bio à 200 € la journée avec une dizaine de nigauds comme lui chez des gens absolument extraordinaires (il faut l’être pour encaisser 2000 € pour 6 à 8h de cours) qui ont des rendements fabuleux avec des graines artisanales, sur des sols ingrats, sans engrais, sans pesticides, et même sans eau. La prochaine étape c’est sans graines ! mais en priant l’esprit de l’occultiste Rudolf Steiner d’intercéder auprès de la déesse nature, parfois appelée Gaïa par certains fervents adorateurs. Le rurbain en est rentré convaincu qu’il pourrait désormais faire des cours aux spécialistes de l’Institut National de la Recherche Agronomique, et vu de qu’est devenu l’INRAE, du moins du point de vue du monde agricole, il a peut-être raison.
Le rurbain a même constitué un petit potager d’1m2 surélevé sur le toit d’une cage-poulailler achetée chez « Casse toi Clara » qui héberge 2 poules qui sont tellement plus à l’aise sur une superficie d’un format A0 de 1m2 environ qu’en format A4 de 0,062 m2 dans ces épouvantables élevages en batterie contre lesquelles il a signé une pétition.
Le rurbain est d’autant plus proche de la nature, qu’il mange bio, parfois végétarien, et n’hésite pas à faire venir du Pérou sa quinoa, produite et vendue grâce au commerce solidaire... solidaire avec les paysans de l’autre bout de la planète... tandis que la majorité de nos éleveurs laitiers vivent avec moins de 500 € par mois, mais on ne peut pas être solidaire avec tout le monde.
Et malheureusement, le rurbain est une espèce invasive, reclassée récemment en liste écarlate des "espèces hautement invasives", surtout depuis qu’une saleté de virus a dopé le télétravail et fait exploser le marché de l’immobilier rural.
Oui, nos campagnes sont en danger, plus que jamais ! Et ce danger n'est pas anodin, il menace non seulement nos paysages mais aussi notre alimentation tout simplement.
Notes :
(1°) Une petite partie des envahisseurs rurbains sont des gens soucieux de s’intégrer dans le monde rural dans lequel ils s’installent et sympathisent avec des agriculteurs, tissant des liens qui peuvent se montrer bien précieux lorsqu’on a une haie à entretenir annuellement ou besoin d’une benne de fumier. Ces rurbains ont souvent entamé un « vrai » et grand potager et parfois planté quelques arbres fruitiers qui les ont aidé à prendre conscience des maladies et ravageurs des plantes et de la difficulté à avoir un rendement à la hauteur des efforts en ne faisant usage que des souvent coûteux pesticides bio désormais seuls à être accessibles aux particuliers. Ils apprécient les bruits de la campagne et s’adaptent sans ronchonner à ses odeurs, bonnes ou mauvaises. Il arrive même que des rurbains deviennent chasseurs, en général suite à un événement traumatique (massacre de leurs poules par un renard ou une belette) leur ayant fait prendre conscience de la nécessité de la régulation cynégétique, des espèces que dans leur grande sagesse, nos ancêtres nommaient nuisibles.
(2°) Je n’ai rien contre les gens qui se chauffent au bois. J’appartiens à une famille chez qui il y a toujours eu poêle à bois et/ou une cheminée (avec insert bien sûr depuis qu’ils existent, déjà pour des raisons d’économie évidente). J’adore le feu de bois en hiver, rien de plus agréable. Mais je n’ai jamais eu la malhonnêteté d’user de raisonnements tordus pour affirmer qu’en brûlant du bois, on ne polluait pas.
(3°) Je n’ai rien non plus contre le jardinage, bio ou pas bio, j’en ai fait toute ma vie et je continue à en faire. J’ai même essayé, étant jeune, un certain nombre de solutions dites « bio » avant d’y renoncer, tout simplement parce que je n’aime pas travailler la terre pour rien ou presque rien. Je viens d’une famille d’origine paysanne où à la base, jardiner, ce n’était pas seulement pour avoir du "frais" presque toujours disponible, mais c’était aussi et d'abord pour faire des économies. Jardiner, c'était le 13ème mois des familles de mineur disait mon père…
Je confesse cependant avoir quelque chose contre les gens qui se targuent de vivre de maraichage bio, mais tirent 70 à 95% de leurs revenus réels de stages ou de conférences qu’ils font payer des prix exorbitants.