Archéologie, Histoire de l'agriculture, de l'élevage, de l'alimentation, des paysages, de la nature. Sols, faunes et flores. Les sciences de la nature contre les pseudos-sciences, contre l'ignorance, contre les croyances, contre les prêcheurs de l’apocalypse.
2 Octobre 2019
Dans un écrit de 1854, Jules Michelet fait référence à un allemand qui aurait dit « Le bon dieu a créé le monde, le diable, les insectes ».
Depuis une date assez récente, quelques dizaines d’années, s’est installé dans nos sociétés un curieux culte des insectes.
Bon reconnaissons que ce culte est à géométrie variable, puisque dans les villes, les citadins hululent au moindre désagrément. L’artillerie lourde est appelée contre les punaises de lit, et à lire la presse, les victimes de ces sales bestioles sont prêtes à tous les toxiques pour s’en débarrasser.
Les villes sont démoustiquées, ben oui, quand la dengue se rapproche dangereusement du petit confort citadin, on a beaucoup moins envie de suivre les pitreries d’Ayméric Caron qui explique que « maman moustique a besoin de notre sang pour nourrir ses petits ». Peut-être pourrait-il faire l’effort humanitaire de reverser une partie des ses gains, aux pays africains où l’on meurt régulièrement d’une des multiples pathologies transmises par les mamans moustiques ? Cet écologiste militant, anticapitaliste engagé, farouche végan, apôtre de la décroissance et de l’abandon de notre société de consommation, a tout de même été le journaliste le mieux payé en France de l’année 2019 avec un gain de 82 millions d’euros. Et si on trouve trace de ses placements boursiers, de son parfum, de sa ligne de vêtements, de son patrimoine immobilier, de ses contrats de pub pour des cosmétiques, de son club de foot-ball, de ses restaurants, on ne trouve pas de trace de ses dons à de bonnes oeuvres… Trop discret le richissime Ayméric ?
On remarquera que la démoustication en France, présentée dans la presse comme la conséquence du réchauffement climatique, n’est pas quelque chose de nouveau puisqu’au milieu des années 1960 a été créé l’Etablissement Interdépartemental pour la démoustication du littoral Atlantique. Cet établissement s’occupe tant de surveillance des population de moustiques que de campagnes de démoustication. Autrefois, on démoustiquait intensément toutes les zones touristiques de la côte avant les vacances pour la tranquillité des vacanciers, j’avais découvert cela dans les Landes étant jeune en traversant, en randonnée, un nuage "bombardé" depuis un véhicule. Aujourd’hui, je ne sais pas, cela doit être plus discret… De toutes façons, les moustiques doivent être en voie de disparition sur la côte Atlantique car l’EID sera dissout au 31 décembre prochain.
Néanmoins, les moustiques du sud est de la France ne paraissent pas en voie de régression. En effet, l’Entente Interdépartementale pour la démoustication du littoral Méditerranéen, qui date de 1958, et a été créée pour accompagner le développement touristique et rendre vivable, je cite les textes d'époque « des zones invivables », ne semble pas menacée dans son existence.
Et puis tiens question insectes, parlons des mouches et de tous les insectes coprophages, leur disparition ou quasi disparition avec la fin des tractions hippomobiles et l’assainissement des villes et des campagnes est un de mes dadas. Des amis m’ont mis en garde, « Attention Xris, tu va finir historienne de la merde ». Tant pis, c’est un sujet passionnant, car on est au coeur de l’agriculture et de l’élevage…
Et bien qu’ai je vu dans un quotidien français, il y a quelques jours, une famille de vignerons bio (bio en plus ! c’est marrant) qui travaille sa vigne avec un cheval, un seul apparemment, poursuivi en justice par des voisins, parce que l’urine et les excréments de cheval, cela sent mauvais et saperlipopette, cela amène des mouches, ce qui est absolument et totalement intolérable.
Dommage que la machine à remonter le temps d’HG Wells n’ait pas été inventé, car je pense que des petits voyages trans temporel remettraient des pendules à l’heure.
Par exemple un séjour de quelques jours dans les années 1850 à Paris, pas celui d’aujourd’hui de 105 km2, mais le petit Paris du mur des fermiers généraux de 35 km2 où s’entassent 1 million d’habitants pour la très grande majorité d’entre eux sans eau potable, ni aucun confort, un seul sanitaire collectif dans la cour de l’immeuble, 40 000 chevaux, 5000 vaches dans les étables de ville, plusieurs centaines de milliers de bovins, ovins, porcins qui rentrent sur pied annuellement pour gagner les différents abattoirs intra muros, un réseau d’égouts totalement dérisoire qui se jette dans la Seine, des vidangeurs qui, de nuit uniquement, vident les infectes fosses d’aisances des immeubles.
En ce temps là, par les chaudes journées d’été, on ne s’étale pas sur les bords de Seine aménagés en Paris-plage, les riverains du fleuve se plaignent de ne même pas pouvoir ouvrir leurs fenêtres tant la puanteur est forte.
Contre les mouches, outre des cadres grillagés aux fenêtres, pour ceux qui ont les moyens de s’en acheter, on conseille l’orpiment ou le réalgar dilué dans de l’eau, dispersé dans des petites soucoupes dans les pièces du logis. L’orpiment, c’est du tri sulfure d’arsenic, le réalgar, du sulfure d’arsenic, des produits hautement toxiques, qui servent surtout de pigments pour les peintures. Rappelons qu’avec les pigments de l’époque, peintre en bâtiment comme artiste peintre sont des métiers à haut risque.
A ceux qui s’étonnerait de la disponibilité de tels produits au XIXème siècle, disons tout simplement que la chimie est aussi ancienne que les premières sociétés humaines. Quantités de produits chimiques, certains d’une toxicité inouïe comme la céruse, un carbonate de plomb, ont accompagné les humains au cours des siècles. La grande différence avec aujourd’hui, est que jusque début XXème siècle, ces produits, qui restent dans l’ensemble chers, sont disponibles uniquement sous des formes brutes, en poudre, en solide, en liquide parfois. Leur utilisation en mélange relève de recettes de corps de métiers pour diverses industries ou de spécialités de médecins, pharmaciens ou particuliers selon les usages, chacun ayant ses mixtures. Et bien sûr tous ces produits et leurs préparations sont utilisés sans le moindre souci de protection.
Au XIXème siècle, comme dans les siècles qui ont précédés, à part quelques exceptions comme l’abeille utile pour son miel et sa cire, on ne parle pas de pollinisation, on vient à peine de la découvrir… et le ver à soie pour la précieuse étoffe, globalement on maudit les insectes.
Ce sont des ravageurs des récoltes, sur pied, comme en stockage, et nos ancêtres ont de bien trop faibles rendements pour avoir le coeur à partager. On est moins idéaliste la faim au ventre…
Mais l’insecte maudit du XIXème, ce n’est pas la mouche sous ses multiples variants, on ne connait pas encore très bien son potentiel de transport des pathogènes les plus divers, même si des soupçons de plus en plus forts se portent sur elle et vont se confirmer rapidement.
L’insecte maudit, c’est le hanneton. Non qu’il soit inconnu des siècles passés, bien des ravages et des famines lui sont imputés, il a même été parfois solennellement excommunié. Mais curieusement, il devient omniprésent au XIXème siècle. Est ce une question de sources écrites plus abondantes, ou faut-il y voir une conséquence des transformations agraires commencées au XVIIIème siècle mais accélérée par la révolution française.
Certes des régions au sols lourds argileux, parfois compactés, trop secs, trop humides sont épargnées. Mais toutes les belles terres franches qui sont généreuses tant aux cultures qu’aux prairies ou aux vergers les régalent. Ils y pondent leurs oeufs, et leur larve, le ver blanc, vit 3 ans dans le sol, ravageant toutes les racines tandis que l’adulte, dans sa courte vie, est un défoliant qui n’a rien à envier à l’agent orange. Son cycle de 3 ans rythme les grandes peurs des campagnes qui sont frappées.
Dans les écrits du XIXème siècle, se succèdent les lamentations des agriculteurs et des éleveurs que relaient les multiples sociétés d’horticulture qui fleurissent alors : récoltes de céréales ravagées, fruitiers dénudés et forêts dévastées, betteraves et pommes de terres transpercées, et jusqu’à l’herbe des pâturages qui jaunit, les racines totalement dévorées, et qui laisse un sol à nu.
Chaque année, les sociétés d’horticulture renouvellent leurs offres de prix à celui qui trouvera un moyen d’éradiquer le fléau. L’industrie et la chimie sont appelées à l’aide. On essaie sur les sols des arrosages de produits les plus divers et des fumigations de produits tout aussi divers sous les arbres.
On demande aux gouvernements successifs de voter des lois imposant le hannetonnage systématique à l’imitation des mesures régulièrement imposées pour la destruction des chenilles.
Le hannetonnage est une pratique qui consiste à envoyer des enfants, parfois des adultes, à la chasse aux hannetons, au printemps, dès que ceux ci éclosent, autant que possible avant que les ravages défoliants ne soient trop avancés et surtout avant qu’ils aient eu le temps de s’accoupler.
Les « chasseurs » partent de bon matin quand le hanneton, qui est un nocturne, vient de s’endormir dans un arbre ou une haie. Ils étalent des toiles sous les arbres ou sur le bord des haies et secouent les branches, le cas échéant en s’aidant d’une perche. Les hannetons sont récoltés dans des sacs, puis les recettes de destruction varient, ils sont brûlés, plongés dans de la chaux, dans de l’eau bouillante, rarement écrasés de crainte d’en rater et de libérer des oeufs. En principe, on ne les donne pas aux poules car ils ont, alors, la réputation de donner mauvais goût à la viande et aux oeufs.
Le travail, quand il est organisé, se fait soit sous forme de corvées collectives au prorata des surfaces de propriétés ou grâce à des primes à la capture, payées au kilo. Le comptage de l’époque est précis, il y a 1200 hannetons au kg.
Avec l’école obligatoire de Jules Ferry, 1881-1882, les instituteurs s’impliquent particulièrement, les enfants sont fermement invités à se lever tôt et à arriver à l’école le matin avec leur sac de hannetons déjà plein que l’on pèse, les poids ramenés étant consignés au droit de chaque nom. A la fin de la saison de chasse, des gratifications financières sont accordées et les meilleurs petits chasseurs particulièrement distingués. Lorsqu’une chasse aux premières heures de l’aube ne suffit pas, les classes partent toute la matinée, divisées en groupes de 4 ou 5 pour augmenter le volume des ramassages.
On remarquera que les textes du XIXème rappellent régulièrement la nécessité de protéger les petits passereaux insectivores dont on affirme la proscription de la chasse. A contrario, les rapaces diurnes, destructeurs de passereaux, sont pourchassés. C’est une époque où l’on sait des choses simples, évidentes. Pour comprendre la nature, pas besoin de biologistes de labo pour venir monter des expériences usines à gaz, aussi coûteuses qu’invraisemblables, se soldant par des calculs plein de sigma et visant à démontrer l’inverse du réel à des bouseux de mon espèce.
En 1886, Léopold Le Moult, un scientifique qui est fonctionnaire du Ministère de l’agriculture, fonde le premier syndicat de hannetonnage, une association locale destinée à mener une lutte organisée sur un territoire communal. Les syndicats de ce type vont rapidement proliférer. Ils font l’objet de dotations financières. Les populations de hannetons vont décliner sensiblement, au point que les recherches de M. Le Moult, au sujet de la culture de champignons parasites des larves de hannetons (tiens déjà ?) ne soulève pas l’intérêt qu’elle aurait mérité.
Les récoltes de larves sont parfois pratiquées derrière une charrue mais peu efficaces. L’épandage de lait de chaux déçoit, on tente des injections complexes de sulfure de carbone, parfois de benzène que le britannique Michael Faraday a isolé dès 1825.
On va un peu oublier les hannetons à la charnière XIX-XXème siècle, car la liste des maladies et insectes ravageurs importés du nouveau monde s’allonge dramatiquement et le phylloxéra, un minuscule puceron ravage le vignoble français (et mondial). C’est une catastrophe d’une ampleur sans précédent. Après des essais de tous les cocktails chimiques les plus invraisemblables, et une transformation temporaire de la Camargue en vignoble, les plants temporairement noyés résistants à l'insecte, le solution viendra de plants sauvages américains insensibles au puceron et sur lesquels on va greffer les précieux plants européens.
Revenons à nos hannetons : le vrai virage est pris avec l’arrivée massives des insecticides bon marché au XXème siècle https://m.ina.fr/video/AFE04002060/chasse-aux-hannetons-video.html, bien que le mouvement date du XIXème siècle. Le français Philippe de Clermont découvre le TEPP, Pyrophosphate de Tétraéthyle dès 1854 mais ce sont les allemands qui vont mettre au point les insecticides organo-phosphorés entre les 2 guerres mondiales.
Le DDT, qui accompagne l’avancée US lors de la 2ème guerre mondiale supplante pendant 3 décennies tous les autres insecticides mais son rôle en agriculture est moindre. Il sera surtout utilisé dans la lutte contre les insectes vecteurs de diverses maladies, et en priorité contre les moustiques porteurs des paludismes, des dengues, je dis « des » car il y a des variants et je m’arrête là car la liste des pathologies transmises par les moustiques piqueurs donne le tournis.
Ah le DDT, plus j’étudie son histoire et plus je la trouve passionnante et pleine d’analogies avec les successions de procès en sorcellerie et d’interdictions hystériques qui ont frappé un certain nombre de produits utiles à l’agriculture.
A partir des années 1980 en France, plus tôt aux Etats-Unis, arrivent à l’âge adulte des générations qui n’ont jamais connu la faim ni les restrictions.
Pire, c’est l’époque où dans les pays occidentaux, la majorité des gens cessent d’avoir au moins un parent ou un grand parent agriculteur dont on partage les inquiétudes, les soucis et, pendant les vacances, le dur labeur.
Le contact avec la terre se perd d’autant plus que les jardins potagers disparaissent massivement. Certes on peut objecter qu’ils reviennent à la mode, mais franchement les 2 pieds de tomates cerises et les 4 salades qui se battent en duel avec quelques aromates dans un joli bac en bois exotique de chez Casse toi Clara ou Leroy Perlinpinpin n’ont absolument plus rien à voir avec les potagers de mon enfance. Ceux ci nourrissaient en légumes frais, et en petits fruits une famille à l’année, compte non fait des pommes de terre rentrées, des carottes stockées dans le sable, des conserves de petits pois, de la jarre en grès de haricots au sel et des pots de confiture de groseilles et de fraises. Beaucoup, et ma famille en faisait partie, avaient également un verger où au moins quelques arbres fruitiers. Et le désagrément du carpocapse de la pomme ou de la mirabelle véreuse, on comprenait parce qu’on le connaissait. Les seuls fruits achetés alors étaient exotiques.
Ce contact à la terre et à son travail est essentiel pour en comprendre le réel : les doryphores dans les pommes de terre, les salades, qui fanent, rongées par un ver blanc de hanneton, les vers des carottes et des poireaux, les chenilles de piérides ou les altises dans les choux. Et je ne parle pas des maladies des plantes, dont une partie est véhiculée par les insectes.
Ces dernières décennies, d’années en années, les interdictions de pesticides s’accumulent, certaines justifiées, reconnaissons le, d’autres plus nombreuses, complètement incompréhensibles et s’accumulant d’années en années.
Que restera t-il demain aux agriculteurs pour nourrir le monde ?
L’histoire fait marche arrière, on préfère nourrir les insectes et leurs prédateurs, peu importe les humains. Le passé si difficile de nos ancêtres est réécrit, façon conte de fées pour enfants en bas âge et pour vivre mieux, il faudrait détruire ces deux derniers siècles d’extraordinaires progrès.
Quand je vois un philosophe de formation devenu historien des écosystèmes, reçu par les médias, pour disserter doctement sur la validité de la distinction anthropomorphique entre insectes nuisibles et utiles, je me demande bien ce qu’il a pu étudier en histoire, sans doute pas les rendements agricoles, ni les famines, ni le budget nourriture de la famille ouvrière à Paris au XIXème siècle, ni les courbes de mortalité ou l’espérance de vie ?
Rappelons juste des choses simples :
Espérance de vie en France en 1800 : 30 ans ; en 1900 : 45 ans ; en 1950 : 65 ans ; en 1980 : 70 pour les hommes et 78 pour les femmes ; en 2017 : 79 ans pour les hommes, 85 ans pour les femmes.
Rendements en céréales en France : en 1850 : environ 8 q/ha, on est à 15 q/ha après la 2ème guerre, à 70 q/ha aujourd’hui.
Population mondiale en 1800 : 1 milliard ; en 1900 : 1,6 milliard, en 2000 : 6 milliards ; prévisions 2050 : 10 milliards…
Un vieux proverbe dit « Qui oublie le passé se condamne à le revivre » et vu la courbe démographique, ce pourrait être en bien pire si la folie suicidaire ambiante ne s’arrête pas.
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