Archéologie, Histoire de l'agriculture, de l'élevage, de l'alimentation, des paysages, de la nature. Sols, faunes et flores. Les sciences de la nature contre les pseudos-sciences, contre l'ignorance, contre les croyances, contre les prêcheurs de l’apocalypse.
16 Juin 2020
Rappel : Lire les 2 articles précédents successivement
La famille d’Etienne, Alexandrine et leurs 8 enfants habitait la petite ville de Seignelay, à 13 km au nord d’Auxerre. Seignelay, qui comptait au recensement de 1856, 1546 habitants, était à l’époque administrativement un chef lieu d’un canton de 11 communes.
Les deux époux se sont mariés en 1836 alors âgés respectivement de 33 et 23 ans.
Etienne, dit « chef de famille » a 57 ans au moment de l’enquête de 1860, est un tout petit propriétaire qui, avec ses 2 fils ainés, 18 et 14 ans, travaille sa petite vigne dont il est propriétaire et le champs dont il est locataire mais tous trois gagnent essentiellement une partie de l’argent familial en se louant au long de l’année, soit à la journée, soit à la tâche.
Sa femme, Alexandrine, a alors 47 ans. Outre s’occuper de son foyer, Alexandrine est multi-tâches et s’occupe tant de l’élevage familial, que du potager, du ramassage du bois mort, etc…… Et surtout, elle semble une comptable avisée.
Etienne et Alexandrine ont perdu leur premier enfant en 1837 à l’âge de 11 mois et ont eu un enfant mort né, mais ils ont 8 autres enfants vivants et décrits en bonne santé à l’époque de l’étude en 1860 ce qui peut être qualifié d’exceptionnel.
A cette date, la fille ainée du couple, Nathalie, alors âgée de 21 ans, vit chez eux, aide sa mère, et ramène également au foyer ses salaires de couturière à domicile chez des gens aisés.
Ils ont 4 autres filles dont Elisa 15 ans qui est placée comme domestique mais selon l’usage verse ses gages à ses parents.
Les 3 autres sont Eugénie 12 ans, Marie 9 ans et la petite Amélie qui a alors 7 mois.
Ils ont également 3 garçons,
Eugène 18 ans, Victor 14 ans qui accompagnent habituellement leur père dans toutes ses tâches et emplois dont l’ensemble des salaires reçus est versé au budget familial.
Le dernier, Joseph, est alors âgé de 7 ans.
Tous, selon leurs capacités, contribuent par leurs travaux quotidiens à un budget familial particulièrement serré.
-Le 1er article a été consacré à la présentation de la famille et à son cadre de vie.
-L’article précédent détaillait les travaux spécifiques d’ETIENNE, d’EUGENE, fils ainé de 18 ans, de VICTOR, fils cadet de 14 ans.
L'EXPLOITATION DU CHAMP DE 75 ARES ET DU JARDIN POTAGER DE 7 ARES.
Le champs de 75 ares
La famille exploite un champ de 75 ares qu’elle loue pour la somme de 60 fr annuel. Ils le font labourer par quelqu’un qui possède un train de charrue pour 30 fr. Et ils rentrent leurs récoltes au moyen d’une voiture louée 6 fr.
On sait que le champ est bien amendé avec du fumier de leurs bêtes (2 vaches à l’année, 2 moutons une partie de l’année, 2 porcs sur 10 mois, 1 couple de lapins qui produisent 24 lapins annuels, 6 poules et leur progéniture annuelle). Le fumier est estimé à une valeur marchande de 40 fr par an soit 8 voitures.
La famille estime le travail annuel dans ce champ à 77 journées de travail en cumulant les journées du père, de la mère, des 2 fils ainés. Cela revient à peu près à 1 jour de travail à l’année par are. Rappelons une fois de plus que lorsqu’on parle de journée de travail au XIXème siècle, on imagine pas une seconde une journée de 8h, les journées de travail oscillant entre 10h en hiver et 14 en été.
Rien n’est dit du travail des 3 enfants de 12, 9 et 7 ans mais il parait peu probable qu’ils n’aient pas aidé à ramasser les pommes de terre où à rassembler les gerbes de céréales. Une pré-adolescente de 12 ans devait d’ailleurs savoir déjà manier la faucille, le geste s’apprenant dès l’enfance.
L’enquête précise les cultures effectuées dans le champ sans que l’on connaisse les surfaces respectives de chacune : du seigle, du blé, des pommes de terre, du trèfle. En terme d’assolement, les pommes de terre et le trèfle s’intercalent bien avec les céréales et on sent l’effet des progrès agricoles du XIXème dans ces choix.
Si on a pas les superficies par culture, sont mentionnés cependant le poids des semences utilisées et celui des récoltes afférentes : 27 kg de semences de seigle ont produit 335 kg de grains, et 14 kg de semences de blé ont produit 175 kg de grains. A cela s’ajoute presqu’une tonne de paille, bien précieuse pour l’étable.
Pour qui est habitué au ratio semences/récoltes du début XXIème siècle, il y a de quoi sursauter. En effet, en prenant des chiffres moyens pour une base d’environ 120 kg de grains semés, le rendement en blé actuel dépasse en principe les 7 tonnes/ha, soit 58 fois la semence, celui en seigle les 5 tonnes soit 41 fois la semence. Cela signifie qu’aujourd’hui pour 27 kg de semences de seigle, Etienne et Alexandrine récolteraient 1100 kg de seigle soit plus du triple et pour 14 kg de semences de blé, ils récolteraient 815 kg de blé, soit plus de 4,5 fois plus.
Alors pitoyables leurs récoltes ! Absolument pas, bien au contraire, en considérant qu’ils utilisent leurs propres semences et que la révolution semencière, mécanique, ainsi que celle des engrais et produits phytosanitaires qui va bouleverser profondément les rendements est encore dans l’enfance, ce sont donc d’excellents rendements. En effet, en seigle, ils récoltent 12,4 fois leurs semences et en blé 12,5 fois leurs semences de quoi déjà faire rêver un paysan des siècles passés.
Pour se rendre compte, remontons le temps. Un paysan des années 500-800 peine à récolter en céréales en moyenne 2 fois sa semence. Ce chiffre peut paraitre ahurissant, mais le climat est plus frais que lors de la douce Antiquité romaine et les nuisibles animaux et insectes qui ravagent les récoltes sont quasi totalement hors de contrôle. Par ailleurs, dans le contexte d’instabilité politique qui a suivi la chute de l’Empire Romain aggravé par la peste de Justinien dont les épisodes ravageurs se succèdent tous les 10-15 ans pendant 2 siècles, les techniques agricoles ont régressé et sont d’autant rudimentaires que les outils en fer manquent.
A titre d’exemple, la plupart des bêches ou des houes sont entièrement en bois, l’extrémité du « plat » qui attaque le sol étant seulement durci au feu. Heureusement, dans un contexte si difficile, il y a seulement environ 7 à 9 millions de personnes dans les limites actuelles de la France, 3-4 millions de moins qu’à la fin de l’Antiquité, les densités de population sont alors bien faibles et par voie de conséquence, prairies, friches et forêts sont suffisamment nombreuses pour permettre élevage, chasse, pêche et cueillette fournissant un apport alimentaire qui compense légèrement la faiblesse des récoltes sans pour autant empêcher les disettes régulières ni les grandes famines, en moyenne une par décennie. Le haut Moyen Age est une des époques les mieux documentées en cannibalisme de survie.
Boosté par un climat plus favorable et par de grands progrès technologiques qui font parfois évoquer aux historiens une véritable « révolution industrielle du Moyen Age » le paysan du Moyen Age a le plaisir de récolter plus de 4 fois sa semence, jusqu’à 8 fois dans les meilleures terres et les meilleures années.
Olivier de Serre, en 1600, considère comme un bon rendement en blé un ratio semences/ récoltes de 1/6.
On ira guère plus loin avant la révolution française car l’agriculture, en particulier parce que la céréaliculture est enfermée dans un carcan semi collectif qui, dans nombre de régions, contraint les paysans à un un système d’assolements obligatoires, soit biennal : un an de céréales, puis un an de jachère, soit triennal : 2 ans de céréales, puis un an de jachère. On imagine l’épuisement du sol.
Il y a heureusement des exceptions plus ou moins importantes dans des régions déjà de cultures spécialisées ou d’élevage pour le lait ou la viande à destination des villes.
Le système d’assolements obligatoires est d’autant pernicieux qu’à l’issue de la récolte, toute la communauté envoie pacager ses bêtes collectivement sur les chaumes de tout le monde, ce qui complète le pacage dans les bois. Dans ces structures collectives les plus rigides, les prairies de fauche naturelle ou cultivée sont rares ou totalement inexistantes.
Conclusion, les bêtes sont souvent maigres car mal nourries et en l’absence de réserves de fourrage hivernal puisqu’on ne fauche pas de prés pour les foins, il faut procéder à des abattages à l’entrée de l’hiver. Pire, le manque de fourrage implique que même à la mauvaise saison, les bêtes sont peu à l’étable, en conséquence, une grande partie du fumier n’est pas optimisé mais perdu, ici dans les chemins ou dans les chaumes, ailleurs dans ce qui reste alors des forêts également ravagées par les pâtures.
Et bien sûr les bovins de trait mal nourris et piètrement sélectionnés manquent de puissance pour le travail de la terre et rares sont les régions et les paysans pouvant se permettre de nourrir un cheval de trait. Contrairement à la légende, la grande époque de la traction hippomobile, ce n’est ni le Moyen Age, ni les siècles qui s’étendent avant la révolution française, mais c’est le XIXème siècle et le tout début du XXème siècle. Avant le XIXème siècle, les chevaux sont un privilège de riches fermiers sur de bonnes terres, de puissants commerçants qui assurent les réseaux de transports, et d’aristocrates et/ou militaires.
Revenons à Etienne et Alexandrine en 1860…
Le seigle, qui se sème en automne, est une céréale plus résistante que le blé aux aléas climatiques et adaptés à des sols divers. Il se récolte assez tôt, dès fin mai parfois, en principe avant la fenaison, tandis que le blé se récolte un peu plus tard dans l’été, c’est important en terme d’étalement du travail.
Le seigle est cependant une céréale à haut risque, surtout à l’époque considérée, en l’absence de moyens de lutte phytosanitaire, car elle est sujette à un champignon, Claviceps purpurea, qui infecte les grains et provoque des pathologies neurologiques plus ou moins graves suivant les quantités et la durée de l’ingestion. Ces pathologies étaient autrefois connues sous le nom de « mal des ardents » ou "peste de feu" en raison des symptômes de grande chaleur dans les membres, démangeaisons puis nécroses allant jusqu’à la gangrène. On parle aussi de « danses » de différents saints (Saint Guy, Saint Antoine…) pour les symptômes de convulsions, gestes désordonnés et hallucinations liées à l’atteinte du système nerveux (°) même si les « danses » pathologiques du passé peuvent par confusion populaire désigner sous des vocables similaires différentes maladies.
On remarque dans les inventaires familiaux 7 faucilles à blé pour la récolte des céréales pour une valeur totale de 10,5 fr ainsi que 2 faux avec leur enclume et marteau valant 10 fr l’ensemble. En 1860, en grandes cultures, dans les régions les plus dynamiques, les faucheuses mécaniques à attelage hippomobile ont déjà fait leur apparition et sont en pleine diffusion. Ailleurs, depuis la fin du XVIIIème siècle, se sont diffusées soit la grande faucille à volant dite parfois bretonne, soit la faux qui permettent un gain de temps considérable lors de la fauche. En effet, à la faucille, on coupe en moyenne 15 ares à la journée, à la grande faucille 25 ares, à la faux 40 à 50 ares.
Pourtant la faux, connue depuis le moyen âge, a eu bien du mal à s’imposer. Les raisons sont multiples et ont été étudiées par des historiens. Sans rentrer dans les questions complexes de hauteur de la paille restant sur pied, il faut souligner que bien que d’emploi pénible en position courbée, la faucille était adaptée à tout le monde, aussi bien à un homme ou à une femme âgés, qu’à une femme dans la force de l’âge ou à un enfant d’une dizaine d’années. Tout le monde pouvait s’impliquer. Seuls les rendements variaient sensiblement selon l’âge et l’expérience.
L’usage de la faucille permettait également un dépôt plus soigneux des gerbes les unes sur les autres, les têtes de gerbes étant bien empilées ce qui facilitait les battages au fléau. D’ailleurs, les céréales récoltées par la famille d’Etienne et Alexandrine ou reçues en paiement en nature de travaux divers sont vraisemblablement battues au fléau chez eux, il y en a 2 dans l’inventaire.
La faux coupait également la tige des céréales plus au ras du sol, or l’usage du pacage collectif des bêtes sur les chaumes, impliquait qu’il devait rester quelque chose à brouter, et même si la paille a une faible valeur nutritive, elle calmait la faim du bétail.
Les historiens insistent parfois sur le fait que la faux nécessite de la force et que cela en fait un outil réservé aux hommes et cela excluait la main d’oeuvre féminine pour la fauche. Cette appréciation nécessite une petite critique.
Bien sûr, ne nions pas le réel, les hommes ont plus de force que les femmes et le geste du faucheur à la faux consomme pas mal d’énergie. Maintenant, pour m’être essayé à la faux, dont le maniement est très technique et nécessite un véritable apprentissage, je pense que les historiens ont ignoré 2 aspects du problème. Le premier est le costume féminin de l’époque, jupes et robes paysannes me paraissent incompatibles avec le maniement de la faux, il faut être en pantalon pour ne pas être gêné par le mouvement des vêtements lié au balancement du corps. Ensuite les faux étaient conçues pour les hommes qui allaient les utiliser et donc adaptées à leur taille, parfois même faites sur mesures par les artisans locaux jusqu’au début du XXème. Sans rentrer dans les variations sensibles selon les époques, les lieux et les groupes humains, les françaises du XIXème et XXème siècle ont en moyenne une taille de 12 cm inférieure à celle des hommes. Or un outil qui n’est pas adapté à votre taille, qu’il soit trop grand ou trop petit, entraine un surcroît de pénibilité dans son usage. Un manche de faux faite pour un homme d’1m65 ne devait guère convenir à une femme d’1m55.
Les récoltes de 335 kg de seigle, 175 kg de blé et une partie des 800 kg de pommes de terre provenant du champs sont destinés à la consommation familiale. Complétés par 324 kg de seigle et 337 kg de blé reçus pour paiement en nature de travaux de fauchages, moissons, battages des blés, seigle et blé fournissent la farine permettant à Alexandrine de cuire le pain de sa maisonnée toutes les semaines sans avoir à en acheter. Les déchets de mouture fournissent aussi une partie du son destiné aux porcs et aux vaches.
Venons en aux pommes de terre, rappelons que ce tubercule venu d’Amérique dès le XVIème siècle, a peiné à s’imposer en France, il ne devient commun qu’à la fin du XVIIIème siècle et c’est le XIXème siècle qui en consacre véritablement sa culture et en fait un élément central de l’alimentation des français.
Etienne et Alexandrine plantent 76 kg de pommes de terre pour en récolter 760. A l’heure actuelle, pour 2 tonnes plantées à l’hectare, en conventionnel, on récolte ad minima 40 tonnes, soit au moins 20 fois la semence.
Maintenant, pour leur époque, encore une fois leur rendement est excellent. Ont-ils été confrontés au mildiou de la pomme de terre arrivé en France en 1846, impossible de le dire, en tout cas ils n’ont pas à ramasser à la main l’affreux doryphore qui n’arrive que dans les années 1920 et qui occupera dans certaines régions et à certaines périodes les petits écoliers réquisitionnés pour cette tâche 1/2 journée par semaine.
Les 760 kg de pommes de terre récoltés dans le champ, complétés par 990 kg de pommes de terre reçues en paiement en nature pour divers travaux et par 190 kg récoltés dans le potager, donnent une rentrée annuelle de presque 2 tonnes de pommes de terre.
Ces 2 tonnes se partagent entre l’alimentation familiale pour à peu près 875 kg et fournissent une partie de l’alimentation des 2 jeunes porcs qui en consomment un peu moins de 1100 kg lorsqu’ils sont engraissés entre février et Noël.
La récolte de trèfle est évaluée à 1000 kg pour 5 kg de semences. En principe un semis de trèfle reste en place au moins 2 ans mais Etienne et Alexandrine faisaient-il « tourner » annuellement leur parcelle en trèfle pour lui faire succéder une parcelle en céréales afin de bénéficier chaque année de l’enrichissement du sol à la fois en azote et en humus que procure cette fabacée ? On reste dans l’inconnu.
C’est une plante qui peut être semée au printemps mais un semis de fin août ou début septembre est plus approprié ce qui est encore une fois intéressant en terme d’étalement du travail puisqu’on se situe juste avant les vendanges.
On récolte le trèfle en principe en vert lorsqu’il est en bouton entre la mi mai et la fin mai, un seconde coupe pouvant se faire vers la mi juillet ou un peu avant et une 3ème fin août ou un peu avant également. Le trèfle étant délicat à faire faner dans de bonnes conditions, seules les 2ème et 3ème coupe pouvaient probablement être gardées en foin si la saison était suffisamment sèche.
On sait que 700 kg de trèfle était consacré à l’alimentation des 2 vaches et 300 kg à l’engraissement des 2 agneaux. Les agneaux, qui naissent autour du mois de février étaient sans aucun doute achetés à l’issue du sevrage, sans doute fin avril ou début mai et gardés quelques mois pour être engraissés aux fourrages frais avant d’être abattus.
Etienne et ses 2 fils étaient également payés en nature par 1,2 tonne de trèfle pour des travaux de récolte. Ces 1200 kg de trèfle allaient également aux 2 vaches. On ignore s’il y a une part reçue en frais ou si tout est reçu en foin. Bien entendu, ce trèfle n’est qu’une partie du fourrage des vaches et des moutons. Faute de pré, il fallait aller chercher le reste dans les chemins au jour le jour.
Le jardin potager de 7 ares
Le jardin potager de 7 ares est possédé par la famille. Il est particulièrement bien situé car son entrée se trouve dans la cour commune où réside la famille, à côté de l’étable ce qui facilite indéniablement le soin quotidien. A cette époque, dans les campagnes, beaucoup de jardins potagers sont éloignés des maisons et on en voit encore la trace aujourd’hui dans tous ces villages où des vieilles bâtisses tombent en ruine, ne trouvant pas preneur faute de terrain contigu.
Il est estimé qu’Etienne travaille dans le jardin la valeur de 15 jours par an, Alexandrine, 10 jours par an, le fils ainé, 5 jours par an. Le second fils ne semble pas y travailler de même que la fille ainée, ni bien entendu que la seconde fille puisqu’elle est placée comme domestique.
On est donc à 30 jours de travail des adultes sur ces 7 ares, soit 4 jours 1/4 par are à l’année. N-ième rappel, valeur des journées de travail à l’époque : entre 10h en hiver et 14h en été pour ceux qui sont encore dans un nuage d’illusions… Un soin intensif est donc apporté à ce petit lopin si précieux pour sa part dans l’alimentation en légumes.
Il est curieux encore une fois que rien ne soit dit du travail des 3 enfants de 12, 9 et 7 ans dans ce potager, tant il était commun que les enfants de cet âge travaillent au petit désherbage entre les rangs de légumes et aident aux récoltes ne nécessitant pas trop de force comme les cueillettes de fruits ou de haricots ou le ramassage des pommes de terre arrachées. Peut-être est ce parce que ce travail d’enfant était trop anecdotique pour qu’il soit mentionné ?
Le jardin est abondamment fumé grâce au fumier des animaux de l’élevage, pour une estimation de 5 voitures annuelles soit une somme équivalente à 25 fr. Encore une fois, se pose la valeur en poids de la voiture, vraisemblablement entre 600 kg et une tonne. En prenant la valeur basse de 600 kg, on serait à 3 tonnes de fumier pour 7 ares, de quoi dépasser encore une fois les directives « nitrates ». Il est vrai que la sélection des semences est encore dans l’enfance et que rotations et abondance de fumier sont les seuls espoirs du paysan. « L’engrais est l’âme de la culture » écrit en 15 ans plus tôt Bailly de Merlieux dans les annales de la SNHF. Du moins en admettant qu’insectes et maladies épargnent ensuite les récoltes en ces temps pauvres en phytosanitaires…
Le jardin rend à peu près 190 kg de pommes de terre, 140 kg de choux, 100 kg de haricots secs, 10 kg de haricots verts, 10 kg de carottes, 10 kg d’oignons, 20 kg d’épinards, 15 kg de poireaux, 5 kg d’oseille, et quelques courges, l’intégralité de ces produits sont destinés à la consommation familiale annuelle. Il est également mentionné que 300 kg d’herbes et légumes divers y sont cultivés pour les lapins que cela nourrit partiellement. On n’a pas le détail de ces herbes et légumes.
240 kg de salades (chicorées, romaines laitues) sont récoltées mais 80 kg d’entre elles sont consommés et 160 kg vendues pour une somme totale de 16 fr ce qui à raison de 3 salades par kg, mettrait la salade à 3 ou 4 centimes, c’est moins de la moitié du prix dans une grande ville en pleine saison, mais il est vrai que Seigneley n’est qu’un petit bourg de campagne.
20 kg de raisins de table proviennent du jardin qui doit comporter une treille, ils sont consommés familialement.
On note un très curieux 10 kg de cerises. S’agit t’il d’un jeune cerisier ou d’un arbre en piteux état ou y a t-il un problème de pollinisation par incompatibilité variétale ? En tous cas, il n’est nulle part dans le bilan fait état de cerises récoltées pour être vendues ?
On remarque encore une petite production de roses provenant de ce jardin, vendues en bouquet pour une somme annuelle de 5 fr. L’anecdote m’a fait sourire. Sans être aucunement fleuriste, mon arrière grand-mère arrondissait le budget familial en faisant les chrysanthèmes de la Toussaint pour tout le village et au long de l’année, à la demande, des couronnes de fleurs diverses pour les enterrements ou les bouquets pour les mariages.
Sont signalés récoltés dans le jardin, 60 kg annuels de groseilles, framboises, cassis. Ce sont des petits fruitiers que je connais bien, j’en ai cultivé et c’est un régal. Disons qu’en conditions optimales, un beau pied de groseillier ou de cassis occupe un peu plus de 2m2 au sol et rend 2 kg dans son année, et 10m2 de framboisiers qui se cultivent en lignes d’environ 50 cm de large, peuvent rendre plus ou moins 8 kg de framboises. Maintenant soyons clair, certaines années, en fonction des conditions météo, on a moins. Là où j’en ai cultivé, uniquement à titre familial, sud de l’Ile de France et Bourgogne, je n’ai jamais été confrontée à des ravageurs ou des maladies, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas, loin de là. Ensuite comme toutes les cultures, cela demande du travail, et pour les « fruits rouges », c’est même beaucoup de travail, cela se pioche, se fume, se désherbe plusieurs fois et se taille soigneusement. Parfois il faut même arroser en période de sécheresse si les fruits sont en pleine croissance et le ramassage est un exercice délicat et fastidieux. Sans tout ce soin, en 3 ou 4 ans, il ne faut plus espérer récolter grand chose. C’est délicieux, mais cela ne tombe pas dans l’assiette par l’opération du Saint Esprit.
Etienne et Alexandrine ne consomment familialement que 10 kg des fruits rouges cueillis, 50 kg sont vendus au prix moyen de 0,15 fr le kg soit 7,5 fr annuel.
A bientôt, pour découvrir davantage la courageuse Alexandrine, infatigable travailleuse multi-tâches et sans aucun doute gestionnaire avisée et véritable chef de famille de part ses initiatives et son sens de l’économie et de l’organisation...