Archéologie, Histoire de l'agriculture, de l'élevage, de l'alimentation, des paysages, de la nature. Sols, faunes et flores. Les sciences de la nature contre les pseudos-sciences, contre l'ignorance, contre les croyances, contre les prêcheurs de l’apocalypse.
26 Juin 2019
Un insecte a vu sa population diminuer drastiquement en France depuis une cinquantaine d’années, et sans doute bien plus encore si l’on remonte à avant les voitures, lorsque les chevaux étaient omniprésents dans les villes comme dans les campagnes.
Cette ratification extrême, voir quasi disparition en certains lieux est très peu documentée et ne semblent guère avoir attirée l’attention des scientifiques, des ornithologues, des entomologiques, ce que je trouve complètement stupéfiant……
Pourtant si je pense à mes souvenirs, et si j’interroge des gens de mon âge qui ont vécu dans les campagnes des années 50-60 et encore 70, cette disparition est ce qui a le plus marqué les esprits.
Mais cet insecte qui a vu ses effectifs, chuter plus que tout autre n’est pas un papillon, pas une abeille, pas un coléoptère, pas une sauterelle
Cet insecte, personne n’en parle, il n’est jamais mentionné, c’est la mouche !
Bien sûr, il n’y pas qu’une variété de mouches, il y en a une bonne trentaine juste pour les plus communes, toutes détritivores et proliférant sur les excréments, y compris la plus connue la mouche domestique, qui selon certaines légendes urbaines n’irait pas sur la m…. ah les naïfs !
Les souvenirs d’enfance des gens de ma génération qui vivaient dans les campagnes sont indissociables des spirales de papiers collants plein de mouches au dessus des tables de ferme, des pièges à eau bricolés avec des pots de confiture, du bzzz des mouches qui réveillent le matin aux premières lueurs de l’aube, des murs extérieurs tapissés de mouches lorsque le temps était à l’orage, des étables où il était interdit d’enlever une toile d’araignées pour protéger les vaches des mouches, de ces linges blancs qu’on mettait sur les plats à table pour éviter que les mouches ne s’y posent et de la valse des hirondelles qui depuis les fils électriques virevoltaient à droite et à gauche pour attraper les mouches.
Pourquoi y avait-il toute ces mouches ?
Pour commencer, les sanitaires aseptisés avec chasse d’eau et fosse sceptique constituaient en 1960, le nec plus ultra du modernisme et du confort.
Ce n’était guère arrivé jusque dans les campagnes où on allait habituellement aux toilettes dans une cabane en bois au fond du jardin, dont on ouvrait le siège en bois pour vidanger au seau, une fois par an environ.
Même dans beaucoup de zones péri-urbaines les fosses septiques n’existaient pas encore et les tout à l’égout encore moins.
Le modernisme en 1950 avec eau courante, salle de bains et wc dans la maison, impliquait souvent la construction d’une fosse sèche, cuve maçonnée de 6 à 12m3 que l’on vidait à la pompe soit par l’intermédiaire de vidangeurs en camion qui revendaient leurs vidanges aux maraîchers, soit par des vidanges « maison » avec stockage au fond du jardin pour épandage dans le potager.
Evidemment cela ne sentait pas la rose et Airwick n’existait pas.
Ensuite, s’il existait déjà des spécialisations régionales en matière agricole, elles étaient infiniment moins marquées qu’aujourd’hui, en grande partie en raison de la carence des transports alimentaires notamment en direction des campagnes.
En conséquence, chaque village essayait, en grande partie, de se suffire à lui-même, donc absolument partout il y avait des vaches laitières donc au minimum une ou deux étables (1°), en général beaucoup plus (j’en ai connu 5 en village viticole pourtant AOC), des chèvres qui nettoyaient les chemins, des moutons, moult poulaillers et moult clapiers à lapins, sans oublier les soues à cochon car quelle famille paysanne ne faisait pas au moins son cochon annuel dans la France des années 50-60 ?
Et tous les soirs, c’était la file d’attente, en général des enfants, devant une des étables du village, celle où on avait ses habitudes, avec le pot à lait.
En ce temps là, les bêtes partaient au pré du printemps à l’automne, mais hormis le bétail à viande qui restait au pré, on les rentraient toutes les nuits pour la traite du matin et du soir.
Et tout l’hiver était passé à l’étable, à la bergerie, à la chèvrerie avec alimentation en foin.
Il y avait donc du fumier, pléthore de fumier un peu partout et il fallait bien l’entreposer avant de l’emmener au champs quelque mois plus tard ou à plus petite échelle de l’épandre dans son potager.
Bien souvent, on le stockait devant la maison, face à la rue, c’était plus pratique. C’était même coutumier dans certaines régions comme en Lorraine où dans les vieux villages-rues, les maisons étaient construites très en retrait de la route. Devant la maison, on stockait le fumier et plus le tas était imposant et plus c’était signe de richesse (2°).
A cela s’ajoutait les déchets alimentaires non consommés par les poules et les urines de la nuit (3°). Les mouches adoraient tout simplement et régulièrement cela grouillait de vers pour le plus grand bonheur des poules « libres » de ce temps là.
Et quel était l’oiseau sacré de la paysannerie du passé ? L’hirondelle, mangeuse de mouches et en conséquence, protectrice du bétail (et des humains), pour lesquelles les paysans prenaient soin de fixer des planches aux poutres des étables, bergeries, granges, etc…
Bien sûr toutes portes de ces étables, granges, etc… comportaient une ouverture rectangulaire en partie supérieure pour laisser nicher les oiseaux à l’intérieur.
Dans la paysannerie, « malheur à celui qui tue une hirondelle » écrivait Chateaubriand dans Le génie du Christianisme au début du XIXème siècle.
N’oublions pas d’autres insectes inféodés à la merde, de nombreuses variétés de coléoptères dit « bouseux », il y en aurait en France près d’une centaine, dont on s’occupait peu. Enfant, on s’amusait juste à les regarder dans les bouses de vaches et à les compter, le chiffre le plus gros a gagné !
Et puis, il y avait les méchants taons, eux aussi hôtes des bouses, qui piquaient si souvent notamment quand le temps était à l’orage. On les craignait tellement car quand ils avaient décidé de piquer, ils vous poursuivaient littéralement.
Et puis l’étable à Mimile, le poulailler à tante Germaine, et la chèvrerie à Grand-mère Albertine ont perdu toute rentabilité et tout justification alimentaire puisque dans la ville d’à côté, des supermarchés, cavernes d’Ali Baba d’aliments en tout genre avaient fait leur apparition.
Et un beau jour Mimile, Germaine, et Albertine sont décédées, l’une après l’autre. La vieille étable est devenue un grand salon avec billard d’une maison de vacances, la chèvrerie a été transformée en atelier pour voitures de collection et le poulailler a été rasé.
Les rares descendants de Mimile, Germaine et Albertine qui ne sont pas partis et sont restés dans l’élevage, ont construit dans les années 80 de grands hangars métalliques aseptisés correspondant aux nouvelles normes pour du bétail désormais bien souvent en stabulation notamment pour les laitières, avec tapis roulant pour les déjections, emmenés tout droit vers les fosses de traitement ensemencées de bactéries et inondées de traitements dit « bio » ou non, mais visant à l’éradication des mouches.
Malheur à l’agriculteur qui stockerait du fumier sans le traiter régulièrement aux larvicides.
Les riverains vont se plaindre et trouveront bien un journal qui pourra dénoncer un retour aussi soudain qu’insoutenable des horribles mouches.
Quand aux règles d’épandages, elles sont devenus hallucinament draconiennes et les agricultures ont intérêt à aller vite pour enfouir au plus profond des sols la « merde » si présente autrefois et qui désormais doit être si invisible, inodore et rigoureusement morte de toute vie.
Les murs de tout bâtiment d ‘élevage sont régulièrement pulvérisés d’insecticides, réglementations sanitaires obligent. Même les aliments pour animaux se sont mis à contenir des insecticides spécifiques agissant dans les déjections afin d’éviter que des larves d’insectes n’y prolifèrent. Cela est interdit en France actuellement conduisant à un regain de larvicides pulvérisés sur les déjections.
Dans les mêmes années 1970-1980, il a commencé à être interdit d’avoir des toilettes cabanes de jardin et les tout à l’égout ou à défaut fosses septiques sont devenus obligatoires pour toute construction neuve. Mieux dans les années 1990, les communes ont commencé à imposer la mise aux normes des constructions anciennes et ont envoyé des contrôleurs vérifier la conformité.
Le certificat de conformité de l’assainissement est finalement devenu obligatoire pour toute vente d’appartement ou de maison.
Bien sûr, comme sans doute dans les villes du début du XXème siècle où disparaissaient la traction hippomobile et les étables de ville, dans les campagnes des années 70-80, tout le monde a été ravi de la raréfaction des mouches voir de leur quasi disparition, comme de celle des taons (4°), un pur soulagement…
Soyons clair, la quasi disparition des mouches, fut humainement et mammifèrement parlant, un progrès hygiénique immense.
Ces insectes ont constitué pendant des siècles un des principaux vecteurs de pathologies les plus diverses, n’ayant sans doute d’égal en matière de vecteurs de virus, bactéries, parasites que les moustiques hématophages.
Mais c’est à la même époque que les hirondelles, grandes consommatrices de mouches ont commencé à se faire bien rares.
Ces pauvres oiseaux ont vu disparaitre en à peu près une ou deux décennies une immense source de nourriture tandis que collatéralement les étables et les granges transformées en habitations ont cessé de leur offrir le gîte.
D’autres passereaux, insectivores stricts ou partiels, chassant en vol comme les hirondelles ou au sol, ont indéniablement été gravement affectés par cette disparition massive des mouches et d’autres insectes inféodés aux fumiers comme des coléoptères bouseux et des taons et accessoirement d’autres insectes que je connais mal.
S’il est certain que les hirondelles, immenses consommatrices de mouches furent terriblement impactées, est-il possible que la quasi disparition des mouches et des insectes associés au fumier ait provoqué une immense famine conduisant l’ensemble des passereaux insectivores stricts comme insectivores partiels, a une prédation plus importante d’autres catégories d’insectes, papillons notamment, proies faciles car leur vol est plus lent que celui d’autres insectes.
C’est juste une hypothèse, je regrette bien qu’aucun spécialiste ne soit penché dessus.
(1°) Hors régions connaissant déjà des spécialisations comme par exemple la Normandie, les étables de village de ce temps ne dépassait guère la dizaine de vaches, au plus. Pour des raisons de sélection, d'alimentation, de méthodes d'élevage, les rendements en lait étaient également bien plus bas qu'aujourd'hui, mais les laits étaient souvent beaucoup plus crémeux. Ce qui n'était pas vendu le soir au niveau du village, ou transformé maison, était ramassé de bon matin, en gros bidons puis ensuite en citerne par les laiteries-fromageries dont il existait un dense réseau régional dans la France d'autrefois.
(2°) Dans le petit village lorrain près de Nancy où s’étaient installés mes grands parents paternels à la fin de leur vie, des conflits, parfois violents, opposèrent les rurbains Nancéens venus s’installer à partir des années 70 et les fermiers locaux. Les rurbains étaient scandalisés par le visuel des tas de fumier, l’odeur générée et les nuages de mouches que cela entrainaient. Devenus de plus en plus nombreux, les rurbains obtinrent l’interdiction de ces tas de fumier.
(3°) Pour faciliter la vidange ultérieure, on évitait de "tremper" le WC du fond du jardin avec les urines de la nuit qui aillaient donc plutôt sur les tas de fumiers.
(4°) La piqûre de taon, inconnue de beaucoup de gens, était très commune autrefois. Lorsque le temps était à l'orage, on pouvait facilement être piqué plusieurs fois. Cela fait très mal mais assez brièvement en principe et je n'ai jamais vu d'allergies ou de réactions graves, ce qui ne veut pas dire qu'ils n'en n'existent pas.